Intervention de Éric Ciotti

Réunion du 6 septembre 2016 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Ciotti :

Au nom du groupe Les Républicains, je vous remercie, monsieur le président, d'avoir accédé à notre demande, formulée au moment du débat sur l'état d'urgence, de réunir la Commission en vue d'obtenir des éléments de précision après la tragédie subie par la ville de Nice et les interrogations légitimes qu'elle a suscitées. Dans mon intervention, j'aurai naturellement soin d'éviter toute forme de polémique. Vous avez rappelé le contexte, madame ; je vous en donne acte.

Comme je l'avais fait à l'époque ici même et à la tribune de l'Assemblée, je veux redire aujourd'hui toute ma reconnaissance aux forces de l'ordre qui sont intervenues ce soir-là, au premier rang desquelles la police nationale, placée sous l'autorité du contrôleur général Marcel Authier. Je n'oublierai jamais le regard de cette jeune policière qui, dans la nuit du 14 au 15 juillet, devant le Palais de la Méditerranée, a relaté au ministre de l'intérieur, en présence de plusieurs élus dont je faisais partie, les circonstances dans lesquelles, avec deux de ses collègues de la police nationale, elle a intercepté avec un extraordinaire courage le camion qui venait de causer la tragédie. Ma gratitude va également à la police municipale et – même si ce n'est pas l'objet de l'audition – à tous les services de secours, dont l'action, de l'avis de tous, fut exemplaire, qu'il s'agisse des sapeurs-pompiers du service départemental d'incendie et de secours (SDIS), que je préside, ou des services hospitaliers, qui ont organisé une chaîne de secours remarquable.

Près de deux mois après la tragédie, nous ne pouvons évoquer les faits sans dire aussi l'émotion que nous inspirent les nombreuses victimes – 86 morts, plus de 300 blessés, plusieurs milliers de personnes concernées.

Il convient aujourd'hui d'apporter des réponses très précises, avec sérénité, avec le recul du temps, mais aussi avec la volonté de tirer toutes les conséquences du drame pour, en améliorant nos dispositifs, éviter que celui-ci ne se reproduise ailleurs. Vous l'avez dit, des polémiques se sont fait jour. Personnellement, je ne peux bien entendu que le regretter, car elles ajoutent à l'émotion et à la gravité de la tragédie vécue par la ville de Nice, que j'ai l'honneur de représenter à l'Assemblée nationale. Néanmoins, ces polémiques, dont il ne s'agit pas ici de savoir qui les a suscitées, se sont fondées sur certaines contradictions : dans leur communication, les services de l'État, notamment, ont, sur des sujets très particuliers, fourni des éléments contradictoires ou qui, de manière peut-être tout à fait involontaire, donnaient l'impression de l'être.

La question des effectifs, d'abord, doit être posée. Sur ce point, nous avons entendu des versions très différentes, et c'est ce qui a donné lieu aux débats. Ainsi, le samedi 16 juillet, le porte-parole du Gouvernement, M. Le Foll, parlait de 185 policiers présents sur place. Deux heures plus tard, lors d'une conférence de presse, le préfet des Alpes-Maritimes évoquait, lui, 64 policiers, avant de diffuser peu après, au cours d'une autre conférence de presse qui faisait suite à l'article paru dans Libération, un document PowerPoint mentionnant 36 policiers au sein du dispositif. Sur cette question centrale, les différences étaient donc notables.

On a aussi entendu des versions qui pouvaient sembler contradictoires concernant la tenue du point de contrôle de l'accès à la zone piétonne. Dans un premier temps, il a été indiqué que ce point de contrôle était tenu par un véhicule de police en des termes qui, dans la bouche du préfet, pouvaient être interprété comme désignant la police nationale. Puis Libération a publié en une des images montrant qu'il s'agissait d'un véhicule de police municipale.

Le troisième débat a porté sur un sujet dont vous ne vous êtes pas saisie ; personnellement, je le regrette et j'aimerais que vous nous expliquiez pourquoi. Je veux parler de la polémique née de la captation des images au centre de supervision urbain (CSU). Dans Le Journal du dimanche, la responsable du centre a évoqué l'intervention d'une source policière, expliquant qu'un commissaire de police était venu réclamer les images. L'article paraît le dimanche matin. À 14 heures, le procureur Molins, chargé de l'enquête, indique que ce n'est pas possible puisque les seules saisies d'images enregistrées par les caméras de vidéosurveillance ont été effectuées dans le cadre de l'enquête judiciaire, ce qui est tout à fait légitime, et par l'intermédiaire de deux brigadiers de la police judiciaire intervenus à sa requête. Tout cela paraît normal. Le procureur Molins semble donc contredire la version de la responsable du CSU. Mais, à 17 heures, M. Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale, indique que, outre ces deux brigadiers, un commissaire de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) est lui-même intervenu au titre d'une mission d'information classique, en vue de transmettre des images et une analyse à sa hiérarchie.

Je ne porte aucun jugement, mais, sur ces trois points, on constate des contradictions émanant des services mêmes de l'État, ou par lesquelles des responsables ministériels s'écartent des autorités judiciaires ou policières. Si des questions se posent, c'est à cause de ces versions très différentes. J'ai eu l'occasion de le dire au ministre de l'intérieur : pour éviter toute polémique, il faut avoir une communication précise. En particulier, le fait qu'il y ait eu trois versions distinctes concernant le nombre de policiers présents et une telle différence entre les propos du DGPN et ceux du procureur de la République de Paris a pu instiller des doutes, et c'est inopportun.

J'aimerais vous interroger, madame, sur votre analyse actuelle de la situation. Pour vous, en conscience, le dispositif de sécurité était-il suffisamment bien dimensionné ?

Nice est la cinquième ville de France ; sa population double en période estivale, comme celle de l'ensemble du département au moment du 14 juillet ; la manifestation constituée du feu d'artifice et de la Prom' Party devait accueillir environ 30 000 personnes. Vous soulignez vous-même un point très important en établissant une comparaison avec les deux éditions précédentes, qui – contrairement à celle-ci, hélas – ne se déroulaient pourtant pas dans le cadre de l'état d'urgence.

C'est essentiel dans un département où le nombre d'individus signalés pour radicalisation dépasse 500 et où le nombre de départs pour les théâtres de guerre en Syrie et en Irak avoisine la centaine. Les Alpes-Maritimes subissent de ce fait une menace particulière ; les deux commissions d'enquête présidées respectivement par moi-même et par Georges Fenech l'ont démontré. Vous évoquez l'absence d'alerte de la part du renseignement territorial, mais avez-vous interrogé la sécurité intérieure dans le cadre de votre mission ? À ma connaissance, il existait tout de même des indicateurs à prendre en considération. À Nice, un individu qui apparaissait comme extraordinairement dangereux ne vient-il pas d'être condamné à trois ans de prison ferme pour apologie du terrorisme ?

C'est vous, et je vous en donne acte, qui avez la première, au côté des syndicats de police, posé ce problème : comment se fait-il que, contrairement à ce qui s'était passé en 2014 et en 2015, il n'y ait pas eu à Nice d'unités de forces mobiles ? Vous soulignez que cinq unités de forces mobiles étaient présentes dans la zone de défense Sud, affectées par le préfet délégué pour la sécurité : une à Carcassonne, une à Montpellier, une à Toulouse, une à Marseille et une à Avignon. Vous ne précisez d'ailleurs pas le cadre d'intervention de cette dernière unité, dont je crois savoir qu'elle relevait des gendarmes, alors que vous le faites pour les quatre autres villes. Pour quel dispositif les gendarmes mobiles étaient-ils donc requis à Avignon ? Selon vous, était-il judicieux de refuser une unité de forces mobiles à Nice dans ce contexte, dans cet environnement ?

Je m'étonne aussi que vous n'ayez pas souhaité vous saisir, dans le cadre de votre mission, des images de vidéoprotection, qui représentent tout de même un élément essentiel. Vous dites ne pas pouvoir le faire parce qu'elles relèvent de l'enquête judiciaire. Mais l'intervention de la DCSP pour réclamer ces bandes ne se situait pas dans le cadre de l'enquête judiciaire ! Vous auriez donc pu, dans le même esprit, les utiliser, ce qui vous aurait fourni un élément d'appréciation fondamental du calibrage du dispositif et de l'articulation entre police nationale et municipale en son sein.

Monsieur le président, je vous remercie à nouveau de cette audition. Je souhaite que nous tirions collectivement les leçons de ce qui s'est passé, en adaptant nos dispositifs de sécurisation à la lumière des événements de cette nuit d'horreur sur la promenade des Anglais.

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