Intervention de Gilles Savary

Réunion du 13 juillet 2016 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary, rapporteur :

Merci de ces nombreuses questions et interventions.

Il ne faut pas laisser s'installer dans les esprits l'idée que nous serions en train de réviser la directive Bolkestein. Celle-ci porte sur l'établissement d'entreprises d'un État membre dans un autre État membre : le droit d'établissement est l'une des composantes de la libre prestation de services. Elle autorisait notamment un plombier polonais à venir s'installer en France : la discussion – curieuse, au demeurant – avait pour objet de se demander s'il pouvait s'installer aux conditions polonaises ou s'il devait respecter l'ensemble du droit interne français.

Revue et corrigée par la rapporteure de l'époque, Mme Gebhardt, cette directive permet aujourd'hui de s'établir dans un pays intégralement aux conditions de ce pays : la directive Bolkestein est ainsi devenue un antidote aux fraudes au détachement.

Ainsi, Ryanair avait recruté, à l'aéroport de Marignane, 120 personnes, toutes provençales mais toutes soi-disant détachées de Dublin, et avec des contrats de travail irlandais. Une enquête remarquable de la DIRECCTE et de l'Office central de lutte contre le travail illégal, unité spécialisée de la gendarmerie, a prouvé que ces personnes ne se rendaient jamais à Dublin et qu'il n'y avait donc aucun travail effectif en Irlande. L'établissement de Ryanair à Marignane était donc bien un établissement permanent, camouflé en établissement temporaire de travailleurs détachés irlandais. Ryanair a donc dû payer plusieurs années de cotisations sociales, ainsi que des sanctions considérables. Et c'est grâce à la directive Bolkestein, telle qu'elle est sortie du Parlement européen, que la requalification a été possible. Elle n'est donc pas l'épouvantail que nous en avons fait.

Ce que nous révisons ici, ce sont les directives sur le détachement : nous travaillons sur la délocalisation des travailleurs, selon la formule heureuse de Denys Robiliard, et non sur la délocalisation des entreprises.

S'agissant des offres d'emploi non pourvues dont a parlé Mme Le Callennec, je ne suis pas sûr qu'elles soient liées au niveau d'indemnisation du chômage ; c'est un débat de fond dans lequel nous ne pouvons pas nous engager maintenant. J'observe simplement que nous avons considérablement dévalorisé les métiers manuels en France ; même les centres d'information et d'orientation de l'éducation nationale détournent les jeunes de ces filières.

Monsieur Liebgott, la France, l'Allemagne et la Pologne sont très concernées, mais elles ne sont pas les seules. Les travailleurs détachés viennent parfois, cela a été dit, de pays non communautaires : la législation européenne doit s'appliquer à tous. Politiquement, il est vrai que tout tourne autour de la France, de l'Allemagne, du groupe de Visegrád, de la Roumanie. Si la procédure du « carton jaune » a été déclenchée, c'est à l'initiative de ce groupe de Visegrád. Le Danemark ne s'est joint au mouvement que parce qu'il est particulièrement attaché au principe de subsidiarité, et donc très peu intégrateur.

Monsieur Viala, vous demandez que les PME n'emploient pas de travailleurs détachés. Notre législation va déjà dans ce sens, et le patronat lui-même, notamment celui du secteur du bâtiment et des travaux publics, souhaite son durcissement. Face au travail détaché qui déséquilibre la concurrence, il n'entrevoit comme options que soit basculer dans le travail low cost, soit nous demander une législation protectrice – ce que nous devons faire.

Je vous rappelle aussi que, grâce au pacte de responsabilité et au CICE, entre autres mesures, le coût moyen du travail en France est repassé en deçà du coût moyen du travail en Allemagne.

Monsieur Sebaoun, avec une mission localisée et identifiée d'une durée maximale de vingt-quatre mois, il sera très compliqué de reproduire en permanence des missions de vingt-quatre mois sur le même site. Cela ne serait pas impossible, mais cela concernerait des chantiers considérables qui feraient l'objet d'une grande vigilance.

Est-il juridiquement fondé que la rémunération minimale soit établie en fonction du salaire moyen du pays d'accueil ? Je pense que cela doit être possible, surtout si c'est autorisé par une directive européenne. Sur le marché foncier, on établit la valeur fiscale d'un bien en fonction de la valeur moyenne de ceux qui se trouvent à proximité.

Je n'étais pas très favorable à la généralisation d'une carte dans le bâtiment. J'ai peur qu'elle n'alimente la fraude. La caisse de congés payés du secteur a évidemment intérêt à en délivrer pour récupérer des cotisations : elle n'est pas totalement désintéressée. Sera-t-elle pour autant responsable des cartes qu'elle délivrera ? S'assurera-t-elle vraiment qu'elle n'a pas affaire à de faux travailleurs détachés ? L'identification de tous les travailleurs détachés constitue une tâche difficile, car il faut vérifier qu'ils ont un travail réel et sérieux. Il ne faudrait pas que la carte de congés payés du bâtiment soit un faux nez qui affaiblirait nos propres contrôles. Par ailleurs, ces cartes sont-elles falsifiables ? Pourra-t-on en donner à de vrais travailleurs illégaux ?

Nous avons accepté d'introduire le dispositif dans la loi Macron, mais il faudra en faire une évaluation sérieuse. Certaines branches professionnelles n'y étaient pas très favorables, car elles ne voulaient pas porter la responsabilité du contrôle des travailleurs détachés. Si l'on ne contrôle pas qu'un travailleur détaché est en conformité avec les règles de son propre pays, nous allons nous retrouver avec des travailleurs qui transgresseraient les règles de leurs pays d'origine mais qui seraient détenteurs de la carte de congés payés française. Il faudra que nous restions vigilants sur ce sujet dans les mois à venir.

Pour ma part, j'ai préféré proposer à l'Europe de mettre en place progressivement une carte du travailleur mobile, équipée d'une puce susceptible d'être informée et interrogée dans tous les pays d'Europe. Cette mesure se trouve dans la proposition de résolution, de même que la création d'une agence européenne du travail mobile parce que les bureaux de liaison ne fonctionnent pas bien.

Monsieur Roumégas, le contrôle n'est jamais exhaustif. Les mailles du filet doivent seulement être assez serrées pour avoir un effet dissuasif, de sorte que des opérations de contrôle puissent déboucher sur des sanctions très lourdes. C'est ce que nous cherchons, et c'est bien parti. J'ai la faiblesse de penser que nos services ont fourni un travail remarquable dans un délai très bref. La mobilisation a été exceptionnelle, même si je ne dis pas qu'elle a été suffisante.

Les services de contrôles du travail illégal sont nombreux : il y en a au sein des douanes, dans les DIRECCTE, dans les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou dans la gendarmerie. La coordination en est normalement assurée par les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF), et le problème est davantage là que dans le manque de moyens. Il est peut-être souhaitable de recruter, mais il faut surtout taper fort. Et taper fort, c'est faire de la dissuasion !

Vous posez une excellente question sur les négriers. Je n'ai pas de réponse mais il faudra nous pencher sur le sujet. Pour des raisons fiscales, une grande partie des agences de travail temporaire sont installées à Chypre. Elles nous envoient des Bulgares ou des ressortissants d'autres pays. C'est devenu un job, du trading de main-d'oeuvre low cost.

S'agissant de l'affiliation à la sécurité sociale, évoquée par Christophe Sirugue, je veux dissiper toute ambiguïté : elle doit se faire dans le pays d'origine. Les Français détachés sont plutôt des cadres. Si nous devons proposer à des ressortissants nationaux de travailler quatre mois en Bulgarie avec la sécurité sociale et la retraite bulgares, nous n'enverrons plus personne à l'étranger. C'est aussi pour cela qu'il faut remettre le détachement dans son lit : il ne peut s'agir que d'une démarche liée aux échanges de biens et de services. Dans ce cas, le détachement est sain, il constitue la respiration sociale de l'économie, notamment des échanges internationaux. Il ne peut, en revanche, pas y avoir de marché du détachement comme aujourd'hui. C'est pour cela que nous voulons mettre fin au détachement d'intérim, qui ne constitue pas une fraude mais un dévoiement.

Ne confondons pas tout en affirmant que tout le monde doit cotiser à la sécurité sociale en France. Si c'était le cas, la sécurité sociale des travailleurs des plateformes pétrolières devrait être payée au Gabon ou au Congo : on ne trouvera alors pas grand monde en France pour s'affilier à ces régimes sociaux aux niveaux de prestations très faibles.

À ce sujet, nous souhaitons que la révision du règlement européen de coordination de sécurité sociale permette d'organiser des compensations entre pays en fonction du volume de travailleurs détachés, de façon plus ou moins forfaitaire afin que les systèmes de sécurité sociale ne pâtissent pas du dispositif. Par principe, je continue de penser que le détachement d'intérim et les marchés de placement de main-d'oeuvre ne devraient pas exister.

Monsieur Ferrand, nous appliquerons évidemment la directive. Le Premier ministre a seulement voulu dire que si les onze États membres à l'origine de la procédure du carton jaune faisaient jouer la subsidiarité et ne voulaient rien entendre, nous prendrions des mesures unilatérales. L'expression du Premier ministre a été malheureuse, j'en ai discuté avec lui. On ne peut pas s'affirmer Européen et ne pas appliquer une directive, car cela entraîne au moins des pénalités, une traduction devant la Cour de justice de l'Union européenne, et une insécurité juridique qui est préjudiciable à nos propres citoyens.

Monsieur Gilles, la proposition que je faisais n'était qu'incidente. Elle ne reflète que l'état de ma réflexion sur les moyens de retrouver des chauffeurs routiers français. Elle m'a été inspirée par le shipping, ce régime actuellement en vigueur pour les marins français, qui permet une exonération totale de charges sociales. Dans un contexte de concurrence mondiale, on n'a pas su faire autrement pour éviter de ne plus avoir à bord que des Philippins. Je ne vois pas comment nous trouverions d'autres solutions solides pour le transport routier international : avec de tels écarts de charges sociales et de coût du travail, la sélection se fera, à l'international, par les chauffeurs. Je suggère, en conséquence, au Gouvernement d'adopter cette mesure, mais cela n'engage pas la proposition de résolution. Cette solution a toutefois un énorme défaut : les pilotes de ligne, qui gagnent 18 000 euros par mois, demandent que le même régime leur soit appliqué au nom de l'effort de compétitivité qu'on leur demande. Le problème, c'est qu'ils sont nombreux et qu'à ce niveau de salaire, cela constituerait pour notre pays un véritable manque à gagner.

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