Intervention de Sonia Lagarde

Séance en hémicycle du 6 octobre 2016 à 9h30
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSonia Lagarde :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce matin pour la dernière fois poursuivait initialement un objectif noble et partagé par tous : la liberté, l’indépendance et le pluralisme de l’information. Hubert Beuve-Méry avait l’habitude de dire : « La radio annonce l’événement, la télévision le montre, la presse l’explique ». Cet adage montrait bien que notre compréhension de l’actualité est intrinsèquement liée aux médias.

Malheureusement, si l’intention première était louable, la conclusion du texte nous laisse perplexe. Nous n’en doutons pas, en démocratie, l’indépendance des rédactions doit être sanctuarisée, tout comme l’indépendance des journalistes. Pourtant, cette proposition de loi n’est pas satisfaisante, parce qu’elle a été rédigée dans la précipitation : il n’y a eu ni étude d’impact, ni vérification du caractère opérationnel des dispositions adoptées. Nous doutons même que certaines d’entre elles soient en phase avec la réalité du fonctionnement des entreprises de médias et de l’organisation des rédactions.

Certes, la frontière entre information et intérêt des dirigeants ainsi que les mouvements de concentration dans les médias nous amènent à nous interroger. Néanmoins, les rédactions des grands groupes français s’organisent et se sont déjà mobilisées afin que les organes de presse demeurent indépendants de leurs actionnaires respectifs.

La généralisation du droit d’opposition du journaliste sur la base de sa conviction professionnelle et les chartes de déontologie, loin de faciliter le travail des journalistes, alourdiront des procédures déjà complexes. De même, la généralisation des saisines des comités d’éthique, lourdement rebaptisés « comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes », risque de conduire à la multiplication de contestations en tout genre. En réalité, en voulant ajouter de nouvelles obligations, cette proposition de loi alimente la défiance généralisée à l’égard des médias.

Notre principal sujet de perplexité reste l’extension des pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel, puisque ses missions comprendront dorénavant un contrôle exercé a priori sur la déontologie et l’indépendance des médias. Nous considérons, en effet, que le nouveau droit de regard dont disposera l’autorité administrative indépendante ressemble fort à de l’ingérence. Face à ce texte qui érige le CSA en nouveau garant de l’honnêteté, de l’indépendance et du pluralisme de l’information et des programmes, sachez que le groupe de l’Union des démocrates et indépendants reste particulièrement sceptique.

En définitive, notre seule satisfaction au cours des débats a été la consécration de la protection des sources, même si nous aurions préféré que l’Assemblée adopte en nouvelle lecture les amendements présentés par le Gouvernement. Prévue dans un projet de loi en 2013, la protection du secret des sources des journalistes n’avait en effet jamais été inscrite à l’ordre du jour malgré l’accord unanime de notre commission. Nous saluons aujourd’hui l’inscription dans la loi, de manière plus claire et plus limitative, des conditions permettant de porter atteinte à ce secret, car il nous paraît important que cette protection soit améliorée afin d’assurer une prévention suffisamment efficace et prévisible contre les atteintes injustifiées. Nous espérons à présent que les restrictions apportées à tout acte d’enquête portant atteinte au secret des sources permettront toujours d’assurer la nécessaire conciliation entre la liberté d’expression, la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation et la protection des personnes.

Mes chers collègues, vous conviendrez qu’en dehors de cet ajout bienvenu, cette proposition de loi témoigne d’une conception désuète de la mission de régulation et qu’elle passe à côté des vrais sujets que sont l’adaptation au monde numérique et la précarisation du métier de journaliste. Seule l’introduction de la protection du secret des sources des journalistes nous conduit aujourd’hui à ne pas voter contre ce texte.

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