Intervention de Maud Olivier

Réunion du 11 octobre 2016 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaud Olivier, rapporteure :

Mes chères collègues, nous sommes aujourd'hui réunies pour examiner le rapport d'information sur les études de genre.

Nous avons souhaité travailler sur ce sujet pour évaluer les dispositions de l'article 1er de la loi du 4 août 2014, qui définit comme composante de la politique pour l'égalité entre les femmes et les hommes les « actions visant à porter à la connaissance du public les recherches françaises et internationales sur la construction sociale des rôles sexués ».

Nous avons mené neuf séances d'auditions en 2016, qui ont eu lieu essentiellement en mai, juin et septembre derniers, et qui nous ont permis d'entendre des points de vue très complémentaires, avec des associations telles que le Centre Hubertine Auclert, l'Association nationale des études féministes (ANEF) ou encore ONU Femmes, et des universitaires travaillant sur les études de genre dans de disciplines très différentes, comme l'économie, la biologie, le droit, la sociologie…

Toutes les auditions, ouvertes à la presse, ont été filmées et sont visibles sur le site de l'Assemblée nationale.

Ce rapport montre qu'il s'agit d'un sujet important et nous a permis de faire le point sur la notion de genre et le vaste champ des études de genre, qui ont fait l'objet de tant d'interprétations erronées à l'origine de plusieurs polémiques infondées.

Pour rappel, le genre n'est pas une idéologie. C'est un concept. Il n'existe pas de « théorie du gender », mais des études de genre qui veillent à questionner les rôles qui nous sont socialement assignés. Elles expliquent en quoi, au-delà des évidentes différences anatomiques, les inégalités femmes-hommes sont le résultat d'une construction sociale et historique, non le produit d'un quelconque déterminisme biologique. Ce qui relève de la construction peut être déconstruit ou construit autrement.

C'est une réalité démontrée par des décennies de travaux à l'échelle internationale, en sociologie, en histoire, en ethnologie, en anthropologie, en biologie, et notamment en neurobiologie. La France tend à rattraper son retard, mais il reste encore fort à faire.

Comme le Conseil de l'Europe, l'Union européenne, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et tant d'autres, l'ONU utilise le concept de genre de façon très courante et le définit comme l'identité, les attributs et le rôle de la femme et de l'homme, tels qu'ils sont définis par la société, et la signification sociale et culturelle que la société donne aux différences biologiques, ce qui engendre des rapports hiérarchiques entre femmes et hommes et se traduit par une répartition du pouvoir et des droits favorables aux hommes et désavantageux pour les femmes.

Pour lutter contre les inégalités, il faut savoir de quoi on parle, quels sont les facteurs de celles-ci. Ainsi, prendre en compte le genre dans les recherches, mais aussi dans l'action publique, est nécessaire pour faire progresser l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Je vais maintenant vous présenter brièvement les grandes lignes de ce rapport, puis les recommandations proposées.

La première partie du rapport s'intitule : « Les études de genre en France, un essor à consolider ».

Le rapport aborde d'abord la question de l'historique des études de genre en France, qui s'inscrivent dans la tradition des études féministes. Puis, il fait l'état des lieux des études de genre dans l'enseignement supérieur et la recherche en France. Il est apparu que les études de genre étaient relativement bien développées en France, mais qu'elles manquaient de visibilité et de reconnaissance.

La seconde partie du rapport s'intitule : « L'intégration du genre dans les politiques publiques, un levier essentiel pour faire progresser l'égalité réelle ». Elle porte sur la nécessité de prendre en compte les différences des rôles assignés aux femmes et aux hommes pour améliorer l'efficacité des politiques publiques et faire progresser l'égalité.

Il s'agissait d'approfondir plusieurs exemples de politiques publiques afin de mieux appréhender les enjeux de l'intégration de la dimension du genre dans le processus d'élaboration, de mise en oeuvre et d'évaluation des différentes politiques publiques. Le rapport développe ainsi les exemples des politiques urbaines éducatives et de santé.

Le rapport examine, en outre, les méthodes de budgétisation sensibles au genre (gender budgeting), un des instruments clefs de l'approche intégrée de l'égalité femmes-hommes, qui suit une logique transversale, parallèlement aux politiques spécifiquement dédiées à l'égalité. Nous plaidons pour cette logique transversale. La dimension du genre doit être intégrée dans l'ensemble des politiques publiques et des processus budgétaires pour renforcer leur efficacité et faire progresser l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Dans le prolongement de ces travaux, je vous propose vingt-quatre recommandations.

Concernant, en premier lieu, la place des études de genre dans l'enseignement supérieur et la recherche, huit recommandations sont présentées afin de renforcer la visibilité et la reconnaissance des études de genre en France.

La première recommandation propose de systématiser l'actualisation annuelle du recensement des recherches et des enseignements sur le genre en France.

La deuxième recommandation tend à créer un collegium à l'échelle nationale permettant de relier les différentes structures de recherche et d'enseignement sur le genre afin de nouer un lien étroit entre l'enseignement et la recherche et de donner une meilleure visibilité nationale et internationale aux recherches françaises dans ce domaine.

La recommandation suivante vise à encourager la diffusion des études de genre en renforçant les moyens du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) dédiés à la diffusion au grand public des travaux de recherche sur les études de genre, mission qui lui a été confiée dès 2013, et en mettant en place une thématique « genre » dans le cadre de la web TV scientifique d'Universcience, acteur incontournable de la diffusion de la culture scientifique.

La quatrième recommandation propose d'améliorer la reconnaissance des études de genre dans le monde de la recherche et dans le déroulement de carrière des chercheurs et des chercheuses, en créant un prix national pour récompenser un résultat de recherche en études de genre et en demandant au Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) de mieux prendre en compte les études de genre dans ses missions d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur.

Il conviendrait par ailleurs de soutenir la consolidation des équipes de recherche sur le genre en structures pérennes au sein des organismes de recherche, en s'inspirant notamment des actions menées par la Mission pour la place des femmes du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

La sixième recommandation prévoit d'encourager le développement des recherches sur le genre dans toutes les disciplines académiques, notamment en intégrant davantage la thématique « genre » dans les financements et les appels à projet de l'Agence nationale de la recherche, à l'image de la démarche du programme européen Horizon 2020.

La septième recommandation propose de pérenniser et de développer le groupement d'intérêt scientifique (GIS) Institut du Genre comme plateforme d'informations et d'échanges sur les recherches et les enseignements sur le genre.

La huitième recommandation vise à inciter les établissements universitaires à créer de nouveaux enseignements sur le genre, notamment en créant un bonus financier accordé aux universités qui mettent en place des modules dédiés au genre et adaptés aux différents cursus.

En second lieu, le rapport formule une dizaine de recommandations concernant l'intégration de la dimension du genre dans les différentes politiques publiques examinées.

Je commencerai par les politiques urbaines.

Il est tout d'abord proposé de mettre en oeuvre une pédagogie de l'espace pour parvenir à une culture et un usage égalitaires de la ville. Ce qu'a mis en place la Mairie de Paris s'inscrit dans ce type de démarche

Il est suggéré de diffuser dans les commissariats de police une circulaire sur l'accueil des femmes victimes de harcèlement de rue, d'introduire dans le code pénal un délit d'agissements sexistes, d'encourager les campagnes de communication locales ou nationales sur la sécurité et l'égalité femmes-hommes portant un discours non culpabilisant à l'égard des femmes et dénonçant les comportements sexistes, en incitant à la création d'ateliers, dans les cadres scolaire et périscolaire, portant sur le partage de l'espace entre les filles et les garçons.

La dixième recommandation tend à améliorer le processus d'élaboration et d'évaluation des politiques publiques par la prise en compte de la dimension de genre et par la mise en place de mécanismes de consultation afin de mieux prendre en compte les femmes qui, en général, participent peu à ces consultations.

Pour ce faire, le rapport invite à développer des consultations paritaires des habitants des zones urbaines et à veiller à aménager les horaires pour favoriser la participation des femmes, à associer systématiquement les déléguées et délégués régionaux et les chargées et chargés de mission départementaux aux droits des femmes et à l'égalité à l'élaboration des projets de politiques de la ville, et à veiller à la présence d'une chargée de mission égalité femmes-hommes au sein du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET).

J'insiste sur le fait d'associer les déléguées régionales et les chargées de mission départementales à l'élaboration des projets de rénovation urbaine, car elles ne sont pas systématiquement invitées. On se prive ainsi d'un regard particulièrement intéressant.

La onzième recommandation propose d'améliorer l'intégration de la dimension de genre dans la gestion territoriale des collectivités, en développant l'accompagnement des collectivités territoriales par la création de centres de ressources régionaux pour l'égalité femmes-hommes, à l'image du Conseil recherche ingénierie formation pour l'égalité femmes-hommes (CORIF) ou du Centre Hubertine Auclert ; en créant un espace numérique national « EGALiTER : femmes et hommes égaux dans les territoires » pour outiller, accompagner et valoriser les territoires et leurs acteurs agissant pour l'égalité, intégré au site internet du CGET, comme le recommande le rapport EGALiTER du HCEfh ; enfin, en majorant certaines dotations pour les collectivités territoriales souhaitant créer un poste de « référent.e à l'égalité femmes-hommes » en charge de la prise en compte de ces enjeux de genre dans leurs différentes politiques publiques.

En l'occurrence, j'ai repris une mesure que nous avons mise en place au conseil général de l'Essonne. Nous avons doté les collectivités territoriales qui avaient créé un poste de référent.e à l'égalité femmes-hommes de fonds supplémentaires. Le levier financier est intéressant, car il est toujours pris en compte…

La douzième recommandation incite à la mise en place de politiques temporelles dans les collectivités territoriales, intégrant systématiquement un axe prioritaire « égalité femmes-hommes », pour améliorer la qualité de vie des citoyens et des citoyennes.

La treizième recommandation propose d'explorer et de diffuser les bonnes pratiques pour mieux intégrer la dimension de genre aux politiques urbaines dans les collectivités en France et à l'international : dans ce sens, le Gouvernement doit publier un guide « égalité femmes-hommes » rappelant aux collectivités territoriales leurs obligations en la matière, présentant les outils mis à leur disposition et mettant en avant les bonnes pratiques repérées.

J'en arrive aux politiques d'éducation.

La quatorzième recommandation propose de développer la formation à l'égalité des enseignants et des enseignantes dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), de prévoir une évaluation régulière des enseignements dispensés et d'intégrer dans les épreuves du concours la thématique de l'égalité femmes-hommes.

La recommandation suivante vise à compléter l'intégration de l'égalité femmes-hommes dans les programmes scolaires à travers des modules dédiés et des approches transversales dans les différents enseignements.

La seizième recommandation propose de mieux intégrer le genre et l'égalité femmes-hommes dans les manuels scolaires, en diligentant une mission d'évaluation des manuels scolaires, confiée à des chercheurs et chercheuses spécialisés dans les questions de genre ; en approfondissant, à la lumière de ce diagnostic, les instructions données aux auteures, auteurs, éditeurs et éditrices de manuels scolaires ; en créant un label ministériel « égalité » pour les manuels dont les contenus sont adaptés à l'apprentissage de l'égalité femmes-hommes et à la déconstruction des stéréotypes de genre, pouvant s'appuyer sur la grille d'évaluation élaborée par le Centre Hubertine Auclert.

La dix-septième recommandation suggère de réunir ces outils dans un guide pratique de formation à l'égalité femmes-hommes destiné à l'ensemble des membres des équipes éducatives. Au-delà des enseignants et des enseignants, c'est toute la communauté éducative qu'il faut sensibiliser et former.

Enfin, concernant les politiques de santé, la dix-huitième recommandation propose d'améliorer la formation initiale et continue des médecins pour mieux prendre en compte le facteur genre et assurer une égalité des diagnostics entre les femmes et les hommes.

La dix-neuvième recommandation tend à encourager le développement des recherches sur la thématique « genre et santé » afin d'améliorer la compréhension du rôle du genre dans la physiologie et la pathologie.

En troisième lieu, concernant l'intégration du genre dans les processus d'élaboration des normes juridiques et des budgets, afin de faire progresser l'égalité et d'améliorer l'efficacité de toutes les politiques publiques, cinq recommandations sont présentées.

La vingtième recommandation vise à approfondir la prise en compte des enjeux d'égalité de genre dans les études d'impact pour améliorer l'élaboration des normes juridiques, par exemple en confiant au Secrétariat général du Gouvernement un rôle de contrôle des analyses prescrites par la circulaire du 23 août 2012 dans les études d'impact, afin que leur existence et leur qualité conditionnent l'inscription des projets de loi dans la suite du parcours législatif, comme le propose la Cour des comptes.

La vingt et unième recommandation suggère de faire de la commande publique un levier de l'égalité femmes-hommes, en sensibilisant et en informant les acteurs et les actrices de la commande publique – administrations, élues et élus, etc. ; en formalisant et en diffusant des clauses types d'égalité à partir des premières expériences réussies.

La recommandation suivante propose de développer le recueil et la publication de données sexuées dans l'ensemble des champs des politiques publiques et d'utiliser ces données pour améliorer les études d'impact et les évaluations des textes législatifs et réglementaires.

Il est par ailleurs préconisé de s'inspirer de l'exemple de la Belgique pour institutionnaliser et systématiser la prise en compte du genre dans l'ensemble des politiques publiques, en inscrivant à l'ordre du jour du prochain comité interministériel aux droits des femmes et à l'égalité un bilan des pratiques actuelles et une étude des moyens d'intégrer la budgétisation sensible au genre aux procédures budgétaires françaises ; en développant une catégorisation des actions présentées dans la seconde partie des lois de finances, afin de permettre d'examiner l'ensemble des crédits attribués aux politiques publiques sous l'angle de l'égalité entre les femmes et les hommes – un budget n'est jamais neutre – ; en formant les personnels administratifs en charge des budgets à la nécessité de la prise en compte du genre dans l'élaboration des politiques publiques et à la démarche de la catégorisation.

Enfin, la vingt-quatrième et dernière recommandation suggère de s'inspirer de l'exemple de Vienne pour mettre en oeuvre une approche intégrée de l'égalité dans les collectivités territoriales et développer le partage des bonnes pratiques en s'appuyant sur un organisme public pertinent, comme le HCEfh, le Commissariat général à l'égalité des territoires, le Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Voilà, mes chères collègues, les principaux points du rapport d'information sur les études de genre.

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