Intervention de Marcel-Francis Kahn

Réunion du 12 juillet 2016 à 9h30
Commission d'enquête sur la fibromyalgie

Marcel-Francis Kahn :

La plupart des travaux scientifiques montrent une prévalence considérable de femmes parmi les malades. J'ai reçu en consultation à l'hôpital Bichat, à Paris, plusieurs centaines de patients qui m'étaient souvent envoyés par des confrères que cette pathologie mettait mal à l'aise ; neuf sur dix étaient des femmes, et la littérature scientifique fait état d'une proportion de 85 à 95 % de femmes parmi les malades. D'autres maladies somatiques, telles la polyarthrite ou le lupus érythémateux systémique, frappent les femmes dans des proportions similaires, sans que l'on en sache non plus la raison.

La dernière recherche que j'ai conduite a consisté à comparer l'arrière-plan psychique des malades fibromyalgiques selon les sexes ; il est apparu que les terrains diffèrent nettement. On trouve chez les femmes un terrain anxio-dépressif, et dans certains cas des crises d'angoisse respiratoire – ce que l'on appelait « tétanie » ou « spasmophilie » et dont on sait maintenant qu'il s'agit également d'une pathologie d'origine centrale. Les hommes ne présentaient pas ces caractéristiques, mais pratiquement tous des troubles obsessionnels compulsifs. Pour expliquer la très forte proportion de femmes souffrant de cette pathologie, l'hypothèse d'une influence hormonale ou biochimique a été avancée, mais rien n'est exactement connu. Aucun travail scientifique n'a mis en cause la considérable prédominance des femmes au nombre des patients fibromyalgiques.

Il est très compliqué de promettre la guérison à une patiente fibromyalgique. Je soulignais dans l'article que j'ai publié dans L'Actualité rhumatologique 2013 combien il est important d'expliquer aux patientes ce dont elles sont atteintes. Elles n'ont pas toujours eu une écoute compatissante et se sont souvent entendu dire que leur maladie était « dans la tête » – mais tout est « dans la tête », à commencer par le visionnage d'un film ou l'écoute d'une musique ! Si on leur a dit que leurs troubles sont d'origine psychique, je leur explique que les travaux les plus récents infirment cette opinion, qu'il s'agit d'une anomalie de la transmission de la douleur et que la pathologie est réelle. Le bon côté de la chose est que je peux leur promettre que la fibromyalgie ne fera jamais d'elles des invalides majeures, qu'elles ne risquent pas de finir paralysées, qu'il n'y a pas de liaison identifiable touchant viscères, muscles ou nerfs et que la situation s'améliorera quand elles avanceront en âge.

La majorité des patientes sont d'âge moyen. Sur l'âge de survenue de la maladie, j'ai une divergence d'appréciation avec certains auteurs, allemands notamment. Un médecin israélien de l'Université de Beer Sheva a fait état de cas de fibromyalgie apparus avant la puberté ; je n'en ai jamais vu ne serait-ce qu'un seul chez les centaines de malades venus consulter. Pour certaines patientes, les troubles avaient commencé entre la puberté et l'âge adulte, mais elles sont peu nombreuses dans ce cas. On admet en général, dans la littérature, que les enfants ne sont pas atteints de ce syndrome, qu'il faut distinguer des « douleurs de croissance ». La fibromyalgie ne se déclare pas non plus chez les individus âgés de plus de soixante-dix ans, autrement dit chez les vieillards, catégorie à laquelle j'appartiens théoriquement, mais chacun sait qu'un vieillard est quelqu'un qui a dix ans de plus que soi… (Sourires). Même si des symptômes épars peuvent apparaître auparavant, le pic très net de l'apparition des symptômes est autour de la ménopause.

Les malades que j'ai suivies très longtemps à l'hôpital Bichat ont pu constater qu'au terme de quinze à vingt ans elles n'étaient pas invalides, que les traitements prescrits avaient eu une certaine efficacité et que leur sort s'était amélioré. Bien entendu, cela ne résolvait pas les problèmes dus à l'incidence de la fibromyalgie sur le travail, la vie familiale et la nécessité d'élever ses enfants. Il m'est aussi arrivé d'expliquer que la pathologie retentit forcément, comme d'autres, sur la vie personnelle, et légitime dans certains cas une approche psychologique ou même psychiatrique. Diriger d'emblée une patiente vers un psychologue ou un psychiatre est catastrophique, mais l'on peut expliquer posément à une patiente qu'il est normal qu'une maladie qui l'invalide, lui pose un problème au travail et un problème de reconnaissance par certains organismes ait un effet anxiogène ou dépressif et que, de même qu'on lui prescrit des antalgiques, elle peut avoir besoin d'un soutien psychologique ou même psychiatrique.

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