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Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 21 septembre 2016 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

Monsieur le président, je vous remercie à nouveau de m'accueillir dans votre commission.

J'aimerais, tout en rendant hommage au rapporteur, appeler son attention sur quelques points qui concernent ma contribution à ce texte, c'est-à-dire la dimension internationale, notamment transatlantique.

La mission d'information sur l'extraterritorialité de certaines lois des États-Unis, que je préside et dont Mme Karine Berger est la rapporteure, a auditionné de nombreuses personnes, parmi lesquelles des chefs d'entreprise et, hier, le procureur de la République financier, Mme Éliane Houlette. Il en ressort que le dispositif de transaction pénale que nous avons introduit dans le texte, prévoyant des amendes et une procédure de mise en conformité, est de nature à permettre d'éviter ce qui se produit aujourd'hui : nos entreprises se placent d'emblée sous les fourches caudines de l'Office of Foreign Assets Control (OFAC) et du ministère américain de la justice. La loi devrait donc renouveler la coopération judiciaire.

À cette réserve près : Mme Houlette elle-même considère que l'intervention du juge d'instruction dans la procédure complique celle-ci. C'était ma position initiale ; mais le schéma a néanmoins été adopté, pour les raisons que l'on sait. S'il vous semble possible de le simplifier, ce serait utile, monsieur le rapporteur.

Deuxièmement, le texte initial comportait une disposition issue d'un amendement que j'avais déposé et qui avait été voté par la majorité, inspirée du modèle du UK Bribery Act, qui conférait une certaine extraterritorialité à la loi française en ce qui concerne des sociétés étrangères ayant une partie de leurs activités en France.

Cette disposition a été supprimée par le Sénat. Il serait utile qu'elle soit réintroduite, et je serais heureux que mon nom soit associé à l'amendement, si cette affaire extrêmement importante peut être traitée de manière bipartisane. Si le ministère de la justice américain est autorisé à poursuivre les entreprises françaises, nous devons, pour notre part, donner à l'AFA et au parquet financier les moyens de sanctionner les entreprises étrangères qui, ayant une partie de leurs activités en France, se livrent à des actes de corruption internationale.

Troisièmement, il apparaît indispensable de permettre aux autorités de lutte contre la corruption que sont l'AFA et le pôle financier d'avoir accès au premier cercle du renseignement. Ce serait assez novateur et je ne sais pas sous quelle forme il faut rédiger cela, mais c'est ce qui se passe aux États-Unis. Sur place, Mme Berger et moi-même avons appris que l'OFAC et la Securities and Exchange Commission (SEC) ont accès aux services de renseignement américain – National Security Agency (NSA), Central Intelligence Agency (CIA), etc. – pour instruire des dossiers ouverts contre les sociétés étrangères. Aujourd'hui, aucun texte n'autorise les services de renseignement français à transmettre directement des informations aux magistrats chargés de la lutte contre la corruption. C'est pourtant indispensable, car cela peut aider à l'instruction de dossiers relatifs à des entreprises étrangères opérant en France.

Quatrièmement, j'appelle votre attention, chers collègues, sur une loi adoptée à l'unanimité, il y a une quinzaine de jours, par la Chambre des représentants des États-Unis et, auparavant, par le Sénat des États-Unis. En pleine période électorale, donc ! Elle vise à donner au justiciable américain la possibilité de lever l'immunité souveraine des États dans le cas d'actions de victimes du terrorisme. Dès lors qu'un acte terroriste est commis aux États-Unis et que l'on peut démontrer l'implication directe ou indirecte d'un État étranger, les victimes ou leurs ayants droit peuvent l'attaquer directement devant les tribunaux américains. En première lecture, j'avais déposé un amendement visant à ouvrir la même possibilité en France, mais il avait été écarté. J'insiste : il faut que nous ayons une arme de réciprocité. La loi votée aux États-Unis, en pleine campagne électorale, à quelques semaines de l'élection présidentielle, exclut toute exception – ce qu'on appelle, en droit américain, un waiver. Le Président des États-Unis n'a même pas la possibilité d'exclure du champ de cette loi les États alliés des États-Unis qui combattent à leurs côtés le terrorisme. Autrement dit, si un attentat est commis aux États-Unis et qu'il peut être démontré qu'un citoyen français ou une négligence française alléguée y est pour quelque chose, alors l'immunité souveraine de la République française pourrait être levée devant les juridictions américaines. Il faut que le texte que nous examinons nous offre un instrument du même genre. Je redéposerai un amendement en ce sens et je souhaiterais que la commission des Lois le soutienne. En tout cas, une disposition, nous dotant d'un tel outil, rédigée avec ou sans moi, me paraît indispensable.

J'appelle également votre attention, chers collègues, sur le fait que les lois américaines nous empêchent de travailler dans un certain nombre de pays. Ainsi, en Iran, les Américains peuvent vendre des Boeing, mais nous ne pouvons vendre des Airbus. En effet, le système bancaire français est paralysé à la suite des sanctions infligées à BNP Paribas. La proscription de toute utilisation du dollar, de tout recours à un citoyen américain ou à la chambre de compensation américaine empêche de travailler avec certains pays, même lorsque les embargos internationaux ont été levés. Auditionnés, les représentants d'un certain nombre d'entreprises nous ont même montré des lettres de menaces émanant d'organisations américaines, de sénateurs américains leur enjoignant de ne pas travailler avec tel ou tel pays, car cela ne leur paraît pas souhaitable.

Tout cela me semble indispensable. Il faut lutter contre la corruption internationale, mais il faut une réciprocité. Dotons-nous des instruments nécessaires et réintroduisons les dispositions curieusement retirées – les joies de la politique ! – par mes amis politiques au Sénat. Je compte sur la majorité pour avancer, notamment sur la question de l'accès au renseignement.

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