Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 13 octobre 2016 à 9h30
Lutte contre terrorisme — Présentation

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, l’identité, c’est moins ce que l’on est que ce que l’on fait. Ce sont nos actes qui nous définissent, et c’est d’ailleurs pour cela que nous sommes libres. C’est ainsi que je comprends les mots de Jean Jaurès lorsqu’il disait, le 13 novembre 1906 : « La République n’est pas un dogme, je dirais presque qu’elle n’est pas une doctrine ; elle est avant tout une méthode. »

Aussi les prochaines générations ne nous pardonneraient-elles pas d’avoir douté de nos institutions et de nos valeurs, d’avoir pris des dispositions les remettant en cause. Oui, monsieur le rapporteur, avec le terrorisme, le pire est possible, partout et à tout moment. Vous avez raison, il n’y a plus de fronts, plus d’arrières, plus de champ de bataille, et les objets les plus civils qui rapprochent les hommes peuvent tout à coup être utilisés pour les séparer. Les coups portés par nos ennemis sont des agressions qui ne provoquent rien d’autre que notre propre sidération, ou d’autres coups qui ne seront que leur duplication.

Les attentats sont imaginés et conçus pour traumatiser l’opinion et pour atteindre chaque citoyen dans son imaginaire, quand ce n’est pas dans son corps. Aussi, l’enjeu de notre combat collectif n’est pas seulement d’éradiquer le terrorisme, mais aussi et surtout de ne pas lui donner raison, de ne pas consacrer sa logique perverse, de ne pas tomber dans le mimétisme destructeur ou, comme aurait dit Camus, le mimétisme de la violence.

Qu’avons-nous fait, jusqu’à présent, en matière de lutte contre le terrorisme ? Tous nos textes s’organisent autour d’une volonté propre à notre État de droit : prévenir l’action tout en organisant la répression, de la création des assises spéciales en 1982 à la création de l’infraction pour « association de malfaiteurs terroristes » en 1996, en passant par la définition de l’acte terroriste et son traitement judiciaire, la centralisation parisienne des poursuites, des enquêtes et des jugements, et la spécialisation des policiers et des magistrats en 1986.

C’est cette même logique que l’on retrouve dans les textes adoptés au cours de la présente législature : la loi du 21 décembre 2012, qui a introduit la compétence universelle en matière de lutte contre le terrorisme ; la loi du 13 novembre 2014, qui, en ce domaine, a renforcé de très nombreuses dispositions en matière de police judiciaire et administrative ; la loi, enfin, du 3 juin de cette année.

Cette loi a très largement repris les mesures contenues dans la proposition de loi de Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat, présentée le 2 février dernier : je pense notamment aux perquisitions de nuit, au suivi sociojudiciaire en cas de condamnation pour terrorisme ou à la captation de données informatiques. L’issue positive de la commission mixte paritaire – CMP –, réunie sous l’égide de la commission des lois de l’Assemblée nationale – dont je salue le président – et de celle du Sénat, a témoigné d’une volonté partagée de rassemblement. Les débats publics avaient tracé le chemin puisque le projet du Gouvernement avait été voté par votre assemblée à 474 voix contre 32. Le Sénat, lui, l’avait approuvé par 299 voix contre seulement 29.

Alors oui, nous pouvons être fiers d’avoir uni nos efforts au service de la sécurité et des garanties apportées à nos concitoyens, pour renforcer les moyens des magistrats et introduire une série de simplifications procédurales. Ce texte est venu consolider le modèle français de lutte contre le terrorisme, modèle qui confie à l’autorité judiciaire un large spectre d’actions s’étendant de la prévention à la répression. Ce que nous avons recherché, c’est l’efficacité.

Nous avons renforcé l’État de droit : cette dernière expression revient souvent dans nos débats, mais peut-être n’est-elle pas suffisamment définie. Simple en apparence, elle relève aussi, pour certains de nos concitoyens, de la tautologie – tout État serait de droit. Et si elle est simple, sa réalité l’est encore plus. Un État de droit est un État dans lequel les libertés publiques font l’objet d’une protection juridique et judiciaire ; c’est un État dans lequel l’État lui-même accepte de se limiter dans ses prérogatives afin de respecter des principes qui lui sont supérieurs.

Ces principes sont inscrits dans nos textes fondateurs, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le préambule de la Constitution de 1946 et la Constitution de 1958 ; mais ils figurent aussi dans les conventions internationales que la France a librement ratifiées : la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000.

Concrètement, quatre éléments sont indispensables pour qu’existe un État de droit : l’indépendance des tribunaux, la garantie des libertés fondamentales – liberté de conscience et d’expression notamment –, la responsabilité des gouvernants face à leurs actes, la soumission de l’administration et de la juridiction aux lois.

L’État de droit n’est donc pas seulement un cadre défini par des lois. Ce n’est pas une accumulation de règles autour de principes généraux ; ce sont aussi des traditions, au service de l’efficacité, et pas seulement des normes que l’on peut tordre au gré des besoins et des convenances.

Aujourd’hui, monsieur le rapporteur, la notion d’« État de droit » vous gêne ; au point qu’il vous arrive d’opposer l’État de droit à l’efficacité, appelant les défenseurs du premier des « idéologues » et les tenants de la seconde des « pragmatiques ». Vous estimez qu’il n’est plus temps de se préoccuper du droit, que c’est trop long, que cela exige trop de précautions, et surtout que, au final, ces précautions sont dérisoires face à l’ampleur du défi. Vous nous reprochez de n’avoir pas tout essayé. Vous avez raison, monsieur le député : nous n’avons pas essayé le bagne, la torture ou la réhabilitation de la peine de mort.

1 commentaire :

Le 14/10/2016 à 16:07, laïc a dit :

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"C’est ainsi que je comprends les mots de Jean Jaurès lorsqu’il disait, le 13 novembre 1906 : « La République n’est pas un dogme, je dirais presque qu’elle n’est pas une doctrine ; elle est avant tout une méthode. »

Et maintenant, avec les marionnettes de la télé qui ridiculisent sciemment et grotesquement à une heure de grande écoute les hommes et femmes politiques censés représenter la République, sans que ceux-ci et celles-ci n'osent contester, elle n'est plus qu'une farce pour divertir le grand public. Comment la République peut-elle est être digne et respectable si on peut la ridiculiser à dessein avant une émission grand public, genre le débat pour les primaires de droite ? Comment aller voter ensuite quand on voit à quel point le débat d'idée est par avance ridiculisé ?

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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