Intervention de Marie-France Monéger-Guyomarc'h

Réunion du 6 septembre 2016 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Marie-France Monéger-Guyomarc'h, directrice, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale :

Je ne peux qu'être d'accord avec vous, messieurs les députés, sur le fait qu'il nous faut tirer tous les enseignements de cet épouvantable drame afin d'éviter absolument qu'il ne se reproduise. À cette fin, plusieurs actions ont été lancées, dont des « retours d'expérience » sous la responsabilité du directeur départemental de la sécurité publique à Nice et du préfet du département ; d'autres seront organisés au niveau de la direction générale, qui vont nous amener à décliner du point de vue technique des mesures très pointues. L'idée est de tirer les conséquences de l'événement à tous les niveaux d'activité de la police – le renseignement, l'ordre public, la sécurité publique, etc. – pour produire des instructions nouvelles et, surtout, des « fiches réflexes » car, sur le terrain, les agents ont besoin de réagir très vite, non seulement selon leur coeur et avec leur courage, mais de manière très professionnelle et articulée à l'action des autres. Je puis vous assurer que la nécessité de ces retours d'expérience après le drame épouvantable qui nous a tous marqués fait consensus à tous les échelons du ministère de l'intérieur.

J'en viens aux effectifs, à la tenue des points de contrôle et aux polémiques qui ont jailli très rapidement autour des différences entre les chiffres, ou entre leurs diverses présentations. Cette situation, évidemment tout à fait regrettable, doit être mise en rapport avec l'immense émotion que la France entière a éprouvée et avec la pression née d'une très forte demande de communication, au demeurant parfaitement compréhensible en démocratie. Cela étant, nous nous sommes aperçus que, de tout ce qui avait été dit, rien n'était faux ; simplement, les présentations étaient parcellaires et différentes. Il me semble que tout le monde n'a pas tout compris de la même manière : la rapidité avec laquelle on a voulu donner des informations en faisant preuve d'une grande transparence a amené à des confusions et à des interprétations diverses.

En ce qui concerne les effectifs, la mission de l'IGPN a pu vérifier sur le terrain, à l'unité près, qu'il y avait bien 64 policiers nationaux au sein du dispositif. La note de service de la sécurité publique montre que 39 d'entre eux étaient prépositionnés sur la promenade des Anglais, depuis le point Meyerbeer jusqu'aux Phocéens. Ce qui a été dit n'était donc pas faux. Que le premier chiffre donné ait été plus élevé s'explique probablement par le fait que 197 policiers nationaux ont pris leur service et assuré une mission de sécurité à Nice le 14 juillet. Parmi eux, 107 ont concouru spécialement à l'ensemble des festivités du 14 juillet – défilé et Prom' Party –, dont 64 étaient présents à la Prom' Party, y compris les 39 prépositionnés.

Toutefois, comme j'ai tenté de l'expliquer, le prépositionnement correspond à l'endroit où les agents prennent leur service. Mais certains ne vont pas bouger – ils sont aux points de contrôle –, tandis que les autres se déplacent en même temps que la foule. C'est ainsi qu'un service est fait ; il serait inutile que des agents attendent sur la promenade, devant la barge d'où est tiré le feu d'artifice, cependant que la foule, elle, s'en va : il faut l'accompagner, et même la précéder.

Bref, tous les chiffres qui ont été cités sont vrais, mais ils n'ont pas tous été mis en perspective. De ce fait, ils ont pu être diversement interprétés et susciter des interrogations, dans un but polémique ou tout simplement afin de mieux comprendre.

J'en viens à la polémique sur l'appartenance des véhicules à la police municipale ou nationale. Comme je l'ai expliqué, spécialement pour le 14 juillet, la police nationale a gardé jusqu'à 20 heures 30 les points de circulation, habituellement tenus par la police municipale, afin de permettre aux collègues appartenant à cette dernière de défiler et de se rendre à la garden-party du maire. Ensuite a lieu la relève, afin d'assurer normalement la mission de circulation, de sorte que c'est bien la police municipale qui tient le point Gambetta à 21 heures ou 21 heures 30. Sur ce point non plus, il n'y a rien de caché, rien d'obscur, et il n'y a certainement pas de mensonge.

Monsieur Pietrasanta, il est évident que la responsabilité de la circulation incombe à la police municipale. C'est ainsi que le code général des collectivités territoriales le dispose, que la convention précitée le stipule à Nice et que les notes de service des deux forces le prévoient – moyennant le basculement propre au 14 juillet, aux alentours de 20 heures 30 ou 21 heures.

En ce qui concerne la captation des images, je vous entends, monsieur Ciotti, et j'aurais personnellement été beaucoup plus à l'aise si j'avais pu les voir. Mais l'IGPN, dans sa compétence d'audit, s'efface devant l'enquête judiciaire menée par le procureur de la République. Voilà pourquoi il ne me serait jamais venu à l'esprit de demander à celui-ci de me communiquer ces images au cours des journées qui ont suivi l'attentat. Nous avons été saisis le 21 juillet, les deux contrôleurs généraux ont pris l'avion le 22 et, à cette date, les choses sont claires, le procureur de la République de Paris ayant lui-même été très clair : l'IGPN ne verra pas les images, elle se l'interdit totalement, en sus de l'interdiction légale qui pèse sur elle.

J'ai lu Le Journal du dimanche avec intérêt. L'IGPN, cette fois au titre de sa compétence d'enquête – d'enquête judiciaire –, est bien saisie de l'affaire par le procureur de la République de Nice, eu égard aux deux signalements qui ont été effectués en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale : le premier par Mme Bertin, responsable du centre de supervision urbain de la police municipale, le second par MM. Pradal et Estrosi. Dans ces conditions, vous comprendrez que je ne puisse en dire un seul mot. Le procureur de la République de Paris a quant à lui saisi la police judiciaire de Paris à la suite de la plainte déposée par le ministre de l'intérieur. Sur ces sujets aussi, les enquêtes judiciaires prennent le pas sur les autres démarches, de sorte que je ne puis rien en dire.

J'en viens à l'analyse de la situation – le point le plus important. Je ne peux évidemment que constater l'absence, cette année, de forces mobiles – CRS ou gendarmes mobiles. De même, je ne peux que constater que le directeur départemental de la sécurité publique, auquel ces forces mobiles ont manqué, a fait tout son possible pour augmenter peu à peu ses effectifs, mais que ses effectifs globaux sont légèrement inférieurs à ceux de l'année dernière et à ceux de l'année précédente. Je constate aussi la très forte tension qui pèse sur les effectifs, notamment ceux des forces mobiles qui ont vécu une année particulièrement lourde – nul besoin d'égrener ici les innombrables missions qui leur ont été confiées. La déflation qu'ils ont subie n'étant pas encore rééquilibrée et face à l'ampleur des événements, ces forces ont donc été « sur-sollicitées ».

Nous avons calculé le nombre d'agents de la police nationale affectés aux Alpes-Maritimes, soit dans le cadre d'événements importants, soit pour accomplir des missions de contrôle des frontières et de l'immigration irrégulière : il est particulièrement élevé. Entre le début de l'année et le 25 juillet, 105 unités de forces mobiles ont été mobilisées dans le département pour une durée totale d'engagement de 57 jours – à quoi s'ajoutent les missions liées à l'Euro 2016, qui ont mobilisé jusqu'à quatre unités par jour, et les opérations de contrôle aux frontières, qui ont mobilisé deux à quatre unités par jour. Plus d'une demande de concours sur deux a été honorée – une proportion qui n'est pas atteinte dans beaucoup d'autres départements. Le 14 juillet, cinq unités de forces mobiles étaient disponibles dans la zone, et rien dans leur répartition ne me semble choquant. Il était justifié d'affecter des unités de forces mobiles à certains secteurs et à certains événements.

L'affectation de forces mobiles sur place aurait-elle changé quelque chose ? Il va de soi que la présence d'une unité de forces mobiles aurait réduit d'autant l'investissement de la direction départementale de la sécurité publique, puisqu'elle n'aurait pas été affectée en plus des forces locales, mais en leur lieu et place. Les notes de service de 2014 et 2015 montrent que les unités de forces mobiles déployées à l'époque ont accompli exactement les mêmes missions que les unités de la DDSP cette année. Autrement dit, si des forces mobiles – vingt ou trente agents, par exemple – avaient été affectées cette année, elles auraient été réparties de la même manière que l'ont été les unités locales – aux points de contrôle et dans les patrouilles mobiles – puisque l'analyse du risque, elle, serait demeurée identique. Or, l'attaque a commencé deux kilomètres plus haut ; ce n'est pas à cet endroit que les forces mobiles auraient été déployées, et le camion aurait donc pris le même chemin en faisant autant de victimes. Au fond, plus que par l'affectation d'hommes et de femmes sur le terrain, c'est en déployant des dispositifs techniques adaptés à ce type d'attaques que l'on pourra sécuriser un site. Avec des « si », on mettrait Paris en bouteille, et là n'est pas mon propos ; encore une fois, je ne suis pas sûre que la présence de vingt ou trente agents supplémentaires aurait modifié la conception même du dispositif et, par conséquent, le résultat.

Il faut désormais s'interroger sur la manière de sécuriser des sites comme la promenade des Anglais. Ce lieu merveilleux a été conçu pour être ouvert et entièrement accessible, de sorte que chacun puisse s'y promener sans être gêné. Pour les promeneurs et les touristes, le résultat est magnifique ; en termes de sécurité, ce caractère ouvert pose problème. À Nice comme partout ailleurs en France, il me semble donc nécessaire de procéder au réexamen systématique du format, de la conception et du déroulement d'événements comme celui du 14 juillet. Nous devons imaginer des solutions alternatives qui garantissent une meilleure sécurité et en accepter le coût – non pas seulement en termes d'effectifs. À mon sens, il faut même si possible s'interroger sur les lieux choisis. Il va de soi que les feux d'artifice ne seront jamais tirés dans des gymnases, mais les événements doivent être programmés dans des lieux où la sécurité peut être mieux assurée. Il convient par exemple d'aménager la voie publique en installant des plots et en rehaussant les trottoirs – comme le sait bien M. Ciotti, la promenade des Anglais est, en certains endroits, dépourvue de trottoirs, précisément parce que l'idée était d'en faire un lieu ouvert, ce qui se comprend très bien. Un mobilier urbain adapté doit permettre de sécuriser les lieux, mais il nous faut dans le même temps garder à l'esprit que l'ouverture est nécessaire à la circulation des personnes, notamment lorsqu'elles sont rassemblées en foule. Nous avons connu assez d'incidents dus à des foules non maîtrisées qui, s'étant emballées, ont provoqué l'écrasement de personnes ; les concepteurs d'événements sont toujours attentifs à canaliser voire, le cas échéant, à évacuer rapidement une foule en évitant tout risque d'écrasement. De ce point de vue, la sécurité situationnelle peut nous ouvrir des pistes et nous conduire à prendre certaines décisions qui concerneront tout à la fois le matériel, le mobilier et les effectifs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion