Intervention de Sébastien Denaja

Réunion du 21 septembre 2016 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Denaja, rapporteur :

Le texte qui nous est soumis se situe dans le prolongement de l'action résolue menée depuis bientôt cinq ans pour la transparence et la rénovation démocratique. Citons la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui a créé la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), mais aussi celle du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, qui a, elle, créé le parquet national financier, un outil dont l'actualité récente nous a confirmé l'efficacité et l'opportunité : c'est lui qui instruit notamment l'affaire « du siècle », celle des Panama papers.

Mais le texte a aussi son ambition propre, que traduit son champ particulièrement large : favoriser une action publique plus transparente, garantir la probité des comportements économiques, améliorer la régulation financière, renforcer les droits des consommateurs et faciliter le financement des entreprises.

Le projet est également audacieux, car il aborde des sujets difficiles et propose des réformes trop longtemps différées : le renforcement de la lutte contre la corruption, la protection des lanceurs d'alerte – un domaine dans lequel la France non seulement fait oeuvre utile, mais se situe à l'avant-garde de l'Europe et du monde –, l'encadrement du lobbying ou encore les obligations de reporting des entreprises.

Ce texte est le fruit d'un travail mené selon une procédure originale, à laquelle notre commission n'avait recouru sous cette législature qu'une seule fois : la délégation au fond de plusieurs articles à d'autres commissions, ici celles des Affaires économiques et des Finances. Notre collaboration avec leurs deux rapporteurs pour avis a été particulièrement fructueuse.

En ce qui concerne le texte proprement dit, où en sommes-nous ?

C'est de deux textes que nous sommes en réalité saisis à l'issue de nos travaux en première lecture. Au projet de loi ordinaire préparé par le Gouvernement, nous avons en effet adjoint une proposition de loi organique étendant le domaine de compétence du Défenseur des droits afin d'en faire la clé de voûte du système de protection des lanceurs d'alerte. Il s'agit d'une initiative parlementaire, à propos de laquelle je salue le volontarisme du groupe majoritaire conduit par Mme Sandrine Mazetier, sans qui rien n'aurait été possible.

Le projet de loi comptait initialement 57 articles ; il en comporte désormais 156. Parmi eux, 50 ont été adoptés dans des termes identiques par les deux chambres. Il en reste donc 106 en discussion.

Nos échanges avec le Sénat ont commencé début juin, avant même que la chambre haute ne soit réellement saisie du texte. Les rapporteurs pour avis et moi-même avons travaillé avec nos homologues dans un climat de grande cordialité. Cela nous permet de progresser aujourd'hui de manière plus harmonieuse sur différents sujets.

Lors de nos discussions avec le Sénat, de nombreux points de consensus se sont fait jour, notamment dans les domaines financier et agricole – je laisserai MM. Colas et Potier en parler. C'est particulièrement important en matière agricole : certaines des mesures introduites dans le texte sont urgentes, singulièrement celles qu'attendent à juste titre les acteurs du secteur laitier.

D'autres points de convergence concernent la HATVP ou la vie des entreprises.

Il existe, en revanche, des « points durs », des divergences, qui ont empêché la CMP d'aboutir.

Premièrement, l'article 13, relatif à l'encadrement du lobbying. Il crée un répertoire des représentants d'intérêts intervenant auprès des pouvoirs publics, en particulier du Gouvernement, de l'Assemblée nationale et du Sénat. Nous, députés, prônons un répertoire unique pour toutes ces institutions. Le président de l'Assemblée nationale lui-même y tient beaucoup, ainsi que l'ensemble du Bureau, ce qui s'est traduit par plusieurs amendements en première lecture. Le Sénat, lui, préférerait un répertoire dont il conserverait l'entière maîtrise. Nous formulerons donc des propositions visant à préserver le répertoire unique tout en respectant le principe d'autonomie institutionnelle des assemblées.

Nos discussions ont ensuite achoppé sur les articles 6F et 6G, relatifs à certains aspects du statut des lanceurs d'alerte. Il s'agit en particulier de l'aide financière qui leur est accordée et de la suppression des dispositifs sectoriels. Dans le texte que nous avons adopté en première lecture, cette dernière mesure traduisait notre volonté de créer un statut général des lanceurs d'alerte. Telle n'était pas la volonté du Sénat ; or ce point nous semble essentiel. Nous sommes néanmoins en mesure d'aboutir à une rédaction équilibrée qui pourrait susciter l'approbation du Sénat, en améliorant la définition des lanceurs d'alerte à l'article 6A et en renforçant la responsabilité de ceux qui ne seraient pas de véritables lanceurs d'alerte.

Le troisième point d'achoppement concerne l'article 8.

Nous avons voulu, relayant les intentions du Gouvernement, doter la France d'un outil performant de prévention et de lutte contre la corruption, que nous avons baptisé, suivant ma proposition, l'Agence française anticorruption (AFA). Celle-ci doit remplacer l'actuel Service central de prévention de la corruption (SCPC), qui, doté en 2012 de 4,75 ETP, bénéficiera bientôt de 70 agents : les moyens alloués à la lutte contre la corruption augmentent notablement. Créé en 1993 par la loi dite Sapin 1, le SCPC avait été réduit aux acquêts entre 2007 et 2012 ; sans doute cette lutte n'était-elle pas alors la priorité gouvernementale.

Dans cet article, nous voulons rétablir la commission des sanctions, une instance essentielle au nouvel édifice que constituera l'AFA. Nous souhaitons également doter celle-ci de toutes les garanties d'indépendance fonctionnelle, s'agissant notamment de la nomination de son directeur ou de sa directrice.

J'en viens à l'article 54 bis. En première lecture, un amendement d'initiative parlementaire concernant la rémunération des dirigeants de grandes entreprises a été adopté en commission, puis en séance après avoir été amélioré. Nous voulons que le vote de l'assemblée générale des actionnaires précède le versement de la rémunération : il s'agit en somme d'inverser l'ordre d'intervention du conseil d'administration et de l'assemblée générale des actionnaires pour faire de celle-ci le lieu où sont prises les décisions en la matière. Nous souhaitons en outre que le vote de l'assemblée générale soit annuel et porte sur chaque rémunération dans tous les éléments qui la composent. Le Sénat a adopté une approche beaucoup plus souple et beaucoup moins volontariste : le vote aurait lieu pour une période de quatre ans et concernerait la politique de rémunération plutôt que la rémunération elle-même.

Il est un autre point de blocage à propos duquel je me suis fait avec vous, monsieur le président, le défenseur de l'Assemblée nationale et de ses prérogatives en matière d'élaboration de la loi. Les sénateurs avaient en effet incorporé au texte une part substantielle – quelque trente pages ! – d'une proposition de loi de M. Thani Mohamed Soilihi relative au droit des sociétés, que le Sénat lui-même n'avait examinée qu'en commission et dont l'Assemblée nationale n'avait donc jamais débattu. Au nom du respect des prérogatives de l'Assemblée, il me semblait absolument exclu qu'une CMP, soit sept députés et sept sénateurs seulement, entérine une réforme du droit des sociétés dont nous n'avions jamais discuté la moindre virgule. C'est même à mes yeux le point d'achoppement le plus important, bien que d'autres aient davantage focalisé l'attention, notamment celle des médias.

En ce qui concerne les lanceurs d'alerte, nous vous proposerons de perfectionner la définition sur laquelle nous avons travaillé en première lecture, notamment pour embrasser l'ensemble des cas que nous avons tous en tête, comme celui d'Antoine Deltour au Luxembourg. Nous lui intégrerons notamment la méconnaissance des conventions internationales ou des actes de droit dérivé qui en découlent et la notion de préjudice grave pour l'intérêt général, afin de tenir compte des préoccupations légitimes que relaient plusieurs organisations non gouvernementales. Le but restant de trouver des points de convergence avec le Sénat, cet enrichissement aura pour contrepartie, je l'ai dit, une responsabilité accrue, à la fois pénale et civile.

En ce qui concerne l'AFA, outre le rétablissement de la commission des sanctions qui évitera de couper les bras à l'agence tout juste créée, nous souhaitons également rétablir sa double tutelle : celle du garde des Sceaux, que le Sénat avait seule conservée, et celle du ministre du Budget. Cette double tutelle renforcera l'indépendance de la structure vis-à-vis de l'exécutif – auquel elle demeure toutefois rattachée en tant que service à compétence nationale – ainsi que son attractivité. En effet, les auditions que nous avons menées l'ont montré, l'agence pourra ainsi attirer les agents les plus spécialisés de Tracfin, les magistrats financiers, etc.

En ce qui concerne le registre unique, je vous l'ai dit, nous souhaitons revenir à la logique de nos travaux en première lecture, en particulier des amendements issus des réflexions du Bureau de l'Assemblée nationale.

Je vous remercie du travail accompli ensemble. Nous en sommes à un stade de perfectionnement du texte : c'est aussi le sens de la navette, même si certains se plaignent parfois de la longueur des procédures parlementaires, que de garantir la sécurité juridique des lois adoptées. Je vous demanderai donc de suivre mes recommandations, s'agissant notamment des nouvelles rédactions proposées, lesquelles résultent d'un gros travail de sécurisation juridique. C'était nécessaire : parce qu'il est audacieux et ambitieux, le texte s'aventure parfois en terre inconnue. Or, au sein de cette commission, nous sommes aussi garants du respect de la Constitution.

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