Intervention de Philippe Mauguin

Réunion du 13 juillet 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Philippe Mauguin, candidat à la présidente de l'Institut national de la recherche agronomique, INRA :

Madame la présidente, Mesdames, Messieurs les députés, je suis très honoré de m'exprimer aujourd'hui devant vous après que le Président de la République a proposé mon nom pour la présidence de l'INRA, en accord avec les ministres de la recherche et de l'agriculture, et après avis de la commission d'experts.

Je suis ingénieur agronome, et c'est bien à ce titre que je présente aujourd'hui ma candidature. Si je relève ce point, c'est parce qu'une campagne de communication assez inédite a été déployée ces dernières semaines ou ces derniers mois. C'est la première fois que j'ai la possibilité de m'exprimer publiquement et d'expliquer pourquoi je suis candidat.

Cette campagne de communication insiste notamment sur le fait que je ne suis pas docteur. Je respecte éminemment le titre et la fonction des docteurs ès sciences, mais je crois qu'un ingénieur agronome, investi depuis trente ans dans les secteurs de l'agriculture, de l'alimentation, et de l'environnement, passionné par la recherche et l'innovation, peut prétendre à piloter, avec un collège scientifique, une grande maison comme l'INRA.

L'INRA est en effet un organisme de recherche finalisée unique au monde. Créé par des agronomes il y a près de soixante-dix ans, il a su, ce qui en fait cet établissement unique, mobiliser un spectre large de recherche fondamentale, de recherche cognitive, biologique, écologique jusqu'aux applications dans le secteur de l'agriculture et de l'alimentation.

Les résultats de l'INRA, qui sont excellents, sont le fruit d'une communauté de travail également unique. Ce sont des chercheurs, bien sûr, mais aussi des ingénieurs, des techniciens, présents dans la recherche, dans l'appui et le soutien à la recherche, qui sont à l'origine de ces résultats scientifiques et de ces innovations.

Je comprends et je respecte profondément l'héritage des présidents successifs de l'INRA, et parmi les plus récents Paul Vialle, Marion Guillou et François Houllier, qui ont, dans une belle continuité, conduit à l'élargissement des domaines de recherche de l'institut, historiquement l'agriculture puis l'alimentation, enfin l'environnement, et qui lui ont permis d'acquérir une dimension internationale. Mais, et tous les membres de cette commission le savent comme ceux des autres commissions qui ont travaillé à l'élaboration de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, nous sommes dans un moment particulier, où les transitions agricoles, alimentaires, climatiques, énergétiques bouleversent les questions posées à la recherche agronomique. Dans le même temps, le paysage de la recherche et de l'enseignement supérieur se modifie rapidement en France, mais aussi au niveau international. L'INRA devra faire face demain, encore plus que dans les dernières années, à ces défis, à ces bouleversements. Je pense qu'il en a la capacité, et c'est humblement mais de façon passionnée que j'ai souhaité présenter ma candidature pour y contribuer.

Je vous propose d'évoquer rapidement les enjeux, tels que je les ai présentés à la commission d'experts, puis d'esquisser les grandes priorités qui pourraient être les axes d'un projet stratégique pour l'INRA, si vous m'accordez votre confiance.

Le contexte mondial, vous le connaissez, mais il faut s'imprégner du contexte mondial pour voir quels défis sont posés à la recherche. L'INRA est au coeur de trois grands défis : la transition écologique, énergétique et alimentaire. En 2050, il faudra nourrir 9 milliards d'êtres humains, ce qui se traduira par des tensions toujours plus fortes sur les ressources agricoles. Dans le même temps, les besoins de la bio-économie en énergies renouvelables vont s'accroître, et avec eux les besoins agricoles, au moment où nous commençons à subir les effets négatifs du changement climatique sur l'agriculture. Entre 1980 et 2008, les rendements du maïs et du blé ont moins progressé que durant la période précédente – dans une proportion de près de 4 à 5,5 %. Près de 40 % des terres émergées présentent des sols dégradés. Il en découle une tension sur les ressources alors qu'il faut produire davantage. Le défi alimentaire enfin, avec ce paradoxe : alors que 1,5 milliard de personnes dans le monde souffrent d'obésité ou de surpoids, y compris dans les pays émergents, 2 milliards d'habitants souffrent de la faim ou de carences nutritionnelles. Notre agriculture subit également des crises économiques répétées. On a le sentiment, les uns et les autres, qu'elles s'accélèrent, tant à travers le monde – les émeutes de la faim ont toujours commencé par des crises agricoles – qu'en Europe, et particulièrement en France ces dernières années.

Comment relier ces éléments de contexte pour essayer d'identifier une trajectoire pour notre recherche ? J'ai le sentiment, et je ne suis pas le seul à faire ce constat, que pendant les cinquante dernières années notre agriculture française et l'agriculture mondiale ont réalisé des progrès exceptionnels en misant, il faut le reconnaître et l'assumer, sur la combinaison d'efforts de recherche et l'intensification des moyens destinés à améliorer la productivité. Cela s'est probablement traduit par une simplification des modèles agricoles : on a resserré les choix de sélection variétale et on a simplifié les modèles de production pour gagner, et c'était utile, des éléments de productivité. On a obtenu de bons résultats, mais on a aussi, on le sait, atteint les limites du modèle : en témoignent la stagnation des rendements agronomiques dans le monde, le développement des résistances aux parasites qui deviennent de plus en plus difficiles à combattre, les pollutions et les effets sur les ressources liés à des utilisations excessives d'intrants, l'apparition de carences nutritionnelles liées à un rétrécissement de l'offre alimentaire, des sources alimentaires et des productions agricoles, la perte de valeur ajoutée enfin pour nos agriculteurs qui, en dépit de leurs efforts permanents, se retrouvent pris en tenaille entre des industries d'agrofourniture et des industries aval qui captent une bonne partie de la valeur ajoutée.

Dans ce contexte, que peut-on faire ? Il me semble, et c'est un mouvement que nous avons engagé dans le cadre de la loi d'avenir et qu'il convient d'amplifier en France et dans le monde, qu'il faut réexplorer la diversité des cultures et des systèmes de production agricole et alimentaire. C'est une façon d'améliorer la résilience aux accidents climatiques et sanitaires, mais également de diversifier les sources de micronutriments dans l'offre alimentaire : cela vaut tout particulièrement pour l'Afrique qui doit relever ce défi. Cela peut enfin constituer une source de reconquête de valeur ajoutée pour nos agriculteurs : si l'on baisse les intrants tout en réussissant à maintenir les rendements ou à les accroître, on améliorera d'autant la marge brute de nos agriculteurs.

Pour réussir cette transition, tout le monde doit être mobilisé, et pas uniquement la recherche. Cela dit, celle-ci a un rôle clé à jouer, dans une combinaison avec la formation et l'innovation qui doit être la plus resserrée possible, avec des échanges entre nos appareils de recherche, de formation et d'innovation. L'agronomie, qui est un peu le fer de lance de cette reconquête, n'est pas la seule discipline concernée. Évidemment elle joue le rôle d'une discipline intégratrice : on a besoin de mobiliser la biologie, la génétique, la génomique, l'écologie et les sciences de l'information avec l'explosion du numérique dans l'ensemble des modèles de recherche. C'est une opportunité pour l'INRA, qui a ce savoir-faire et cette capacité d'intégrer des disciplines variées. Mais c'est aussi une source de concurrence pour l'institut qui doit tenir son rang puisque de nouveaux acteurs, et notamment les universités, entrent dans le champ de la recherche en France et dans le monde.

Revoir le processus d'innovation est certainement un élément important pour les dix prochaines années. Développer des innovations, comme on l'a fait jusqu'à présent, en restant sur des modèles relativement simples avec du progrès variétal, des grandes entreprises semencières, du progrès technologique, avec des entreprises de l'agrofourniture qui font un très bon travail et l'INRA, ce n'est pas la même chose que d'avoir à repenser un système de production : il s'agit de passer d'une démarche d'innovations que l'on pourrait qualifier d'incrémentales à une approche d'innovations de rupture. Là, il faut toucher les acteurs sur le terrain. Il va donc falloir repenser les liens entre les acteurs sur le terrain et la recherche. La formation aura un rôle déterminant à jouer. Le renouvellement des générations en agriculture sera certainement un point clé pour réussir cette transition.

L'INRA devra, dans les prochaines années, comme il l'a fait dans son histoire, tenir un équilibre qui n'est pas facile entre un organisme de recherche scientifique de niveau international, avec des publications de très haut niveau sur les fronts de sciences et l'accompagnement des acteurs économiques, et l'accompagnement des agriculteurs. C'est cela qui personnellement me passionne.

Je le dis humblement, n'étant pas interne à l'institut, j'ai appuyé ma réflexion pour définir quels pourraient être les axes d'un projet stratégique pour l'INRA sur la base du document d'orientation de l'INRA 2010-2020, du très bon rapport du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) sur l'INRA, rendu récemment, et qui pointe à la fois ses forces et ses points de vigilance, et, bien évidemment, sur le dialogue et mon expérience propre.

Pour relever ces défis, l'INRA devra à la fois conforter son excellence scientifique – Madame la présidente a rappelé que l'INRA est dans son domaine le premier organisme de recherche en Europe, et probablement le deuxième au niveau mondial derrière le département de l'Agriculture des États-Unis (United States Department of Agriculture, USDA) dans les sciences végétales et animales – et être plus impliqué et encore plus performant dans le domaine de l'innovation. L'INRA devra également faire des choix peu faciles, prioriser des stratégies scientifiques dans ce contexte de concurrence mondiale, autrement dit apprécier ses points forts et nouer des partenariats de façon peut-être encore plus claire que cela n'a été le cas jusqu'à présent aux niveaux européen et mondial.

Une discussion est en cours au sein de l'institut sur la révision des orientations 2010-2020 pour les décliner en orientations 2016-2025. Si vous m'accordez votre confiance, je m'attacherai, avec les équipes et le conseil scientifique, le conseil d'administration et l'ensemble des partenaires, à repartir du travail qui a été engagé en proposant peut-être des compléments sur certains points que j'évoque devant vous. Une fois les orientations stratégiques générales bien cadrées, le plus important consistera à les décliner en plans d'actions concrets et opérationnels afin de mobiliser en conséquence l'ensemble des équipes.

Cinq grandes priorités pourraient être les axes d'un projet stratégique pour l'INRA.

Première priorité : le management des ressources humaines. C'est la force de l'institut : 8 300 agents titulaires présents dans 49 unités expérimentales et 190 unités de recherche, dont les deux tiers sont mixtes, associant des universités ou des écoles d'enseignement. L'INRA, c'est une communauté globale de travail de près de 11 000 personnes si l'on compte les doctorants, les contractuels et les étrangers, ce qui en fait une force de frappe unique. Si l'on y ajoute les écoles d'enseignement supérieur agronomique, les écoles vétérinaires qui sont fédérées dans l'Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France (IAVFF) que vous avez créé dans la loi d'avenir pour l'agriculture, on dispose de la première communauté de recherche au monde sur ces sujets.

En matière de ressources humaines, il faudra être très attentif à la cohésion entre les différents métiers. J'ai parlé de l'équilibre entre les chercheurs, les ingénieurs et les techniciens. Les uns sans les autres ne font rien. Bien évidemment, chacun a besoin d'être reconnu, encouragé. On aura besoin d'attractivité pour assurer le renouvellement des générations dans les dix prochaines années puisqu'il y aura logiquement, comme dans tous les établissements publics, des départs à la retraite et des mobilités. Il faudra les anticiper en restant très attractif, pour que les meilleurs aient envie de travailler à l'INRA.

Deuxième priorité : la stratégie scientifique. En s'inscrivant de façon humble par rapport à tout le travail qui a été effectué – et je reprends là en partie les travaux du Haut Conseil de l'évaluation, de la recherche et de l'enseignement supérieur –, il me semble qu'il faut aller plus loin en matière d'agro-écologie avec une approche « système » – agronomie, écologie, sciences du numérique, sciences économiques et sociales. L'INRA travaille et doit poursuivre ses travaux sur le climat, sur l'air, sur l'eau, ainsi que sur la biodiversité, avec l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Les filières animales, déjà soumises, dans nos pays, à une crise terrible, font souvent l'objet de critiques sur le bien-être animal, les effets sur la santé de la consommation de viande et le bilan carbone, alors même qu'elles sont essentielles à l'équilibre de nos territoires et de notre agriculture. On ne concevra pas une agriculture du troisième millénaire sans donner une place centrale à l'élevage. Je pense que l'INRA a un rôle à jouer autour du nouveau projet pour les filières animales, afin d'aboutir à un meilleur bilan énergétique et d'apporter des réponses en termes nutritionnels comme de bien-être animal.

Troisième priorité : l'innovation, qui se conçoit dès les programmes de recherche en combinant des disciplines différentes. On le sait, le défi de l'agro-écologie ne se fera pas sans innovations technologiques. On a besoin de mobiliser les apports de la biologie, de la microbiologie, des capteurs, de l'agriculture numérique et des sciences économiques et sociales pour trouver ces nouveaux systèmes de production.

Il faut imaginer des démarches de coconstruction avec les acteurs de terrain. Le modèle linéaire dans lequel de magnifiques recherches en laboratoires étaient transmises aux instituts techniques agricoles qui tentaient de mettre au point des itinéraires techniques avant de les envoyer aux chambres d'agriculture, qui, un jour, en informaient les agriculteurs est révolu. Nous respectons le travail des chercheurs, mais ils travaillent désormais en coconstruction avec les acteurs qui font remonter leurs questions, c'est-à-dire des instituts techniques et des réseaux d'agriculteurs innovants engagés sur le terrain. Les laboratoires vivants, living labs, que nous avons envisagé de lancer sont aussi un outil intéressant de ce point de vue.

Quatrième priorité : la politique de coopération avec l'enseignement supérieur. Le paysage bouge beaucoup en France, et c'est tant mieux. Dans les régions, des universités, des communautés d'universités et d'établissements (COMUE) se regroupent et font appel aux organismes de recherche pour essayer de constituer des ensembles de taille critique. L'INRA est présent dans toutes les régions, avec des centres qui sont très performants. Il me semble que l'INRA, qui est déjà un partenaire fort dans la COMUE à Saclay, pourrait aussi clarifier – et peut-être affirmer sur la base de ses forces – sa présence dans l'ensemble des grandes universités régionales. Chaque site majeur de l'INRA a vocation, à terme, à être un pôle de rayonnement mondial sur ses domaines de spécialité dès lors qu'il se sera connecté avec les autres universités.

Cinquième priorité : la stratégie internationale. L'INRA est déjà par nature très international. Les chercheurs de l'INRA sont très engagés dans des collaborations dans le monde entier. Le taux de co-publication entre les chercheurs de l'INRA et les chercheurs étrangers est de près de 50 %, ce qui est bien. Pourquoi parler de la stratégie internationale ? Comme le dit le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, on a le sentiment que l'INRA pourrait être plus clair dans ses stratégies de coopération, en Europe et dans le monde. Au vu de la situation compliquée que traverse l'Europe, y compris après le Brexit, et face à ces défis, il me semble que l'INRA peut, avec des grands partenaires comme Wageningen et d'autres intervenants de la recherche européenne, proposer à la Commission européenne et au Parlement européen un plan d'action pour la recherche agronomique européenne qui permette de mutualiser les infrastructures de recherche pour être plus efficace, et de partager des choix stratégiques.

Au niveau mondial, tout en restant, là encore, à la fois modeste et ambitieux, je pense que l'INRA a les moyens d'être un des acteurs d'un réseau mondial de la recherche agronomique. On peut développer des unités mixtes de recherche au niveau mondial : c'est ce qu'est en train de faire l'INRA avec des laboratoires de Bordeaux, en relation avec l'université du Québec. Il y a matière à développer des unités mixtes de recherche mondiale ; je crois que, loin de diluer l'INRA, cela pourra le renforcer.

Cela fait près de trente ans que je connais l'INRA. J'ai fait mes premières armes professionnelles au ministère de la recherche – à l'époque, Jacques Poly était le président de l'INRA, ensuite ce fut Pierre Douzou puis Guy Paillotin. Après avoir quitté le ministère de la recherche et créé le premier groupement de recherche sur la bio-économie, AGRIS, avec l'INRA, le CNRS et l'Institut français du pétrole, j'ai toujours travaillé avec l'INRA. J'ai toujours été fasciné par cette maison, par sa culture d'entreprise, sa culture d'institut de recherche, la passion de ses chercheurs et le potentiel énorme qu'il recèle pour faire évoluer nos politiques publiques. C'est pour cela que je me suis porté candidat. Si vous m'accordez votre confiance et que je rejoins l'INRA, je serai particulièrement attentif à un management qui ne sera ni descendant, ni de type partisan, mais collégial, collectif, avec les équipes de direction de l'institut qui sont d'excellent niveau, avec les présidents de centre, avec les représentants du personnel et avec tous les agents.

Voilà, Madame la présidente, pourquoi je pense que l'on peut, dans les dix prochaines années, transformer l'INRA en un organisme de recherche global impliqué pleinement dans l'innovation, l'enseignement supérieur, et qui soit un expert de référence au coeur de débats vitaux pour notre humanité.

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