Intervention de Patrick Bloche

Séance en hémicycle du 6 octobre 2016 à 9h30
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation :

Monsieur le Président, madame la ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, le Sénat ayant adopté une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, que le groupe socialiste, écologiste et républicain a déposée au début de l’année, nous voici saisis, en lecture définitive, du texte que l’Assemblée nationale a adopté en nouvelle lecture, le 18 juillet dernier.

Cette lecture définitive est l’aboutissement d’un parcours législatif qui, bien que réalisé dans le cadre de la procédure accélérée, aura duré sept mois. Ce délai suffit à montrer que le grief formulé par certains de nos collègues sénateurs à l’encontre du calendrier d’examen de cette proposition de loi est pour le moins infondé.

Tout aussi surprenant est le reproche adressé aux députés par la rapporteure de la Haute assemblée d’avoir opposé un « refus quasi-systématique » aux apports du Sénat. Je rappellerai que c’est sur proposition du Sénat qu’ont notamment été introduits l’article 1erbis A, l’article 7 bis, ou encore l’article 10 ter.

Qu’il me soit également permis, en guise de préalable, de rappeler que si la présente proposition de loi n’a pas pour objet de lutter contre la concentration des médias, elle prend clairement en compte les difficultés économiques d’un secteur en pleine transition, dont la conséquence sociale la plus directe est la précarisation croissante des journalistes. L’article 11 quater étend ainsi aux supports de presse, dont la périodicité est comprise entre un et trois mois, le dispositif qui a été prévu par la loi du 17 avril 2015, rapportée par notre collègue Michel Françaix, et qui, connu sous le nom d’ « amendement Charb », propose aux contribuables souscrivant au capital d’entreprises de presse une réduction d’impôt sur le revenu au taux de 30 % – ce taux pouvant être porté à 50 % lorsque la société a le statut d’entreprise solidaire de presse d’information.

L’article 11 quinquies élargit en outre le champ de ce dispositif de réduction d’impôt aux versements faits au profit de « sociétés d’amis » ou de « sociétés de lecteurs » qui investissent dans des titres d’information politique et générale. Et l’article 11 sexies relève les plafonds de versements éligibles à la réduction d’impôt. Tout en incitant les particuliers à prendre des participations au capital des entreprises de presse, toutes ces dispositions contribuent à la structuration de l’actionnariat de ces entreprises, donc à la consolidation de leur situation économique et financière.

Enfin, si cette proposition de loi ne comporte pas, à proprement parler, de nouveau dispositif anti-concentration, c’est tout simplement parce que ce n’est pas son objet. Comme son intitulé l’indique, ce texte vise à renforcer l’indépendance des journalistes à l’égard des intérêts des actionnaires et des annonceurs, dans un contexte où les médias font l’objet d’une défiance grandissante de la part de nos concitoyens. Je vous rappelle qu’en février dernier, le baromètre réalisé par TNS Sofres pour le journal La Croix a révélé que seuls 27 % de nos concitoyens estiment que les journalistes sont indépendants des pressions politiques et de l’argent.

Ce poison du soupçon, la majorité s’est attelée à le combattre dès le début de la présente législature. La loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public a ainsi retiré à l’exécutif la nomination des présidents des sociétés nationales de programme : ces derniers sont désormais nommés par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui a lui-même été érigé en autorité publique indépendante. Parmi les sept membres que compte le CSA, un seul – son président – est nommé par le Président de la République, les six autres sont choisis par les présidents des Assemblées après avoir reçu l’avis conforme des commissions des affaires culturelles des deux chambres à la majorité des trois cinquièmes, donc après accord entre la majorité et l’opposition. Beaucoup a ainsi été fait pour professionnaliser le CSA et pour en renforcer l’indépendance par rapport au pouvoir politique.

Dans la suite logique de cette loi, la présente proposition entend introduire dans tous les médias de solides garanties de liberté et d’indépendance de nature à leur donner les moyens de renouer avec la confiance des lecteurs, des auditeurs et des téléspectateurs. Cela passe d’abord par l’extension, à l’ensemble des journalistes, du droit d’opposition, qui n’est aujourd’hui reconnu qu’aux seuls journalistes de l’audiovisuel public. Notre assemblée a décidé de fonder ce droit d’opposition sur la notion de « conviction professionnelle » formée dans le respect de la charte déontologique de l’entreprise de presse, qui devra être rédigée conjointement par la direction et les représentants des journalistes, dans le cadre de véritables négociations, sans que ne soit évidemment remise en cause la ligne éditoriale des entreprises de presse. Je peux vous l’assurer, la négociation de chartes déontologiques dans toutes les entreprises de presse avant le 1er juillet 2017 est, en soi, une vraie révolution.

Par ailleurs, le comité d’entreprise sera destinataire d’une information annuelle sur le respect du droit d’opposition par l’entreprise. Le CSA devra veiller, dans le cadre d’un contrôle a posteriori – j’insiste sur ce point car il ne saurait être juge des contenus –, à ce que les conventions qu’il conclut avec les éditeurs de services garantissent le respect du droit d’opposition. La violation du droit d’opposition des journalistes sera sanctionnée par la suspension, totale ou partielle, des aides publiques aux entreprises de presse. Ces sanctions s’appliqueront également en cas de violation des obligations de transparence des entreprises de presse, qui sont renforcées par l’article 11.

Le renforcement de la liberté et de l’indépendance des médias passe non seulement par la généralisation du droit d’opposition des journalistes, mais aussi par celle des comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent, dont la crédibilité sera désormais assise par la définition de règles d’indépendance exigeantes et par la possibilité ouverte à toute personne de les consulter pour avis. En outre, la mission confiée au CSA de garantir l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme se voit confortée : l’organisme devra veiller à ce que les conventions qu’il conclut avec les éditeurs de services intègrent les mesures destinées à garantir le respect de ces principes dont la violation, sur plusieurs exercices, le privera de la possibilité de recourir à la procédure de reconduction simplifiée des autorisations d’émettre.

Enfin, le renforcement de la liberté et de l’indépendance des médias passe aussi par celui de la protection du secret des sources des journalistes. Sur ce point, je tiens à insister sur les avancées considérables qu’apporte l’article 1er ter par rapport au droit actuel issu de la loi Dati de 2010. Premièrement, le champ des bénéficiaires de la protection du secret des sources est étendu aux directeurs de la publication ou de la rédaction et aux collaborateurs de la rédaction, donc aux pigistes. Deuxièmement, la définition des atteintes indirectes au secret des sources est sensiblement étendue. Troisièmement, le dispositif voté neutralise les moyens de pression indirects sur les journalistes en offrant une immunité pénale aux journalistes qui se rendent coupables de certains délits, lorsque la diffusion au public des informations que la commission de ces délits a permis d’obtenir constitue « un but légitime dans une société démocratique ».

Quatrièmement, les motifs susceptibles de justifier une atteinte au secret des sources des journalistes sont plus strictement encadrés. En l’état actuel du droit, ces motifs sont définis de manière très large, puisqu’une telle atteinte est autorisée « si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie ». L’imprécision de cette notion affaiblit considérablement la qualité de la protection du secret des sources. L’article 1er ter, que nous allons définitivement adopter, précise opportunément les motifs pour lesquels il pourrait être légitimement porté atteinte au secret des sources, tout en précisant que cette atteinte ne pourra être mise en oeuvre « qu’à titre exceptionnel » et qu’elle devra être « strictement nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi » – c’est un point essentiel.

Enfin, des garanties procédurales nouvelles sont introduites lors de la mise en oeuvre de mesures d’enquête ou d’instruction susceptibles de porter atteinte au secret des sources. Sont ainsi prévus : l’intervention du juge des libertés et de la détention, magistrat indépendant, qui se voit reconnaître la compétence pour autoriser tout acte d’enquête mais aussi d’instruction susceptible de porter atteinte au secret des sources ; la notification d’un droit au silence avant le début de toute audition ou de tout interrogatoire de tout journaliste, directeur de la publication ou de la rédaction ou collaborateur de la rédaction ; enfin, l’alourdissement des sanctions pénales applicables à certaines infractions en cas d’atteinte directe ou indirecte au secret des sources des journalistes.

L’article 1er ter a été adopté à l’unanimité ici même en première lecture, le 8 mars dernier. Je ne peux pas croire que, dans le contexte actuel, ce consensus ait pu être rompu par l’adoption, en nouvelle lecture, le 18 juillet dernier, d’un amendement destiné à intégrer la prévention et la répression du délit de révélation ou de divulgation de l’identité des membres de nos forces spéciales parmi les atteintes au secret des sources qui sont susceptibles d’être justifiées. À la suite de l’attentat perpétré contre Charlie Hebdo en janvier 2015, la France est passée, en 2016, du trente-huitième au quarante-cinquième rang du classement mondial de la presse de Reporters sans frontières, qui n’est pas un palmarès des politiques publiques, mais qui rend simplement compte de la situation des journalistes dans un pays. Je forme le voeu que, grâce aux effets de la présente proposition de loi, notre pays retrouve rapidement une meilleure place dans ce classement. Je vous invite donc, mes chers collègues, à confirmer, en lecture définitive, comme l’a fait hier la commission des affaires culturelles et de l’éducation, le vote que nous avons émis en nouvelle lecture.

1 commentaire :

Le 07/10/2016 à 14:07, laïc a dit :

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"Dans la suite logique de cette loi, la présente proposition entend introduire dans tous les médias de solides garanties de liberté et d’indépendance de nature à leur donner les moyens de renouer avec la confiance des lecteurs, des auditeurs et des téléspectateurs."

Ce discours ne d'adresse qu'aux rédacteurs en chef : les petits journalistes aux ordres seront-ils indépendants des pressions politiques et financières du patron de presse, et qu'est-ce qui va garantir leur liberté d'expression en interne ?

Lorsqu'on lit : "le journal La Croix a révélé que seuls 27 % de nos concitoyens estiment que les journalistes sont indépendants des pressions politiques et de l’argent." il faut comprendre que les citoyens pensent que les journalistes sont aux ordres du rédacteur en chef, sans qu'ils puissent avoir un avis personnel sur les sujets qu'ils traitent.

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