Intervention de Maina Sage

Réunion du 20 septembre 2016 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaina Sage :

Avant de vous donner mon sentiment sur ce texte, je voulais rappeler pourquoi nous sommes là aujourd'hui, à étudier un dispositif particulier de rattrapage en vue d'une plus grande équité – avant l'égalité – pour nos territoires.

Pour ma part, je porte un regard très pragmatique sur les chiffres. À cet égard, je voulais remercier notre collègue Victorin Lurel pour le travail mené pendant presque deux ans. La réalité des chiffres est déplorable. Avant tout, il ne faut pas perdre de vue ce diagnostic. Nous pourrons débattre pendant des heures ou des années des mesures à prendre pour rectifier le tir, mais le constat est celui d'un échec partagé que nous devons être capables de regarder en face.

La différence de PIB va de 15 % à 75 %. Le PIB national moyen est de 35 000 euros, avec certes des différences entre les régions de l'Hexagone, l'Île-de-France étant à 56 000 euros et le Limousin à 26 000 euros. Ces différences sont cependant incomparables avec celles qui existent en outre-mer, ou entre l'Hexagone et l'outre-mer. Il ne s'agit là que du PIB, mais on peut aussi parler de l'accès à l'éducation ou à la santé, du niveau d'illettrisme. On peut aussi prendre certains critères de l'indice de développement humain (IDH) sur le logement, les taux de natalité et de mortalité. Sur le plan économique, le taux de chômage en outre-mer est deux fois plus élevé que le taux de chômage moyen national.

Nous avons le devoir de nous interroger sur ces écarts et de construire ensemble une relation entre l'État et ses territoires d'outre-mer, qui soit différente de celle que nous avons vécue. Malgré tout ce qu'on aura tenté de faire, nous devons malheureusement dresser un constat d'échec : le résultat est là, face à nous. Que nous soyons de gauche, de droite ou du centre, nous portons tous cette responsabilité. Ce sont tous nos concitoyens français. Les différences sont trop importantes pour que nous nous cachions derrière des a priori et des excuses. De nombreux a priori m'ont violemment frappée lorsque j'ai commencé à exercer ce mandat national : la désinformation ; le manque de connaissances de nos territoires sur le plan juridique ; le manque de connaissances sur notre capital humain, notre jeunesse, nos tissus économiques, nos richesses environnementales et culturelles.

En aparté, je voudrais vous faire part d'une réflexion que j'ai eu l'occasion de partager avec notre ministre : je regrette que ces sujets n'aient pas été traités dans le texte sur l'égalité et la citoyenneté. Cette différence symbolise l'existence d'un problème dans notre société, dans la manière dont nous traitons nos territoires. Le texte sur l'égalité et la citoyenneté a réuni tous les députés alors que – je le regrette d'avance – nous allons examiner celui-ci principalement entre nous, les ultramarins. Au passage, je remercie mes collègues Houillon et Larrivé de leur présence parmi nous.

Ce sont ces sujets de fond que je souhaiterais aborder au cours de nos débats. Nous aurons le temps d'examiner les mesures, mais nous devons partir de ce diagnostic, de ce constat d'échec collectif et partagé. Nous devons être innovants, ambitieux afin de construire une autre relation entre l'État et ses collectivités et territoires d'outre-mer. Dans ce cadre, nous transcendons effectivement des différences juridiques prévues par les articles 73 et 74 de la Constitution ou les statuts de la Nouvelle-Calédonie.

Sur le plan général, j'ai deux remarques majeures à faire. La première porte sur les fondements de ce texte. Les rapports produits permettent de dresser le constat de manière très honnête et transparente, mais ce projet répond-il à l'ambition de départ ? Certains estiment que nous passons à côté de l'objectif alors que d'autres considèrent que nous l'atteignons. Pour ma part, peut-être parce que je suis du centre, je suis plus mesurée : je pense que nous ne l'atteignons que très partiellement et que nous pouvons aller beaucoup plus loin. Je crois que notre travail de parlementaire doit s'exprimer pleinement sur ce texte. C'est à nous de l'enrichir. Le Gouvernement nous a invités à le faire. Faisons-le pleinement en essayant de tirer le meilleur parti de cette volonté commune. Donnons-nous le courage d'atteindre ces objectifs.

Deuxième remarque : il faut consolider l'article 1er et poser les jalons de ce que nous considérons comme essentiel en termes d'accès aux services publics. On peut parler de tous les sujets – économie, éducation, environnement, culture – sur lesquels nous avons tous des choses à dire, mais il faut commencer par cette définition. Chaque territoire fixera ensuite ses priorités : éducation, santé, désenclavement géographique ou autre.

Pour ma part, j'aurais souhaité introduire à l'article 1er deux notions : l'isolement et le genre.

L'isolement est lié à la fragmentation et à la taille de nos territoires, à la distance par rapport à la métropole, à l'éclatement géographique. Il faut prendre en compte ces réalités pour établir un bon diagnostic et faire en sorte que les mesures préconisées soient en cohérence avec les freins à l'origine d'un retard que nous ne rattraperons jamais. On parle de rattrapage mais il existe des handicaps structurels que nous n'effacerons pas. Il faut pouvoir intégrer cela. Les territoires comme les nôtres, qui sont des collectivités autonomes, demandent la solidarité nationale. Lorsqu'on a un territoire qui est à 20 000 kilomètres de la métropole, à huit heures d'avion du continent le plus proche, éclaté sur une surface maritime grande comme l'Europe, peuplé de moins de 300 000 habitants répartis sur 118 îles, croyez-moi, c'est un défi quotidien. Nous savons très bien que nous n'y arriverons pas tout seuls. C'est pour cela que nous demandons la solidarité nationale. Nous ne pourrons jamais combler totalement le retard mais nous pourrons l'atténuer grâce à des efforts de désenclavement s'appuyant sur le numérique, par exemple. Quoi qu'il en soit, nous devons tenir compte de l'échelle de ces territoires, des distances, des contraintes géographiques.

La question du genre, de l'égalité entre les hommes et les femmes, doit aussi être intégrée parmi les indicateurs des politiques publiques tendant à favoriser les rattrapages dans différents domaines.

Le contrôle, le suivi et l'évaluation des mesures exceptionnelles de rattrapage devraient être organisés autour d'une structure qui soit la plus indépendante possible et dotée de moyens importants lui permettant de soutenir ces politiques de convergence. Si nous voulons aboutir à un résultat probant et être capable de le mesurer efficacement, nous devons nous doter d'un outil à la mesure de l'enjeu. À mon sens, il peut prendre la forme d'une autorité indépendante, même si d'autres solutions sont peut-être possibles. L'idée est de renforcer le CNEPEOM dans ses missions et dans ses moyens, et d'envisager toute la politique de suivi statistique de nos territoires.

Madame la ministre, nous étions hier ensemble aux Assises du tourisme. Je vous remercie d'avoir organisé un débat sur la manière de concrétiser les vingt-sept mesures annoncées l'an dernier par le Conseil de promotion du tourisme (CPT) pour renforcer la contribution des destinations d'outre-mer dans l'attractivité touristique de la France. Vous voyez bien que le point de départ est le pilotage, la donnée, le diagnostic sans lequel aucune prescription n'est possible.

Sur un plan plus personnel, j'aurai à revenir sur des mesures particulières pour la Polynésie, concernant la continuité territoriale ou le soutien aux étudiants. Aujourd'hui, je voulais me cantonner à des remarques plus générales au profit de tous les territoires d'outre-mer.

Enfin, je voudrais remercier le président Jean-Claude Fruteau d'avoir parlé de la justice climatique, un sujet qui a toute sa place dans ce texte.

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