Intervention de André Vallini

Réunion du 5 juillet 2016 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

André Vallini, secrétaire d'état auprès du ministre des Affaires étrangères et du Développement international, chargé du Développement et de la Francophonie :

Je suis heureux d'entendre que les choses progressent sur ce front, ce qui n'empêche pas les femmes de rester souvent cantonnées dans des activités spécifiques dans les secteurs agricole et informel, et de disposer d'un accès restreint aux services financiers.

Les femmes subissent également des inégalités sociales, étant privées de droits fonciers, de droit à l'héritage et de droit à la formation.

Elles sont enfin victimes d'inégalités culturelles, soumises à des mariages précoces et forcés, à des mutilations sexuelles ou à des restrictions d'autorité parentale ou familiale au profit du père.

La pauvreté est donc non seulement profondément injuste mais elle est, de plus, fondamentalement sexiste. Et c'est vrai au Sud comme au Nord. Pourquoi ? Parce que les femmes sont socialement plus vulnérables et que, trop souvent, garanties et protections leur font défaut.

L'aide au développement doit donc permettre de corriger ces inégalités profondément ancrées dans les sociétés. Il est en ce sens impératif que l'aide française oeuvre à consolider les droits des femmes et à libérer leur potentiel économique, politique, culturel et social. Pour y parvenir, nous devons actionner en priorité deux leviers : l'éducation et la santé sexuelle et reproductive.

En ce qui concerne l'éducation, l'ONG ONE, que je rencontre régulièrement, a lancé une campagne dont le slogan est parfaitement révélateur : « La pauvreté est sexiste ». C'est vrai, puisqu'une jeune fille qui est pauvre a deux fois plus de risques d'abandonner sa scolarité et de se marier avant l'âge adulte.

Aujourd'hui encore, trop nombreux sont ceux qui refusent que les filles soient scolarisées. Deux événements ces dernières années ont mobilisé l'opinion publique : la tentative d'assassinat contre la jeune Malala Yousafzai, en octobre 2012 au Pakistan, et l'enlèvement de plus de deux cents lycéennes au Nigeria, en avril 2014. Ces drames, parmi bien d'autres, illustrent la crainte, obscurantiste et irrationnelle, qu'inspire l'éducation des filles à certains extrémistes.

Des millions de filles et d'adolescentes sont privées d'éducation dans le monde, et un tiers de celles qui accèdent à l'école ne termine pas le cycle primaire. C'est notamment vrai en Afrique, où je me rends régulièrement : le taux de scolarité y progresse et le nombre d'enfants scolarisés et passé de cinq sur dix en 1990 à huit sur dix aujourd'hui, mais plus de la moitié des filles ne vont pas au bout du cycle primaire.

C'est pourtant à l'école d'offrir aux filles les moyens de s'émanciper. C'est par l'éducation que les filles acquièrent les compétences nécessaires pour accéder à un emploi rémunérateur ; c'est par l'éducation qu'elles apprennent les principes nutritionnels et sanitaires de base ; c'est encore par l'éducation qu'elles deviennent des citoyennes éclairées, pouvant faire respecter leurs droits, au sein de la famille comme au sein de la société. De ce point de vue, les progrès de la parité dans la scolarisation primaire universelle sont un des grands succès des politiques éducatives menées depuis quinze ans, même s'il reste des progrès à faire, notamment au Sahel.

C'est pour toutes ces raisons que j'ai fait de l'éducation ma priorité. En effet, si la santé, la nutrition, le développement des territoires, la gouvernance démocratique sont importants, tout commence par l'éducation. La France mène donc une action déterminée contre les violences de genre en milieu scolaire. Nous soutenons des projets en Afrique pour lutter contre ces violences, et l'UNESCO a adopté en avril 2015, à l'initiative de la France, une résolution sur ce sujet. Nous porterons également cet été des recommandations ambitieuses auprès de la Commission internationale sur le financement de l'éducation, et je plaide devant la représentation nationale pour que les financements en faveur de l'éducation soient significativement augmentés.

Nous devons faire, dans les années à venir, pour l'éducation, ce que nous avons fait avec succès dans la lutte contre les grandes pandémies, c'est-à-dire accroître sensiblement nos financements et agir de façon concertée, cohérente et transversale. Aujourd'hui, les efforts engagés en faveur de la santé et en faveur de l'éducation sont sans commune mesure : le budget du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme est de 12 milliards de dollars sur trois ans, c'est-à-dire quatre milliards par an ; en comparaison, le budget du principal véhicule d'action multilatérale pour l'éducation, le Partenariat mondial pour l'éducation (PME), est inférieur à 2 milliards de dollars sur cinq ans, soit dix fois moins.

Mon propos n'est pas ici de dire qu'il faut faire moins pour la santé, et les spécialistes s'accordent à dire que, si nous maintenons nos efforts au niveau où ils se trouvent – ce que la France s'engage à faire, comme je le réaffirmerai à Montréal, en septembre prochain, lors de la cinquième conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme –, ces trois maladies pourraient être vaincues d'ici 2030. Mon propos est de dire qu'il faut faire pour l'éducation le même effort que pour la santé.

Ce qui m'amène à la question de l'émancipation des jeunes filles et des femmes par l'accès au droit à la santé reproductive et sexuelle, qui est une deuxième condition essentielle de leur autonomisation.

Plus de quinze millions de filles entre quinze et dix-neuf ans donnent naissance à un enfant chaque année, la plupart dans un contexte de mariage forcé et précoce. Les implications en termes de santé comme d'accès à la formation et à l'emploi sont nombreuses. Permettre aux jeunes filles d'accéder à l'information, à l'éducation sexuelle, aux soins reproductifs, c'est leur donner le pouvoir de disposer de leurs corps, de choisir leur vie et donc aussi, le plus souvent, de sortir de la pauvreté. C'est aussi un prérequis pour faire baisser la natalité et faire face au défi démographique.

C'est en effet l'un des graves problèmes de l'Afrique où, dans certains pays en plein développement économique, la croissance économique est littéralement « mangée » par la croissance démographique, sachant que, pour des raisons tenant à certaines pesanteurs culturelles et religieuses, les dirigeants africains, même s'ils sont conscients du problème, ont parfois du mal à faire de ces questions des enjeux publics.

Nous devons donc concentrer notre aide là où les besoins sont les plus importants, dans les pays les plus pauvres, et au service des populations les plus vulnérables. La France a donc fait le choix d'orienter ses interventions en matière de santé reproductive, en priorité vers l'Afrique de l'Ouest et du Centre. Le Cameroun, par exemple, connaît le plus fort taux de mortalité infantile mais également le plus fort taux de décès en couches. Plus globalement, l'Afrique de l'Ouest est la région du monde qui connaît le plus faible taux de contraception et la plus forte prévalence de grossesses adolescentes : environ 120 naissances pour 1 000 femmes, soit le double de la moyenne mondiale. Dans plusieurs pays de cette région, un tiers des filles sont mariées avant l'âge de quinze ans et, dans des pays comme la Guinée et le Mali, plus de 90 % des filles subissent encore des mutilations sexuelles.

En 2010, le G8 a pris un engagement sur la santé maternelle et infantile. La France y a contribué à hauteur de 500 millions d'euros sur cinq ans, car cela répond à notre objectif : promouvoir les droits des femmes, encourager l'éducation des filles, défendre les droits sexuels et reproductifs. Nous continuerons de nous mobiliser en ce sens, et c'est la raison pour laquelle, madame la présidente, nous avons abondé le Fonds français Muskoka de 10 millions d'euros afin de poursuivre nos efforts une année supplémentaire.

J'en viens à présent à mon dernier point, qui concerne la promotion de l'égalité de genre sur la scène internationale. Les travaux des économistes du développement tels que Jeffrey Sachs et Esther Duflo démontrent qu'au-delà de l'accès aux ressources, ce sont souvent les idéologies et les stéréotypes qui empêchent l'éradication de la pauvreté et l'autonomisation des femmes.

Jeffrey Sachs, lors d'une conférence consacrée au financement de l'éducation à Paris le mois dernier, rappelait que le problème n'est pas le manque d'argent mais la manière d'allouer les ressources nationales. Les politiques publiques pérennisent trop souvent des situations qu'il faut faire évoluer. Il est donc indispensable de changer les mentalités, les perceptions et les attitudes. Et cela doit commencer dès le plus jeune âge, dans cette période où certains pères rechignent à envoyer leurs filles à l'école, par crainte d'y voir leur parole et les valeurs familiales qu'ils promeuvent contredites par le discours des éducateurs.

C'est donc toute une construction sociale et sociétale multiséculaire que nous devons corriger, loin de toute tentation ethnocentriste mais, au contraire, au nom de valeurs universelles. C'est ce que nous nous sommes engagés à faire avec les objectifs de développement durable (ODD) : l'égalité femmes-hommes est un prérequis à l'éradication de la pauvreté et donc au développement.

En réponse, la France s'est dotée d'une stratégie « Genre et développement », qui intègre de manière systématique les questions de genre dans ses instruments de financements, dans ses projets sur le terrain, comme dans ses politiques de développement et ses actions de solidarité internationale. Notre opérateur principal, notre bras séculier, l'AFD, l'a également fait depuis 2012 dans toutes ses actions au Sud.

L'année 2015 a été celle de la diplomatie des droits des femmes. La France s'est mobilisée afin que des positions ambitieuses soient défendues au sein des enceintes internationales et européennes. L'accord de Paris sur le climat a notamment permis de reconnaître le rôle particulier que jouent les femmes dans la lutte contre le dérèglement climatique.

La résolution « Femmes, paix et sécurité » du Conseil de sécurité des Nations unies en est un autre exemple : les femmes doivent être protégées dans les conflits, comme elles doivent être pleinement associées aux processus de transition politique, notamment dans les pays en reconstruction.

Nous promouvons cette politique dans toutes les enceintes multilatérales – à Bruxelles, à New York et à Genève – et dans notre dialogue bilatéral avec les pays où notre politique de développement est particulièrement active.

La lutte contre la pauvreté et les inégalités est avant tout une question de volonté, individuelle et collective. Je me félicite donc de la mobilisation des parlementaires et de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, aux côtés des organisations de terrain. Je salue votre rôle, madame la présidente, ainsi que celui de Mme Nicole Ameline, députée et membre du Comité des Nations unies pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDEFCEDAW).

Ce combat pour l'égalité sera certainement long, mais nous le gagnerons, ensemble. Et je voudrais conclure en citant un Dauphinois, que je considère comme le plus grand écrivain français de tous les temps, Stendhal, qui a écrit : « L'admission des femmes à l'égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain. ». (Applaudissements.)

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