Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 20 septembre 2016 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVictorin Lurel, rapporteur :

C'est avec grand plaisir que je me retrouve devant la commission des Lois qui est la première commission au sein de laquelle j'ai siégé à l'Assemblée nationale. Le plaisir est d'autant plus grand que je suis ici en tant que rapporteur d'un texte que nous attendons depuis longtemps. Un tel projet de loi s'apparente en effet pour les outre-mer à un graal, voire à une obsession en ce qui concerne les élus, notamment ceux de ma formation politique. C'est qu'il correspond à l'engagement 29, pris par François Hollande lors de sa campagne électorale, d'encourager un nouveau modèle de développement de l'outre-mer, comportant un programme d'investissements et une action prioritaire pour l'emploi et la formation des jeunes. Il répond enfin à un désir ardent des associations qui ont milité pour qu'au cours de la législature soit adopté un texte qui, après soixante-dix ans de départementalisation, constitue, sinon un aboutissement, du moins une étape majeure de notre marche vers l'égalité.

J'ai travaillé dans un esprit transpartisan, en auditionnant l'ensemble des formations politiques, des experts et les représentants de diverses institutions. Je voudrais en particulier évoquer ici les échanges que j'ai eus avec Patrick Ollier, grand serviteur des outre-mer, toujours attentif à nos difficultés et à nos atouts : dès lors que la responsabilité de la société était mise en cause dans le développement des inégalités, il est apparu que nous ne pourrions-nous entendre sur une même définition de l'égalité. Nous pouvions en revanche tomber d'accord sur la notion d'égalité des chances et considérer, en d'autres termes, qu'une politique visant à promouvoir l'égalité consiste à donner à tous les mêmes chances au départ, le reste du parcours dépendant ensuite de chacun : s'il y a au bout du compte des inégalités, ce sont des inégalités, pas des injustices.

Le rapport qui a inspiré le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui entendait donc promouvoir cette politique d'égalité des chances et identifier les moyens permettant aux outre-mer de s'aligner en une génération sur les ratios nationaux. Ce délai de vingt ans, fixé par le Président de la République, admet naturellement des ajustements, en particulier pour les territoires ayant besoin d'un horizon plus lointain, comme Mayotte et la Guyane, ou qui, au contraire, peuvent espérer, comme la Martinique, atteindre l'objectif en douze ou quatorze ans ou en une quinzaine d'années, à l'image de la Guadeloupe. Peu importe ces compromis puisque, comme le disait Keynes, à long terme nous serons tous morts.

Un certain nombre de critères ont été définis, à partir desquels mesurer la réduction des écarts : le revenu per capita, le PIB par habitant, le revenu disponible brut par habitant, l'indice de développement humain. Notre mission ne portant pas uniquement sur les inégalités entre les outre-mer et la métropole mais également sur les inégalités internes à ces territoires, ont également été retenus des indicateurs comme le coefficient de Gini ou le rapport interdécile, qui mesure l'écart entre les plus riches et les plus pauvres, l'ensemble de ces données devant permettre d'évaluer sur une génération la trajectoire vers l'égalité.

Afin que le plus grand nombre de nos concitoyens soient associés à sa démarche, le Gouvernement a enfin souhaité organiser une grande campagne participative, dont les résultats devraient être connus sous peu.

Au total, malgré les conditions difficiles dans lesquelles nous avons travaillé compte tenu des délais, ce texte mérite pleinement, compte tenu de sa nature et de son contenu, de devenir un bel exemple de coproduction législative. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'aurai quelques questions à vous poser, madame la ministre.

Le projet de loi comporte quatre titres, que, d'une manière ou d'une autre, nous souhaitons consolider. C'est particulièrement vrai pour le titre Ier, qui comporte les articles ayant vocation à redéfinir ce que sont les principes fondateurs de l'action gouvernementale dans les outre-mer pour mener à son terme une marche commencée avec l'égalité civile et citoyenne, poursuivie, en 1946 avec l'égalité administrative et politique, puis, dans les années 90, avec l'égalité sociale, laquelle reste à parachever.

En ce qui concerne le titre II, malgré la batterie d'indicateurs retenus, on peut craindre que l'évaluation de l'action gouvernementale ne soit pas réalisée avec suffisamment de précision.

J'ajoute qu'il s'agit là d'une loi transversale, qui va s'appliquer aux onze territoires d'outre-mer habités, dans le respect de notre devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. Cela signifie qu'en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy, qui vivent sous des régimes législatifs différents, l'égalité doit transcender les statuts et s'inscrire en surplomb des régimes législatifs. Pour le dire autrement, l'obligation morale et juridique portée par notre devise doit s'appliquer aux outre-mer dans le respect du principe de libre administration territoriale, ce qui constitue un exercice délicat.

Au-delà d'une consolidation des quatre titres que comporte le projet de loi, nous souhaitons également en ajouter qui touchent aux questions culturelles, environnementales mais aussi à l'implication des entités subétatiques d'outre-mer dans la coopération régionale et les relations internationales.

Enfin, nous pensons qu'il convient de rééquilibrer le projet de loi, qui comporte en l'état beaucoup de mesures programmatiques, et d'étoffer son volet normatif pour le rendre plus contraignant, tout en respectant le principe de libre administration.

En matière de convergence, nous avions suggéré d'établir des plans sur quinze ou vingt ans, mais déclinés selon des contrats de convergence alignés sur le mandat des élus locaux – six ans – afin qu'un élu ne soit pas contraint par ce qu'a fait son prédécesseur. Or cela ne figure pas dans le projet de loi.

Nous sommes d'accord sur la nécessité d'intégrer au débat d'orientation budgétaire les orientations et les engagements qui auront été pris. Néanmoins le projet de loi n'oblige pas à inscrire les crédits dans le budget primitif, le budget supplémentaire ou les décisions modificatives. Certes, le préfet, le haut commissaire ou l'administrateur supérieur à Wallis-et-Futuna seront garants de la sincérité budgétaire, mais nous préférerions voir cette obligation inscrite dans le texte.

Les délais de convergence ont donné lieu à débats, mais il me semble pertinent de prévoir que la trajectoire s'étalera sur vingt ans. À l'exception de Saint-Barthélemy et de la Nouvelle-Calédonie, je ne vois pas en effet lequel de nos territoires pourrait prétendre se rapprocher des ratios nationaux en cinq ou dix ans. Il faut donc s'inscrire dans un horizon long, au sein duquel les exécutifs territoriaux garderont une marge de négociations.

Quant à la contractualisation, elle doit être soumise à délais. Le texte indique qu'elle concerne l'ensemble des collectivités, soit, lorsqu'ils existent encore, comme en Guadeloupe et à La Réunion, la région et le département, auxquels il faut ajouter les communes, ce qui, pour la Guadeloupe, porte le nombre de contractants à trente-six, chiffre qui grimpe à plus de quarante si l'on inclut également les EPCI et les syndicats uniques. Est-il pertinent d'impliquer autant d'acteurs ?

En ce qui concerne le suivi et le contrôle de la convergence, le projet de loi propose que la CNEPEOM procède à une évaluation tous les dix-huit ou vingt-quatre mois, soit à deux reprises au cours de la législature, de manière à pouvoir procéder, le cas échéant, à des ajustements. Nous nous interrogeons cependant sur ce choix de la CNEPEOM, et l'une de nos collègues suggérait plutôt la création d'une autorité indépendante, composée d'élus locaux et nationaux, d'experts et de fonctionnaires. Si d'aventure une telle proposition devait se heurter à l'article 40, seriez-vous prête, madame la ministre, à vous y montrer favorable ?

Le titre III, consacré aux dispositions sociales, concerne essentiellement Mayotte. J'ai entendu en séance publique certains déclarer que l'outre-mer avait déjà trop reçu, mais dois-je rappeler que, depuis une quinzaine d'années, la mission « Outre-mer », ce n'est, dans chaque projet de loi de finances, que 2 milliards d'euros de crédits ? Et encore l'actuel Gouvernement l'a-t-il revalorisée, car nous avions perdu 450 millions d'euros.

Des inégalités de traitement – certains parleraient de discriminations – subsistent en matière sociale, dans l'attribution de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), du complément familial, de l'allocation logement ou dans les conditions d'éligibilité au régime social des indépendants (RSI), puisque, à la différence de ce qui se passe ici, le bénéfice des prestations familiales est subordonné pour les travailleurs indépendants à l'acquittement des cotisations. Si l'État a des créances à recouvrer, il doit avoir d'autres moyens pour le faire, et nous serons intraitables, en l'occurrence, sur le respect du principe d'égalité.

Enfin, au plan économique, le projet de loi comporte deux mesures intéressantes, mais nous devons aller plus loin, notamment dans le soutien aux PME. Nous préconisons en particulier, compte tenu de l'ampleur et de la prégnance du chômage partiel outre-mer, que les entreprises en difficulté n'aient plus à faire l'avance de fonds, qui serait assumée par Pôle emploi dans les cas de chômage technique. En matière de délais de paiement, nous suggérons également d'avoir recours au dispositif Dailly, par exemple auprès de la Banque publique d'investissement.

Nous ne manquons donc pas d'idées, toute la question étant de savoir si, sur l'ensemble de ces questions sociales, économiques, culturelles et diplomatiques, l'État est prêt à lever le gage et à nous donner les moyens de mettre en oeuvre une coproduction législative efficace pour donner naissance à une loi qui réponde à l'ambition fixée par le Président de la République et le Premier ministre : faire qu'en une génération, les outre-mer conquièrent leur graal, c'est-à-dire l'égalité par rapport à la métropole.

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