Intervention de Manuel Valls

Séance en hémicycle du 20 juillet 2016 à 15h00
Questions au gouvernement — Attentat de nice

Manuel Valls, Premier ministre :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous avons hier, jusqu’à tôt ce matin, longuement discuté de la prorogation de l’état d’urgence, ce qui nous a permis d’aborder de nombreux sujets que vous venez de reprendre au travers de vos questions.

Bien sûr, nos pensées vont d’abord vers les victimes, les morts, au nombre de quatre-vingt-quatre, les blessés, ceux qui luttent encore aujourd’hui pour leur survie, les blessés handicapés à vie, handicapés pour toujours, ceux qui garderont à tout jamais dans leur chair et dans leur esprit ces moments atroces. Je veux aussi avoir une pensée avec vous, dans ces moments-là, pour toutes les victimes des attentats de ces derniers mois, qui revivent à travers le drame atroce de Nice les terribles épreuves qu’ils ont traversées en janvier ou en novembre 2015. Nous pensons à tous, bien évidemment. La nature de notre travail d’aide aux victimes s’en trouve transformée car nous comptons aujourd’hui des centaines, des milliers de personnes – à travers les familles, les proches – concernées par ces attentats, ce qui est, malheureusement, totalement inédit pour notre pays, en tout cas depuis ces dernières décennies. C’est vers eux que nous devons nous tourner aujourd’hui.

Bien sûr, nous avons la responsabilité de protéger les Français. Ils sont inquiets, ils ont peur, ils l’expriment, partout, avec dignité, en observant en particulier une minute de silence lundi. Ces moments sont importants car il est essentiel que la nation puisse se retrouver. C’est ce qu’ont fait nos compatriotes à Nice. À cet égard, je vous remercie pour les propos que vous avez tenus, monsieur Rudy Salles, mais rassurez-vous, je ne confonds pas l’attitude de l’immense majorité de cette foule, qui se recueillait et chantait La Marseillaise, avec celle des auteurs des sifflets. De toute façon, il appartient à ceux qui gouvernent, à ceux qui représentent la nation, d’endosser et de porter avec responsabilité, lucidité, humilité, ce poids car c’est un véritable poids, une charge pour chacun d’entre nous.

J’entends parfaitement l’exigence des Français. J’entends aussi celle de l’Assemblée nationale, comme celle du Sénat. Nous aurons l’occasion, dans le débat, qui commencera à 17 heures au Sénat, autour de la prorogation de l’état d’urgence, de reprendre ces questions.

Vous les avez évoquées hier soir. Monsieur Éric Ciotti, monsieur Rudy Salles, j’ai une pensée toute particulière pour vous qui êtes élus de cette ville de Nice, dont Claude Bartolone a parlé avec des mots qui viennent du coeur d’un Méditerranéen. Je comprends tout à fait vos exigences, en particulier concernant la stratégie. Je fus l’un des premiers à l’évoquer, d’ailleurs. C’est mon rôle, en tant que chef du Gouvernement, ou, comme je l’étais avant, en tant que ministre de l’intérieur, de détecter la menace que représentaient, dès l’été 2012, les premières filières syro-irakiennes, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur de nos frontières, et d’en prendre toute la mesure.

J’avais évoqué ces questions, au Sénat d’abord, à l’Assemblée nationale ensuite, en présentant la première loi antiterroriste, qui tirait essentiellement les leçons des crimes de Toulouse et de Montauban, mais aussi de la première commission d’enquête sur les événements de mars 2012, travail mené par l’Assemblée nationale sous la houlette des députés Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère.

J’avais alors évoqué un « ennemi intérieur », ce qui m’avait été parfois reproché, mais je voulais qualifier ce que nous étions en train de vivre, à savoir les risques d’une véritable guerre intérieure. Je vous invite à aller voir le beau documentaire de Bernard-Henri Lévy, Peshmerga, qui relate la guerre au Kurdistan, à la frontière de Mossoul. C’est par ce type de documentaire et le travail des journalistes que l’on prend conscience de la réalité de cette guerre. En France, la situation est évidemment très différente, mais cela reste une guerre. Certes, elle n’a rien à voir avec ce que nous avons connu au XXe siècle, mais c’est bel et bien une guerre qui nous est menée. Chacun l’a dit avec ses mots, et c’est pour cette raison que nous avons pris, en responsabilité, tous les moyens pour y faire face, qu’il s’agisse des deux lois antiterroristes, d’ailleurs votées par une immense majorité des parlementaires, celle que j’ai portée et celle de Bernard Cazeneuve, des deux lois relatives au renseignement. Depuis plus de trente ans, depuis la loi portée par Michel Rocard et Édith Cresson en 1991, nous n’avions pas eu de loi sur le renseignement.

Ces lois sont nécessaires, mais ce n’est pas un seul outil qu’il nous faut. Tous les moyens doivent être engagés pour lutter contre le terrorisme, le traitement humain, le travail de la police et de la gendarmerie, des services de renseignement, le travail autour des réseaux sociaux et d’internet, la mobilisation de la société.

La nouvelle loi de procédure pénale, annoncée et confortée par le Président de la République lors de son discours à Versailles, les amendements retenus, émanant de tous les groupes de la majorité comme de l’opposition, à l’Assemblée et au Sénat, nous permettent de disposer d’un arsenal que je crois à la mesure du défi qui nous est posé.

Bien sûr, nous devons en permanence nous adapter car l’ennemi, l’adversaire, lui aussi s’adapte en permanence. Nous voyons bien que nous avons été confrontés à deux modes opératoires au moins. D’un côté, l’organisation de groupes depuis la Syrie ou l’Irak, coordonnée en Belgique ou en France pour ce qui concerne les attentats de 2015, avec des individus au parcours criminel, délinquants, aguerris, souvent formés au maniement des armes de guerre – au passage, grâce à nos services, pas moins de seize projets d’attentats ont été déjoués, dont en mars dernier celui du groupe mené par Reda Kriket, qui s’apprêtait à commettre des attentats particulièrement meurtriers. Mais il y a au moins un autre mode opératoire, celui de Nice, avec un attentat perpétré par un individu radicalisé sans doute en très peu de temps, pas fiché S, inconnu des services de renseignement, simplement connu défavorablement des services de police pour les faits qui ont été rapportés, ou par les services sociaux du conseil départemental des Alpes-Maritimes. Face à ces nouvelles menaces, nous devons nous adapter. Je pense que nous avons les outils au niveau de la police, de la gendarmerie ou des services de renseignement, même s’ils peuvent encore être améliorés.

Nous les avons d’ailleurs déjà améliorés. C’est sous ma responsabilité de ministre de l’intérieur que nous avons mené la réforme de la Direction générale de la sécurité intérieure, avec un vrai sujet. Nous avons évoqué hier la disparition des renseignements généraux mais je crois vraiment, comme le ministre de l’intérieur, que nous devons nous appuyer sur la police et sur la gendarmerie, pour assurer un renseignement de proximité qui nous permettra de recueillir le maximum d’informations, en lien avec les services et les travailleurs sociaux. Le travail mené par le Gouvernement, avec les ministres Marisol Touraine et Laurence Rossignol, va dans ce sens. Il s’agit de mobiliser tous les services sociaux, dont les cultures sont souvent très éloignées des modes de travail de la police, de la gendarmerie ou de la justice.

Police, gendarmerie, justice disposent aujourd’hui de ces moyens, mais nous devons rester ouverts et attentifs à tout ce qui pourrait nous permettre de mieux lutter contre le terrorisme, sans jamais sortir de l’ordre constitutionnel ni de l’état de droit.

J’en viens à la question des opérations extérieures, que je développerai tout à l’heure en réponse à une autre question. Elles sont essentielles car la guerre se joue, à court et moyen termes au moins, en Irak, en Syrie, et sans doute aussi en Libye. Mais pas seulement. La guerre sera très longue sur notre sol. Quand j’ai dit qu’il y aurait d’autres attentats et de nouvelles victimes innocentes – même si Malek Boutih a eu parfaitement raison de rappeler hier soir que nous faisons tout pour empêcher un nouvel attentat et que, bien sûr, nous gagnerons cette guerre –, ce n’est pas par fatalisme que j’ai tenu de tels propos, mais parce que nous devons cette vérité aux Français. Si tout l’arsenal proposé ici hier soir ou par d’autres en dehors de cette enceinte, était adopté et mis en oeuvre, et que des attentats aient quand même lieu, quel nouveau pas devrions-nous franchir ?

Nous voyons bien la difficulté. Regardez ce qu’il se passe aux États-Unis. Malgré le Patriot Act, malgré l’existence de la peine de mort en Floride, et tous les moyens exceptionnels mis en oeuvre, le drame d’Orlando a-t-il pu être évité ? La question est éminemment complexe. Le terrorisme de Daech, son idéologie, les kits qu’il fournit à ces terroristes, ces individus, ces meurtriers, quel que soit le qualificatif que l’on retient, est d’une très grande efficacité, malheureusement. C’est pour cela que nous devons nous mobiliser.

Vous avez parfaitement raison, madame la députée Jacqueline Fraysse, si la seule réponse dite sécuritaire est indispensable, tout comme la réponse judiciaire, avec une aggravation des peines, nous voyons bien qu’au-delà, toute la mobilisation de la société est nécessaire. J’y reviendrai.

Enfin, je voudrais répondre à Rudy Salles avec la précision chère au ministre de l’intérieur, au sujet des événements de Nice, car je crois nécessaire de donner tous les éléments à l’Assemblée nationale. Comme l’a rappelé le préfet des Alpes-Maritimes, l’organisation du feu d’artifice du 14 juillet avait été précédée, vous le savez, monsieur le député, de deux réunions qui associaient la ville et la préfecture ainsi que de deux autres réunions, les 1er et 12 juillet, entre la direction départementale de la sécurité publique et la police municipale, que je connais bien. Je me suis en effet souvent rendu à Nice. D’ailleurs, nous avons souvent dit, avec MM. Estrosi et Ciotti, que les deux polices municipales les plus efficaces étaient celles de Nice et d’Évry, même si les effectifs de cette dernière sont beaucoup moins nombreux. Je connais bien aussi le dispositif de la vidéosurveillance. Mais nous savons tous que cela ne suffit pas.

Lors de la première réunion qui s’est tenue le 28 juin à 15 heures, la préfecture avait appelé l’attention de la ville sur la nécessité de mieux sécuriser l’environnement de la manifestation. Lors de la seconde réunion qui a eu lieu, elle, le 7 juillet à 15 heures, un accord avait été trouvé pour mettre en place un contrôle aléatoire des accès, comme pour le carnaval de Nice, autre grande manifestation.

Un arrêté du 11 juillet, signé par le directeur général adjoint des services de la ville, en charge de la sécurité, de la proximité et des quartiers, réglementait la circulation sur la Promenade des Anglais et ses abords, car c’est là une responsabilité du maire et de la police municipale. Ce dispositif a été concerté, consenti et validé par le maire de Nice, sinon cela aurait signifié que la collectivité locale organisatrice du feu d’artifice – ce n’est pas l’État qui organise les feux d’artifice dans notre pays – aurait accepté l’organisation d’un événement sans souscrire aux dispositifs de sécurité. Qui peut l’imaginer un seul instant ? Et pour cause ! Le ministre de l’intérieur a reconstitué la liste de tous les policiers nationaux présents sur le terrain à partir des mains-courantes attestant de leur engagement. Ils étaient quatre-vingt-cinq à 19 heures, quatre-vingt-neuf à 20 heures, quatre-vingt-douze heures à 21 heures, soixante-quatre entre 22 heures et 23 heures. Nous tenons le tableau récapitulatif des présences à la disposition de la justice.

En tout et pour tout, cent quatre-vingt-cinq policiers nationaux et vingt militaires de l’opération Sentinelle étaient mobilisés à Nice dans le cadre des festivités du 14 juillet. Par ailleurs, les policiers municipaux étaient, en périphérie de l’événement, chargés notamment de la circulation. C’est d’ailleurs grâce au courage des fonctionnaires de police présents, tous l’ont rappelé, que le terroriste a pu être stoppé avant qu’il ne tue encore davantage de personnes. Ce travail s’est nourri de l’expérience de la préparation de l’Euro puisque cinq exercices antiterroristes majeurs avaient été organisés à Nice.

Je suis convaincu, mesdames et messieurs les députés, que le pays a besoin de vérité, a besoin de tout savoir, mais nous tous, aussi bien nous qui exerçons les responsabilités que vous, qui êtes parlementaires, qui avez exercé des responsabilités, qui souhaitez à nouveau en exercer, nous avons un devoir de vérité et d’exigence vis-à-vis de nos compatriotes. Le combat sera long et difficile. Nous aurons encore des victimes à déplorer, malheureusement, mais ce combat, nous le gagnerons, au Levant et en France, parce que c’est la France qui a été attaquée, parce que c’est le pays des droits de l’homme, le pays de la laïcité, parce que c’est un pays qui prend ses responsabilités au Levant comme au Sahel, parce que c’est un pays qui compte des millions de compatriotes et de concitoyens musulmans et que le terrorisme s’attaque à notre société pour la diviser. Nous vaincrons d’autant plus que nous serons unis et solidaires face au terrorisme pour le vaincre.

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