Intervention de Paul Giacobbi

Séance en hémicycle du 18 octobre 2016 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2017 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Giacobbi :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé du budget, Rabindranath Tagore, auteur bengali qui a obtenu, en 1913, le prix Nobel de littérature, a écrit, entre autres ouvrages, La Maison et le Monde. Je m’en inspirerai modestement ce soir, même si c’est de manière nettement moins poétique, pour vous dire quelques mots du « monde », c’est-à-dire de la conjoncture internationale qui s’impose à nous tous, et de la « maison », et plus particulièrement et très égoïstement de la mienne, c’est-à-dire la Corse, qui n’en est pas encore à prendre feu mais dans laquelle il vaudrait mieux éviter chaque année de faire craquer des allumettes fiscales destinées à incendier sauvagement des pans entiers d’une législation finalement peu coûteuse et tout à fait justifiée. Je m’empresse de dire que les incendiaires ne se trouvent pas sur le banc du Gouvernement. Je dirais plutôt qu’en la circonstance, le Gouvernement est dans le rôle du pompier, même s’il a bien d’autres feux à éteindre par ailleurs.

La conjoncture internationale, chacun le sait, n’évolue pas bien. À la suite de la crise de 2007, en particulier depuis 2009, les institutions internationales, les commentateurs nous ont dit que cela irait mieux. Cela n’a pas été le cas, car ce genre de crises met beaucoup de temps à se régler. Aujourd’hui, même le FMI semble avoir compris que le monde occidental est condamné à une croissance inférieure à 2 %.

Le plus grave n’est pas cette quasi-stagnation mais la remontée des taux d’intérêt, pour l’heure modeste, il est vrai : en substance, on nous dit qu’aux États-Unis d’Amérique, sitôt l’élection passée, on connaîtra une augmentation des taux d’intérêt, certes très inférieure à un point mais tout de même non négligeable. À ce stade, monsieur le secrétaire d’État, on peut difficilement reprocher à votre budget de ne pas prendre en compte ce phénomène. Vous avez en effet prévu, si j’ai bien lu, une hausse des taux d’intérêt de 1 point sur l’année 2017, ce qui est, en tout cas à ce stade, tout à fait raisonnable.

D’aucuns se lancent dans la comparaison des prévisions de taux de croissance. Ce qui m’étonne, c’est qu’on insiste sur le fait que le Gouvernement, représenté ce soir par Christian Eckert, aboutit à une prévision de 1,5 %, et l’INSEE à 1,3 %. Je ne vais pas me lancer dans une comparaison des transparences respectives de la boule de cristal de l’INSEE et de celle du secrétaire d’État au budget et, plus généralement, de Bercy. Elles sont d’ailleurs du même tonneau, puisque l’un et l’autre utilisent à peu près les mêmes raisonnements…

Mais admettons que l’INSEE ait raison, et que la croissance se situe au niveau bas, 1,3 % : cela ne ferait jamais que 0,2 point de différence avec le chiffre de Bercy ! Alors comment, avec une différence de 0,2 point de PIB, pourrait-on arriver à un écart extravagant, de l’ordre de près de 1 point, en termes de déficit rapporté au PIB ? C’est idiot ! Faites le calcul de toutes les manières que vous voudrez, vous obtiendrez péniblement un creusement du déficit de 0,1 point. Autrement dit, si l’INSEE ex post a raison – de toute façon, on ne le saura que dans quatre ans – le déficit ne sera pas de 2,7 %, comme le prévoit le Gouvernement, mais de 2,8 %… Très franchement, tout le monde se moque éperdument de savoir si le déficit atteindra 2,7 % ou 2,8 % du PIB ! Ce n’est pas, en économie, une grandeur significative : c’est une différence très difficile à prévoir, et même à mesurer. Ce n’est que ex post que l’on pourra donner les chiffres définitifs.

Pour ce qui est des taux d’intérêt, on peut supposer qu’ils vont remonter au cours de l’année 2017, mettons de 1 point. C’est peu de chose, et cela a été intégré, à ce stade, dans la prévision du Gouvernement. Mais admettons qu’ils se maintiennent à ce point de plus pendant plusieurs années – je ne parle pas d’une augmentation de 1 point chaque année ! Sachant que, chaque année, nous recourons à l’endettement dans une proportion bien supérieure au déficit de l’année, puisque nous sommes contraints non seulement d’emprunter pour couvrir le déficit de l’État, mais également de renouveler les emprunts antérieurs… Combien empruntons-nous, monsieur le secrétaire d’État, 200 ou 220 milliards par an ? Un peu moins, me dites-vous ? Toujours est-il que c’est largement plus que le montant du déficit de l’année. Donc, si le taux d’emprunt devient supérieur à ce qu’il était il y a sept ou huit ans, ce qui, pour l’heure, est loin d’être le cas, cela pourrait, à terme, constituer un problème. Mais, je le répète, tel n’est pas le cas pour le moment à terme prévisible.

Je sais bien qu’il est arrivé que des économistes distingués et des présidents de banques centrales imposent des taux d’intérêt réels monstrueux. J’aime à citer le cas de Paul Volcker, qui avait imposé il n’y a pas si longtemps – il est d’ailleurs toujours en vie – des taux d’intérêt réels, aux États-Unis d’Amérique, de 17 %. C’était au début des années quatre-vingt. Aujourd’hui, le taux de base des banques centrales est proche de zéro, quand il n’est pas négatif. Nous sommes donc loin de cette époque, même si, en faisant de la politique-fiction, on peut imaginer y revenir un jour. En tout état de cause, quand bien même on serait persuadé que cela arrivera, le Gouvernement peut difficilement en tenir compte dans le budget 2017, puisque cela ne serait susceptible de survenir qu’à une échéance plus lointaine.

Il y a autre chose dont le Gouvernement ne peut tenir compte, et l’on ne saurait davantage lui faire ce grief, parce que cela ne se produira que plus tard : je veux parler de l’explosion de bulles spéculatives. Car nous nous trouvons dans une situation extravagante. Il s’est formé en Chine une bulle immobilière – à Shanghai, les prix des terrains sont trois fois plus élevés qu’à Manhattan ! – et aussi une bulle financière, et plus exactement une bulle des créances bancaires. On note, partout, un retour à des bulles immobilières et à une surévaluation, désormais chronique, des marchés financiers. C’est lié à une liquidité de l’économie historiquement sans précédent, en augmentation plus que significative par rapport au niveau qu’elle avait atteint peu avant la crise, entre 2006 et début 2007.

Aujourd’hui, on nous raconte, dans la vulgate publique – pas celle de la République française, celle du monde de l’économie – que l’économie recèlerait moins de risque, même à niveau de bulle équivalent, qu’en 2007 parce que nous aurions été capable de mieux contrôler les banques, grâce à une réglementation appropriée et devenue soudain étrangement efficace. Il se trouve que cette prétendue évidence est absolument fausse. Je me réfère de manière très précise à une lecture académique et qui fait, je crois, autorité : « Have big banks gotten safer ? » – les grandes banques sont-elles devenues plus sûres ? – publiée en septembre 2016 par Natasha Sarin et Lawrence Summers, de l’université de Harvard. Cette étude démontre au contraire que le risque est plus grand qu’il n’était avant la crise, en dépit d’une réglementation envahissante et très sophistiquée – et peut-être, à certains égards, à cause de cette réglementation. Je signale que Lawrence Summers fut un conseiller économique du président Obama.

J’en viens à présent, sans aucunement vouloir vous contrarier, monsieur le secrétaire d’État, à la « maison Corse ». Ce que l’on doit attendre, pour la maison Corse, en matière fiscale, ce n’est certainement pas une forme de tolérance excessive ou l’admission de situations dépourvues de justification. Ce que l’on peut attendre, en revanche, c’est l’apaisement, l’apurement et l’encouragement. En tout cas, on ne peut accepter que certaines institutions, et, parfois, certaines personnes, voire certains collègues, affirment de manière récurrente, pour ne pas dire obsessionnelle, que la Corse bénéficie d’avantages indus et veuillent faire de notre île, dans un pays qui compte en général plus d’exceptions qu’il n’y a de règles et plus de niches fiscales qu’il n’y a de catégories de contribuables, une sorte de symbole de la dérogation.

Il y a bien des recoins sombres dans le maquis fiscal national, mais ils ne se trouvent pas essentiellement en Corse, qui est pourtant l’île du maquis. Ce que je nomme l’apurement n’est pas la normalisation, au sens d’un alignement sur la norme nationale : cela consiste d’abord à améliorer régulièrement le recouvrement des impositions de toute nature en Corse. Or c’est ce qui se passe sur la durée : à titre d’exemple, le taux de recouvrement des impôts des particuliers, qui atteint près de 97 %, s’est considérablement amélioré, même s’il reste encore inférieur à celui observé sur le continent, qui n’atteint pas non plus la perfection puisqu’il est de 98,7 %. La perfection n’est pas de ce monde mais on s’en approche…

L’apurement pourrait aussi prendre la forme d’une clarification. Certains impôts ne sont pas perçus en Corse, par application de décisions ministérielles très anciennes et toujours renouvelées, ou parfois sur le fondement de textes de valeur législative, eux, mais vieux de deux siècles et qui mériteraient d’être modernisés. La clarification consisterait à conférer à ces situations une base à la fois légale dans la forme et récente dans l’expression. De fait, lorsqu’une exception repose sur un texte ou une pratique vieille de deux cents ans, cela pose problème…

Prenons l’exemple des ventes de vins produits et consommés en Corse : elles ne sont pas assujetties à la TVA, situation qui découle d’une application constante par la direction générale des finances publiques de travaux parlementaires tenus dans cette même assemblée et qui remontent au 17 octobre 1967. La réponse ministérielle était à cet égard très claire. Mais même s’il est possible et légitime que le Gouvernement, même en matière fiscale, applique la loi en appuyant son interprétation sur des travaux parlementaires, il serait préférable qu’une disposition légale nouvelle et explicite conforte cette application du droit fiscal. Quant au fond, il n’est pas du tout scandaleux que la filière viticole en Corse continue de bénéficier de cet avantage. De fait, il est beaucoup plus coûteux et plus difficile de produire du vin en Corse, compte tenu, notamment, du surcoût sur l’ensemble des intrants de 12 à 15 % : il faut en effet faire venir du continent le matériel de vinification, les emballages, les bouchons et les bouteilles.

Au passage, la Cour des comptes fait un calcul que je n’arrive pas à comprendre. Selon elle, il résulterait de cette règle un coût annuel de 50 millions d’euros pour l’État. Mais comment pourrait-on réaliser 50 millions d’euros d’économies sur une taxe de 20 % appliquée à un chiffre d’affaires global de 160 millions ? De surcroît, la règle critiquée ne porte en réalité que sur un montant de chiffre d’affaires bien inférieur, puisqu’il ne concerne que ce qui est produit et consommé en Corse. En réalité, le coût de cette mesure pour le budget de la République est de l’ordre de 12 millions d’euros par an, ce qui peut paraître beaucoup mais est en réalité très faible, et probablement inférieur au surcoût que fait peser sur la filière le simple phénomène d’insularité.

L’apaisement et la clarification pour la Corse, monsieur le secrétaire d’État, ce serait aussi de sortir enfin de la fameuse affaire des arrêtés Miot, dans des conditions raisonnables et acceptables, sur la base de ce que les parlementaires corses vous ont proposé. Cela consiste d’ailleurs en un alignement à terme sur le droit commun, alignement qui deviendra total le jour où la situation de notre foncier sera réellement comparable, en matière de titrage et d’indivision, à la situation qui prévaut ailleurs dans la République et notamment sur le continent. Je sais que vous êtes très attentif à cette situation. Je signale au passage que ce qui sera inscrit dans la loi s’appliquera non seulement à la Corse, mais aussi à toutes les situations où l’on retrouve une difficulté quant au titrage et à l’indivision.

Je voudrais aussi rappeler que l’équité, l’égalité ne consistent pas à appliquer la même règle à des situations différentes : c’est appliquer des règles identiques lorsque les situations sont les mêmes, mais des règles différenciées lorsque la différence de situation le justifie. Il y a dans le droit fiscal français toute une série de différences rationnelles selon les territoires. Pour le démontrer, les députés de la Corse pourraient, parce qu’ils sont aussi ceux de la nation tout entière, s’attaquer à des dispositions dérogatoires dont bénéficient d’autres parties du territoire national.

Enfin, l’encouragement, dans la fiscalité de la Corse, serait d’admettre qu’il faut peut-être parfois aller un peu plus loin pour ce territoire ou pour d’autres qui peuvent lui ressembler, aux caractères insulaires, montagneux ou très ruraux. C’est ce que modestement je proposerai en matière de fiscalité de la recherche et du développement, au titre du crédit d’impôt recherche et du crédit d’impôt innovation pour ne citer que ces deux exemples.

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