Intervention de Stéphane Demilly

Séance en hémicycle du 12 octobre 2016 à 15h00
Statut des magistrats et conseil supérieur de la magistrature - modernisation de la justice du xxie siècle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Demilly :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, notre Assemblée est appelée à se prononcer, en dernière lecture, sur le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.

La réforme proposée part d’un constat auquel nous souscrivons tous. Comme cela a déjà été dit avant moi, notre organisation judiciaire souffre de nombreux dysfonctionnements : sa lenteur, ses procédures longues, onéreuses, illisibles et trop souvent perçues comme inefficaces par et pour nos concitoyens. À cela s’ajoute un manque considérable de moyens. Nous saluons donc l’intention exprimée par ce texte de tenter de remédier à ces maux.

Cependant, comme je l’avais indiqué en première lecture, les mesures qu’il prévoit ne sont pas à la hauteur de l’ambition affichée par son intitulé – « Justice du XXIe siècle ».

Monsieur le garde des sceaux, nous reconnaissons que ce texte contient des avancées en matière d’accès au droit, d’action de groupe et de simplification des procédures. Certaines dispositions, comme la création d’un service d’accueil unique du justiciable, sont à l’évidence susceptibles de faciliter l’accès à la justice. D’autres, en privilégiant des modes alternatifs de traitement des litiges, permettront indubitablement de désengorger les juridictions.

L’introduction d’un nouveau divorce par consentement mutuel est également, de notre point de vue, une mesure louable, même si nous devons prendre garde à ce que cette nouvelle procédure ne soit pas au détriment de l’intérêt de l’enfant ou de l’équilibre indispensable entre les deux futurs ex-époux.

Le projet de loi entend, en outre, amorcer une simplification de l’organisation judiciaire et des procédures juridictionnelles, en rapprochant par exemple les tribunaux des affaires de sécurité sociale et ceux qui sont en charge du contentieux de l’incapacité. Cette réforme peut permettre de recentrer les juridictions sur leurs missions premières en les déchargeant d’autres missions.

En revanche, je ne peux que désapprouver la suppression prévue par le texte de la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail – CNITAAT –, établie dans la très belle ville d’Amiens, qui est une juridiction spécialisée parfaitement adaptée à un contentieux complexe. Je crains en effet que cette réforme, qui n’engendre aucune économie et n’apporte aucune simplification, ne se fasse au détriment des professionnels du droit du département de la Somme.

Certes, le texte a évolué favorablement. La version quasi définitive que nous examinons évoque en effet « une cour d’appel spécialement désignée ». Cependant, monsieur le garde des sceaux, nous avons besoin que vous nous confirmiez que, comme vous vous y étiez du reste engagé oralement, la majorité du contentieux sera bien transférée à la cour d’appel d’Amiens.

Par ailleurs, nous ignorons toujours, à cette heure, quel sera le devenir des agents de la CNITAAT. Rien n’a en effet été évoqué dans le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales – IGAS – et de l’Inspection générale des services judiciaires – IGSJ –, alors que ce dernier mentionne les agents des tribunaux des affaires de sécurité sociale – TASS – et des tribunaux du contentieux de l’incapacité – TCI.

Ce rapport évoque en outre la création d’un comité de pilotage interministériel qui doit travailler sur les questions de personnel et regroupe les directions des ministères de la justice et de la santé, ainsi que la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, mais dans la composition duquel il n’est, a priori, pas prévu de représentants du personnel. C’est là une anomalie qu’il convient de corriger, car il apparaît essentiel, et même simplement logique, que les représentants du personnel soient intégrés aux différents travaux concernant précisément celui-ci.

Nous vous demandons donc, monsieur le garde des sceaux, des éclaircissements sur ces différents points.

S’agissant des autres dispositions de ce texte, nous doutons de l’opportunité de confier au tribunal de grande instance des compétences du tribunal de police. Que restera-t-il au tribunal d’instance, hors la conciliation ?

Quant à l’action de groupe, le projet de loi a le mérite de lui donner un socle procédural commun en matière de discrimination, de santé, d’environnement et de données numériques. La création de ce bloc semble plus cohérente que l’éparpillement dans des textes divers que nous avons pu constater et dénoncer ces derniers mois.

Cependant, ces procédures auraient pu – et auraient dû – être davantage encadrées, notamment en réservant aux associations agréées la faculté d’exercer une action de groupe. Nous nous félicitons néanmoins du rétablissement par l’Assemblée nationale, en nouvelle lecture, de la disposition qui prévoit une application limitée aux manquements postérieurs à la promulgation de la loi.

Enfin, nous sommes opposés à l’ensemble des mesures qui auraient pour conséquence de transférer certaines compétences aux officiers de l’état civil. Dans le contexte actuel de baisse drastique des dotations de l’État à nos collectivités, nous devons en effet nous abstenir de faire peser des charges supplémentaires sur les communes – c’est un maire qui vous le dit.

Monsieur le garde des sceaux, chers collègues, si le texte a le mérite d’ouvrir certaines pistes intéressantes pour l’avenir de notre droit, il comporte de nombreuses imperfections et certaines carences, que je viens de détailler. Il est loin d’annoncer le « Vendôme de la justice » que nous appelons de nos voeux depuis plusieurs années.

Comme en première lecture et en nouvelle lecture, le groupe UDI s’abstiendra donc sur ce projet de loi.

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