Intervention de Jean-Yves le Drian

Séance en hémicycle du 19 octobre 2016 à 15h00
Débat sur les opérations extérieures de la france

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Monsieur Lellouche, nous y mettons fin, car cette opération a été un succès. Non seulement nous avons évité des massacres de masse, mais nous avons permis un processus de réconciliation intercommunautaire ainsi que la reconstruction de l’État centrafricain, avec des élections présidentielles et législatives. Nous avons mis en place un outil de formation de la nouvelle armée centrafricaine, baptisé EUTM RCA. Enfin, nous avons permis le déploiement de la mission des Nations unies, pour garantir sur le moyen terme la sécurité de ce pays.

Cette opération est la preuve du pragmatisme et de l’efficacité des hommes et des femmes qui se sont succédé sur ce théâtre difficile. Je serai heureux de clore officiellement notre intervention sur ce terrain et de passer le relais aux Nations unies le 31 octobre prochain. Nous n’abandonnerons pas pour autant la République Centrafricaine, car nous continuerons à appuyer et à soutenir les forces internationales.

Je tenais à faire cette mise au point, car c’est un événement important. Notre mission terminée, et même si la stabilité n’est pas totalement revenue, il importe à présent que le relais soit pris aussi bien par les forces centrafricaines que par la mission des Nations unies.

Je dirai deux mots, également, du Levant, et de l’opération Barkhane.

Les objectifs de notre stratégie au Levant sont clairs, et tiennent en deux mots : vaincre Daech. Cette organisation est notre ennemie, qui nous attaque sur notre propre territoire. Il faut la vaincre, et pour la vaincre il faut la frapper au coeur. Pour cela, nous avons trois objectifs d’application au Levant : premièrement, infliger à Daech une défaite militaire ; deuxièmement, renforcer les capacités des forces de sécurité irakiennes et kurdes qui combattent Daech au sol, en les aidant à se structurer sur la longue durée ; troisièmement, soutenir un processus de réconciliation irakien, car seules la stabilité et la crédibilité politiques garanties par les institutions irakiennes seraient de nature à empêcher la résurgence de Daech sur le long terme.

Il nous faut donc aider le processus de réconciliation irakien en encourageant la construction d’institutions multiconfessionnelles, inclusives et représentatives. Je dis cela à l’attention de M. Chassaigne, qui a soulevé une vraie question à propos de gouvernorat de Ninive : comment Mossoul sera-t-elle dirigée après sa reconquête ? Il faudra que les différentes communautés présentes dans cet espace – vous les avez rappelées : musulmans chiites et sunnites, kurdes, yézidis et chrétiens – soient bien représentées. C’est aux Irakiens de prendre les initiatives nécessaires pour assurer la stabilité après la reprise de Mossoul. Pour avoir rencontré un certain nombre d’entre eux, je sais qu’ils se préoccupent dès à présent de la manière dont ils prendront le relais.

J’ai déjà évoqué Mossoul lors de la séance de questions d’actualité. La bataille pour la reconquête de cette ville sera longue, pour trois raisons. Premièrement, parce qu’elle est d’une taille importante : on estime que le nombre d’habitants est compris entre 1,5 et 2 millions. Certains d’entre eux ont déjà quitté la ville depuis plusieurs mois. Deuxièmement, parce que c’est la capitale de Daech ; à cause de cela, les membres de cette organisation ont structuré une ligne de défense, creusé des souterrains, miné les entrées de la ville : il faudra du temps pour déjouer ces obstacles. Troisièmement, la coalition se montre très rigoureuse quant aux critères d’intervention. Nous sommes rigoureux quant aux frappes aériennes, quant à l’autonomie qui nous est laissée dans la coalition. Celle-ci doit donner son autorisation pour chaque type de frappe, chaque type de cible, afin d’éviter les dégâts collatéraux.

Tout à l’heure, j’ai cru entendre un orateur comparer la manière dont les Russes interviennent à Alep et la manière dont la coalition intervient à Mossoul. Les conclusions que l’on peut tirer d’une telle comparaison s’imposent d’elles-mêmes : depuis deux ans, la coalition a frappé de nombreuses fois – la France elle-même a mené de nombreuses frappes – : à chaque fois, les conditions d’engagement, les règles d’engagement, ont été scrupuleusement respectées, afin d’éviter les dégâts collatéraux. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas à Alep ; ce n’est pas, du moins, ce que donnent à penser les images que l’on voit à la télévision.

En complément d’information sur l’opération à Mossoul, je signale que les dispositifs d’accompagnement humanitaires ont été mis en place préalablement à l’opération. 750 000 places sont prévues dans des lieux d’accueil pour les réfugiés. Nous souhaitons qu’elles n’aient pas à servir, mais il importe qu’elles y soient.

J’ajoute, enfin, qu’après Mossoul il faudra prendre Raqqa. Cette question me préoccupe, ainsi que M. le Premier ministre – qui en a parlé tout à l’heure – et M. le ministre des affaires étrangères. C’est dans ces deux villes, en effet, qu’ont été organisés tous les attentats qui nous ont frappés, ainsi que d’autres pays européens.

Concernant l’opération Barkhane, il faut bien remettre en perspective les deux temps de notre intervention. Tout d’abord, lorsque nous sommes intervenus au mois de janvier 2013, c’était pour empêcher qu’Al-Qaïda, en descendant sur Bamako, ne se constitue un vaste repaire territorial, qui eût représenté une menace insupportable pour la sécurité de notre pays. Nous avons alors anéanti les groupes terroristes qui descendaient sur Bamako. L’opération Serval a ainsi permis d’éviter qu’un État terroriste s’implante au Sahel.

Nous avons considéré, par la suite, qu’il fallait agir selon une nouvelle perspective afin d’éviter la déstabilisation de la région. Pour cela, nous avons constitué un dispositif dénommé Barkhane, reposant sur un partenariat avec cinq pays, pour l’ensemble du Sahel, et visant à éviter la résurgence de groupes terroristes. Pour éviter les actions asymétriques des groupes armés, en effet, il faut exercer une pression permanente.

Le but de cette opération, à terme, est de faire en sorte que les différents pays concernés puissent assurer eux-mêmes, sur la durée, leur propre sécurité : cela prendra du temps. Pour cela, nous assurons des missions de formation, notamment dans le cadre de la mission EUTM Mali. Il est vrai que la mise en oeuvre des accords d’Alger a pris plus de temps que prévu. La détermination politique du président Ibrahim Boubacar Keïta pour les mettre en oeuvre concrètement dans les semaines qui viennent, avant le sommet France-Afrique de Bamako, me paraît assurée. Les premières initiatives à cet égard ont été prises.

Je tiens également à dire un mot de la Russie, puisque plusieurs d’entre vous y ont fait référence. Je rappelle qu’à la demande du Président de la République, après les attentats du mois de novembre 2015, je me suis rendu à Moscou. À l’époque, la question que j’avais examinée avec le ministre russe de la défense était de savoir comment nous coordonner dans la lutte contre Daech. Or vous avez pu constater comme moi que depuis cette rencontre, les forces russes se sont concentrées sur de tout autres objectifs que les soldats de l’État islamique ! Le combat contre ces soldats en Syrie est plutôt le fait de l’Armée syrienne libre, à Dabiq, et des forces kurdes avec leurs alliés arabes, à Manbij, mais pas des forces russes, qui sont pourtant bien présentes sur le terrain, où elles accompagnent le pilonnage d’Alep par les forces de Bachar Al-Assad.

Nous sommes donc prêts à dialoguer avec la Russie. C’est le cas sur des questions majeures d’intérêt commun telles que la lutte contre la prolifération des armes nucléaires, la lutte contre le terrorisme et le maintien de la paix internationale. Concernant la Syrie, il faudrait que les objectifs de telles discussions soient clairs, ce qui ne nous semble pas être le cas aujourd’hui.

Monsieur le président, mesdames les présidentes, voilà les quelques éléments que je souhaitais vous donner pour conclure ce débat. Je constate, comme vous, que l’environnement stratégique de la France et de l’Europe s’est dégradé depuis quelques années ; instabilité au Sahel, chaos en Libye, explosion du Moyen-Orient, crise ukrainienne : autant de défis. Face à ces crises, le repli n’est pas une option ; il n’apporterait qu’un soulagement transitoire, car ceux qui frappent depuis Mossoul proclament clairement qu’ils souhaitent nous détruire. À mon sens, l’action, l’action résolue, est la seule réponse possible.

Pour cela, notre pays peut compter sur une défense forte et respectée : je le constate depuis quatre ans et demi. Je rends hommage à nos forces armées qui remplissent leur mission au service de la France, et que vous avez tous saluées.

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