Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 26 septembre 2016 à 17h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy, rapporteur pour avis :

Je tiens à souligner, Madame la présidente, que, quelles qu'aient été vos fonctions antérieures, vous vous êtes toujours montrée très attentive aux problèmes des pays, départements et régions d'outre-mer.

La décision du Président de la République et du Gouvernement de confier à M. Victorin Lurel un rapport sur l'égalité réelle outre-mer doit être saluée. On pourrait avoir le sentiment d'une simple posture, d'un simple égrenage de chiffres alors qu'il s'agit bel et bien, je l'affirme avec force, d'un engagement politique majeur. Le processus de départementalisation engagé en 1946 visait à atteindre l'égalité au sens global du terme, autrement dit dans tous les domaines – justice, social, économique, infrastructures de développement – tout en garantissant le respect de la culture, de la géographie, bref de l'identité propre à chaque pays. C'était la volonté exprimée par les populations de La Réunion, de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane. Il s'agissait, en d'autres termes, pour la France, d'assurer à l'ouvrier martiniquais ou guadeloupéen le même traitement social et familial que celui auquel avait droit l'ouvrier du Languedoc-Roussillon ou de la banlieue parisienne. Cet accès au droit social est fondamental. Or, au cours des vingt années qui ont suivi 1946, l'égalité ne s'est pas construite outre-mer suivant la dynamique souhaitée par de nombreux parlementaires : le processus s'est révélé très lent et très long. Il a fallu plusieurs dizaines d'années pour appliquer les droits sociaux, en particulier les droits familiaux, pour garantir tout ce qui touche à la sécurité sociale, aux indemnités chômage, au droit au logement… Non seulement ce processus a été, je le répète, lent et long, mais il a fallu des luttes sociales pour faire appliquer le droit social outre-mer. Car la dynamique lancée était davantage celle d'une assimilation sociale que politique : le but était de permettre aux Martiniquais, aux Guadeloupéens, aux Réunionnais ou aux Guyanais l'accès à la même liberté et à la même justice sociale qu'en métropole.

Cela étant, si le Président de la République a pris cette initiative, c'est parce qu'il a considéré, tout comme les députés de la majorité, que ce processus était inachevé : certaines réalités apparaissaient même inacceptables. Le rapport de M. Victorin Lurel dresse ainsi des constats parfois dramatiques : le taux de chômage est de 19,4 % en Martinique, de 21 % en Guadeloupe et même de presque 24 % à La Réunion – le décalage avec la métropole est grave. Le produit intérieur brut (PIB) par tête y est de 30 à 40 % inférieur au PIB par tête national. Et ne parlons pas de l'indice de développement humain (IDH) qui est de 100 à 120 points inférieur à ce qu'il est dans l'hexagone. Plus grave encore, l'exemple de Mayotte, qui vient de faire valoir son droit à bénéficier de l'article 73 de la Constitution : les écarts y sont extrêmes. Je ne reviens pas sur les considérations du rapport de M. Victorin Lurel sur l'échec scolaire ou sur l'accès aux soins.

Le processus aujourd'hui engagé, et c'est toute l'intelligence du texte, ne consiste pas à décréter l'égalité réelle – ce qui ne manquerait pas de décevoir certains qui, au lendemain du vote, déploreraient n'avoir toujours rien obtenu. Il faut rassurer tout le monde en rappelant qu'il s'agit bien d'un processus : le chapitre Ier du titre II définit clairement une stratégie de convergence vers l'égalité réelle sur tous les points évoqués, de la santé au social, en passant par les équipements structurants, l'éducation, la formation professionnelle, etc. Cette démarche me paraît d'autant plus intelligente que ce processus s'inscrit dans un plan de convergence fondé sur un partenariat entre l'État et les collectivités – communes, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), départements, régions –, de façon à pouvoir définir, grâce au dialogue, les objectifs à atteindre pour les dix, voire les vingt années à venir. C'est la raison pour laquelle le texte s'intitule « projet de loi de programmation » en ce qu'il vise à inscrire cette démarche dans le temps et à se donner les moyens d'évaluer ces plans de convergence. Le texte précise à cet effet que le contrat de partenariat signé entre l'État et les collectivités de chaque territoire devra être évalué localement mais aussi par la Commission nationale d'évaluation des politiques publiques de l'État outre-mer (CNEPEOM).

Une telle démarche n'avait encore jamais été mise en place, même s'il convient de saluer les bienfaits de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM), que, du reste, nous entendons modifier sur plusieurs points. Notre seule crainte a trait aux défaillances budgétaires qui peuvent se produire tant au niveau national qu'au niveau local ; c'est pourquoi je me réjouis que le processus de vérification de l'implication financière de l'État et des collectivités soit aussi un des enjeux du texte : il ne sera pas possible de fuir ses responsabilités après avoir signé un contrat. Je vois mal, en effet, l'État animer des plans de territoire sans que ces plans ne prévoient des moyens financiers – ce serait, sinon, un leurre politique pouvant se révéler très dangereux. La commission des affaires économiques doit donc y veiller.

En outre, une étape semble avoir été franchie puisque le texte concerne non seulement les départements et régions relevant de l'article 73 de la Constitution, mais aussi les collectivités d'outre-mer relevant de l'article 74, comme Saint-Martin ou la Polynésie française, ou encore la Nouvelle Calédonie dont le statut est régi par le titre XIII de la Constitution. Or, lorsqu'on évoque « les » outre-mer, on croit qu'il existe une sorte d'uniformité institutionnelle, ce qui n'est pas exact : les statuts des collectivités que je viens de mentionner sont très différents les uns des autres. Ainsi le dialogue partenarial se fera à la Martinique avec la collectivité unique, conformément à la décision qu'elle a prise récemment, alors qu'il s'effectuera parallèlement avec deux collectivités en Guadeloupe.

La trajectoire politique, économique, sociale, culturelle, géographique et écologique de la Polynésie française n'est pas la même que celle de La Réunion qui elle-même diffère de celle de la Martinique. Les bassins géographiques n'ont pas la même taille : celui de La Réunion compte près d'un million de personnes alors que celui de la Martinique n'en rassemble que 381 000. Et la Guyane est encore plus spécifique. C'est pourquoi il faut souligner l'intelligence de la stratégie choisie par le Gouvernement, sur proposition de M. Victorin Lurel, en ce qu'elle spécifie les stratégies de développement, sans chercher à mettre tout le monde dans le même sac. Les stratégies économiques doivent correspondre aux réalités. Il ne s'agit pas de promouvoir l'uniformité au nom d'une République une et indivisible, modèle qu'on peut certes admettre dans tel ou tel cas mais pas forcément quand on prend en considération les différences géographiques : l'égalité n'est pas l'uniformité et, du coup, l'accès à l'égalité peut être très différencié.

Ce dispositif est d'une importance capitale pour nous ; il devrait impliquer l'État, les collectivités mais également, bien entendu, les hommes, les entreprises, les acteurs culturels, etc. dans une véritable dynamique d'accession à l'égalité dans le respect de chacun.

Cela étant, je ne cesse de le répéter, l'égalité réelle présuppose l'émancipation économique et le développement endogène. Si l'on n'assortit pas au droit à l'égalité le droit au développement interne, on manquera quelque chose et nous en reviendrons à cette idée simpliste qui a de plus en plus cours dans la sphère politique : celle de l'assimilation pure et simple. C'est dans cette perspective que, dans son rapport, M. Victorin Lurel a fait des propositions dans le domaine économique. Ce volet économique, nous entendons bien, avec les membres de la commission, tenter de l'enrichir au maximum.

En attendant d'étayer ce point, je souhaite dire un mot sur Mayotte. Lorsqu'on m'a confié le rapport sur l'article 349 du traité de Lisbonne, je me suis rendu à Mayotte et j'ai très vite constaté qu'il fallait non seulement faire un effort exceptionnel, mais également tenir les engagements politiques pris antérieurement. Or la partie du texte consacrée à Mayotte est très importante car elle pose les bases de l'accession à l'égalité. C'était la revendication du peuple de Mayotte et il est important que la République respecte cet engagement, que les droits sociaux en vigueur sur le territoire hexagonal valent aussi à Mayotte moyennant bien sûr des adaptations. De ce point de vue, les dispositions concernant les prestations familiales, les aides aux personnes handicapées, les aides aux personnes âgées, etc., semblent aller dans le bon sens.

Pour en revenir à l'émancipation, nous proposons une série d'amendements visant à accroître le potentiel de développement. Je prendrai deux exemples.

En premier lieu, le Gouvernement va-t-il laisser s'éteindre, sans rien proposer d'autre, les avantages de la LODEOM – extinction prévue pour la fin de l'année 2017 –, notamment en ce qui concerne les zones globales d'activité ? Un de mes amendements vise à prolonger la LODEOM de deux ans. Je considère, en effet, que la durée d'une année envisagée par le Gouvernement ne sera pas suffisante. Cet amendement pourrait rassurer les investisseurs et les entreprises qui pourraient ainsi mieux organiser leur investissement ; du reste, le Gouvernement, et j'en suis très heureux, partage ce point de vue.

Ensuite, nous faisons des propositions très importantes concernant la pluriactivité. L'un des plus graves problèmes de nos départements et régions d'outre-mer est le chômage et en particulier celui des jeunes. Dans le cadre de l'application du compte personnel d'activité (CPA), on pourrait anticiper et donner de vrais droits à des personnes qui exercent plusieurs activités, ce qui permettrait d'ailleurs de traiter en partie la question des activités informelles – il n'est pas question ici du travail au noir. Ces activités informelles peuvent en effet parfaitement être intégrées à une dynamique d'encouragement de la pluriactivité. Il ne s'agit pas de créer un statut de pluriactif, mais de donner de vrais droits à quelqu'un qui, pendant six mois, peut travailler dans l'hôtellerie ou le tourisme et, pendant six mois, travailler dans un autre secteur.

Nous avons, en outre, déposé des amendements d'appel. Nous proposons pour Mayotte, par le biais du dispositif « cadres d'avenir », au titre de la mobilité territoriale, de permettre à de jeunes diplômés de revenir au pays au bout de quatre ans d'expérience professionnelle, et donc de renforcer l'encadrement local. La même dynamique pourrait être envisagée pour les collectivités qui ont besoin de cadres mais où ces jeunes ne peuvent occuper des postes de fonctionnaires en dehors des processus dérogatoires prévus par la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.

Nous proposons par ailleurs de relancer la question du fret et de l'accès à certains droits : je veux parler de la possibilité de bénéficier d'aides pour diminuer le coût des activités et d'avoir accès aux financements européens relatifs à l'accompagnement des intrants. Ce droit doit bénéficier aux entreprises qui importent d'Europe, mais ces intrants pourraient aussi bien provenir de pays limitrophes à La Réunion ou bien limitrophes à la Guadeloupe et à la Martinique, et pour un coût écologique moins élevé. Du reste, il semble que la relation avec la seule Europe tient moins au respect du droit communautaire qu'à une stratégie purement nationale.

Je me ferai un plaisir de défendre en commission des lois tous ces amendements qui visent à améliorer le texte, après bien sûr que nous en aurons débattu au sein de la commission des affaires économiques.

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