Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 13 octobre 2016 à 9h30
Lutte contre terrorisme — Présentation

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice :

Que propose votre texte ? Des mesures qui existent déjà, et que vous avez votées ; des mesures inutiles, qui selon nous fragiliseraient l’efficacité de notre arsenal juridique ; des mesures qui ignorent l’État de droit, conduiraient à un régime de suspicion et à un affaiblissement de notre démocratie, ce qui correspond exactement aux buts de guerre des terroristes.

Que signifie, monsieur le rapporteur, de « permettre, même hors état d’urgence […], l’assignation à résidence […], le placement sous surveillance électronique mobile » et « le placement en centre de rétention », avec contrôle du juge des libertés et des peines « au-delà de quinze jours » ? Cela signifie tout simplement un emprisonnement sur la seule base de la suspicion ; cela signifie le retour à une forme de légalisation de l’arbitraire, la transformation de l’état d’exception en un état permanent, et la transformation de l’État de droit en ce que les juristes appellent un État de police.

À quoi servirait de créer un nouveau fichier des individus radicalisés ? Outre qu’elle contreviendrait à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme – relatif au droit à la liberté et à la sûreté –, cette disposition repose sur une méconnaissance, non seulement de l’utilisation qui est faite du dispositif des fiches dont il vise à s’affranchir, mais aussi du fichier FSPRT – Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste. Au regard de l’existence de ce dernier fichier et de l’utilisation qui en est faite, quel est l’apport de votre proposition ? À nos yeux, elle n’aurait aucune plus-value.

En devenant le support d’une décision, ce fichier perdrait très largement sa finalité de renseignement, lequel suppose que les personnes ciblées ne soient pas informées du contenu de la surveillance dont elles font l’objet. Non seulement cette proposition est inutile et dangereuse, mais elle se heurte à des obstacles que vous connaissez parfaitement puisqu’ils sont de nature constitutionnelle, la notion de « personne radicalisée » n’étant définie nulle part, et l’absence de critères objectifs sur les personnes étant de nature à l’entacher d’incompétence négative.

Par l’article 4 de votre proposition de loi, vous demandez l’expulsion des étrangers menaçant l’ordre public, faisant l’objet d’une fiche S ou inscrits au nouveau fichier des personnes radicalisées. Or il existe déjà des dispositions qui permettent l’expulsion immédiate d’un étranger qui constituerait une menace grave pour l’ordre public, y compris dans le cadre d’une procédure d’urgence. Le Gouvernement, d’ailleurs, n’hésite pas à y recourir : depuis 2012, quatre-vingt-six mesures d’expulsion ont ainsi été prononcées à l’encontre d’étrangers radicalisés constituant une menace pour l’ordre public, dont seize depuis le début de l’année 2016.

L’article 9 est tout aussi inutile. Il tend à permettre la fouille des détenus condamnés pour terrorisme ou de ceux qui font preuve de prosélytisme en prison, sans qu’il soit besoin de motiver cette fouille ni d’en faire un rapport spécial auprès du parquet ou de l’administration centrale. Cette proposition est inutile, disais-je, pour deux raisons. En premier lieu, vous avez, par votre vote, introduit dans notre arsenal législatif la possibilité de recourir à des fouilles non individualisées en cas de suspicions sérieuses quant à l’introduction de substances ou d’objets interdits en prison, ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens. Cette disposition satisfait aux nécessités pratiques de la détention.

Conformément aux obligations internationales de notre pays – notamment la Convention européenne des droits de l’homme, la CEDH –, cette possibilité est assortie de la nécessaire traçabilité, elle-même indispensable en cas de poursuites judiciaires.

En outre, aux termes de la jurisprudence du Conseil d’État, le premier alinéa de l’article 57 de la loi pénitentiaire permet des fouilles individualisées systématiques pour des personnes détenues, notamment pour faits de terrorisme. Aucun besoin juridique ne justifie donc la disposition que vous proposez.

Si j’ai mentionné ces quelques articles de votre texte – et j’aurais pu en mentionner d’autres –, c’est pour vous montrer que, si j’en comprends les motivations, vos propositions me semblent parfaitement inutiles. Depuis le début du quinquennat, notre action repose sur la conviction que l’État de droit n’est pas un obstacle à la sécurité, que l’on peut avoir des valeurs et être efficace, que l’on peut être pragmatique et suivre le chemin que nous indique la boussole du droit.

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