Intervention de Dominique Lefebvre

Réunion du 19 octobre 2016 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Lefebvre, rapporteur pour avis :

Comme chaque année, notre commission examine pour avis le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), pendant que nos collègues de la commission des affaires sociales l'examinent au fond. En tant que rapporteur pour avis – je le suis pour la troisième année consécutive –, je privilégie l'approche suivante : il s'agit d'examiner la situation d'ensemble, la trajectoire financière, les mesures de recettes et la logique générale de maîtrise des dépenses, sans nécessairement aborder l'ensemble des nombreuses questions que soulève tout PLFSS. En dehors des débats généraux habituels que nous avons, j'insisterai notamment sur la question de l'extinction de la dette sociale. Je la mettrai en perspective pour l'avenir, compte tenu de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.

La présentation de ce dernier PLFSS de la législature est l'occasion de faire prendre conscience à chacun de l'ampleur du chemin parcouru depuis l'arrivée aux responsabilités de l'actuelle majorité. Là encore, il faut remettre les choses en perspective : la dette sociale actuelle résulte de la trajectoire des comptes de la protection sociale que nous avons connue depuis le début des années 1990. Nous en sommes tous conscients ici, et nous sommes d'ailleurs tous coresponsables de cette situation. S'agissant de la présente législature, nous sommes partis d'un déficit du régime général de 21 milliards d'euros pour aboutir à un quasi-équilibre en 2017, à 400 millions d'euros près. Quel que soit le débat que nous aurons sur les hypothèses macroéconomiques sur lesquelles est fondé ce PLFSS, je vous rappelle que l'évolution des recettes est liée, pour l'essentiel, à celle de la masse salariale. Or celle-ci a été très modérée ces dernières années et, d'après les projections qui sont faites, dont certaines vont jusqu'à 2020, elle devrait rester relativement modérée dans les années qui viennent par rapport à ce que nous avons pu connaître à d'autres périodes.

Nous sommes tous conscients que le redressement des comptes de la sécurité sociale ne correspond pas seulement à un objectif comptable : c'est une nécessité car, sans équilibre structurel des comptes sociaux, c'est le fondement même de la protection sociale qui est sapé et, partant, notre capacité à mener des politiques de solidarité. De 2002 à 2012, le déficit cumulé de la sécurité sociale – régime général et Fonds de solidarité vieillesse (FSV) – a atteint 160 milliards d'euros. Ces niveaux de déficit se sont ajoutés aux déficits antérieurs à 2002, qui se sont cristallisés, je le rappelle, au début des années 1990, ce qui avait conduit le gouvernement de l'époque à créer, en 1996, la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES). Nous voyons bien l'ampleur de la question qui nous est posée.

Jusqu'en 1990, les gouvernements, quelle que soit leur couleur, parvenaient bon an mal an à équilibrer à peu près les comptes de la protection sociale sur courte ou moyenne période. À l'époque, les branches et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) fonctionnaient, année après année, avec les seules avances de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Pour avoir exercé des responsabilités auprès du Premier ministre Michel Rocard, je me souviens que le plafond des avances de la CDC, qui faisait l'objet de discussions chaque année, s'élevait alors à 6 milliards de francs, soit à environ 1 milliard d'euros. Aujourd'hui, la dette sociale cumulée atteint 250 milliards d'euros, et le plafond des avances à l'ACOSS avoisine les 30 milliards par an. Ces avances servent, d'une part, à alimenter la trésorerie des régimes sociaux – à hauteur de 10 à 15 milliards – et, d'autre part, à financer la partie de la dette sociale qui est gérée par l'ACOSS.

Considérons l'évolution du déficit du régime général et du FSV depuis 1999. Si l'on en croit les projections de ce PLFSS, nous devrions retrouver, en 2017, la situation de 1999. Entre-temps, nous avons connu des périodes de déficit massif, notamment au moment de la crise financière, de 2008 à 2011. Or le problème est que la crise financière avait été précédée d'années de déficit persistant, tant du budget de l'État que de celui de la sécurité sociale. Nous n'étions donc pas dans une situation favorable au moment où il a fallu faire face à la crise. Selon moi, le message que la commission des finances doit marteler, indépendamment de nos sensibilités politiques, est le suivant : si nous ne sommes pas capables, dans notre pays, d'apurer les déficits, voire de constituer des réserves, lors des périodes de croissance, alors il n'y a aucune chance que nous puissions faire face aux phases de dépression du cycle économique. S'agissant des comptes de la protection sociale, dans la mesure où la dynamique des recettes est indexée presque exclusivement sur l'évolution de l'emploi et du salaire moyen, on peut plonger très vite.

Pour ce qui est de la présente législature, la courbe est plutôt bonne : le déficit des régimes obligatoires de base a été divisé par deux entre 2015 et 2016, passant de 6,3 à 3,1 milliards d'euros, hors FSV. Le solde prévisionnel desdits régimes obligatoires de base pour 2017 est à 400 millions d'euros de l'équilibre, montant qui correspond à 0,06 % de l'ensemble des recettes affectées à ces régimes – néanmoins, j'ai toujours considéré pour ma part que ceux qui soulignaient la faiblesse des déficits par rapport à la masse des dépenses se trompaient d'approche : en matière de protection sociale, nous devons nous conformer à une exigence d'équilibre permanent ou d'excédent structurel à moyen terme. Si l'on considère le solde consolidé avec le FSV, le déficit total a été divisé par sept entre 2010 et 2017. Le redressement des comptes de la sécurité sociale, engagement pris au début de cette législature, est donc une réalité.

L'essentiel de cette dynamique résulte de la remise en ordre du régime général. D'après les projections, son solde consolidé sera presque à l'équilibre en 2017, et nous devrions commencer à dégager des excédents structurels à partir de 2018.

La tendance est celle d'un retour à l'équilibre pour chacune des branches. En 2015, toutes les branches du régime général ont réduit leur déficit, ou maintenu leur excédent s'agissant de la branche accidents du travail et maladies professionnelles. De manière classique – c'était vrai il y a trente ans et cela le reste aujourd'hui –, les éventuels excédents de cette branche servent à combler les déficits des autres branches. Certains demandent de rectifier cette situation, mais nous avons un problème de financement global. Le déficit se concentre désormais quasi exclusivement sur la branche maladie, dont le déséquilibre met plus de temps à se résorber. Quant à la branche vieillesse, elle est globalement à l'équilibre, mais avec des comptes de la Caisse nationale de l'assurance vieillesse (CNAV) désormais excédentaires et un FSV par nature déficitaire car le chômage est à un niveau élevé. Nous reviendrons sur ce point.

Selon les prévisions du PLFSS, la tendance de 2015 devrait se poursuivre en 2016 et 2017 avec un retour à l'équilibre, voire un excédent, dans toutes les branches du régime général, à l'exception de la branche maladie, dont le déficit a néanmoins été réduit de 40 % entre 2013 et 2016.

Hier soir dans l'hémicycle, au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2017, nous avons débattu du réalisme de la prévision de croissance de 1,5 %. Or dire que cette prévision est trop optimiste revient à dire que nous aurons des difficultés à la fois en termes d'emploi et en termes de salaires en 2018, 2019 et 2020 – je le signale à l'attention de nos collègues de l'opposition. Sur longue période, une évolution annuelle de la masse salariale de 2 à 3 % – ce que nous avons connu ces dernières années – ou, même, de 3 à 3,5 % – ce que nous pourrions connaître à l'approche de 2020 – reste modérée. Il s'agit d'une trajectoire normale.

En revanche, deux questions vont se poser selon moi : d'une part, qu'allons-nous faire des excédents structurels dégagés à partir de 2018, sachant que la dette gérée par la CADES ne s'éteindra qu'en 2024 et que la dette non transférée gérée par l'ACOSS sera de l'ordre de 15 à 18 milliards d'euros en fin d'année 2016 ? D'autre part, qu'allons-nous faire, à terme, du 0,5 point de contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) et de la fraction de contribution sociale généralisée (CSG) qui alimentent la CADES ? Selon moi, la commission des finances devrait faire passer le message suivant : il faut maintenir durablement les soldes du régime général en excédent, et ne pas se précipiter, dès lors qu'il y a un excédent structurel, pour revenir à l'équilibre, soit en engageant de nouvelles dépenses, soit en diminuant trop fortement les recettes.

Pour la branche maladie, l'exercice 2016 constitue une étape importante : le déficit de 4 milliards d'euros de la branche maladie des régimes obligatoires de base s'établit désormais à un niveau inférieur à celui d'avant la crise. Le PLFSS pour 2017 prévoit un solde excédentaire dès 2018 pour l'ensemble du régime général – de 2,1 milliards d'euros – et dès 2019 pour la branche maladie – de 1,3 milliard. En 2020, le solde positif de la branche maladie devrait atteindre 3,7 milliards, pour un excédent total du régime général de 7,4 milliards.

J'ignore quelle est la teneur des débats à la commission des affaires sociales, mais je le répète : à partir du moment où il y a des excédents, le réflexe de base pourrait consister à relâcher la pression, en estimant que l'on dispose de marges permettant soit de diminuer les recettes, soit d'augmenter les dépenses, par exemple pour améliorer la couverture maladie, revaloriser les petites retraites ou revenir sur les mesures touchant les allocations familiales. En ce qui me concerne, ma position est simple, et j'aimerais que l'ensemble de la commission la fasse sienne : tout cela sera bienvenu le jour où nous aurons totalement apuré la dette sociale, ce qui n'est pas encore le cas.

Les résultats que j'ai présentés ont été obtenus de manière très simple : sur la période de 2012 à 2016, nous avons réussi à faire en sorte que, dans les quatre branches, la croissance des produits soit supérieure à celle des charges, ce qui est une dynamique vertueuse. Cela montre que les politiques de gouvernance successives, indépendamment des mesures de recettes et de dépenses, finissent par porter leurs fruits. Tout le monde finit par comprendre qu'il est nécessaire de raisonner en termes d'équilibre structurel. Ainsi que le Président de la République l'avait très justement rappelé devant la Cour des comptes en septembre 2012, que je l'ai indiqué dès le début de mon rapport et que nous le disons tous au sein de notre commission, le déficit budgétaire de l'État peut s'expliquer par des politiques contracycliques, notamment des politiques d'investissement, mais, en matière de protection sociale, les dépenses non couvertes dont bénéficient aujourd'hui les personnes malades, les retraités ou les familles sont des charges que l'on reporte et qui devront être payées demain. Nous ne pouvons pas accepter une telle dynamique.

Le régime général connaît donc une croissance de ses recettes plus dynamique – près de 17 % – que celle de ses charges – 13,3 %. À cet égard, je souligne l'importance de raisonner en termes de solde global plutôt qu'en termes de solde par branche. En effet, si le déficit et la dette de chaque branche sont individualisés en application des règles actuelles – au sein des quelque 17 milliards de dette gérés par l'ACOSS, on sait ce qui est imputable à la CNAV, au FSV, à la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) et à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) –, d'une part, la dette est globalisée au sein de la CADES et, d'autre part, on sait qu'il suffit de jouer sur l'affectation des recettes ou des dépenses pour modifier le solde d'une branche. En réalité, le solde des branches dépend de la manière dont on construit les circuits de financement.

S'agissant des prévisions macroéconomiques, la question principale est, je le répète, celle de l'évolution de la masse salariale. À ce sujet, il y a eu des allers-retours : les prévisions ont d'abord été optimistes, avant d'être révisées dans un sens plus pessimiste. La réduction plus rapide que prévu du déficit en 2016 et le résultat anticipé par ce PLFSS pour 2017 tiennent à une dynamique de masse salariale constatée plus importante que prévu. Il y a plusieurs facteurs à cela : les créations nettes d'emplois et l'effet du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Car le CICE a non seulement permis aux entreprises de restaurer leurs marges et d'investir, mais il s'est aussi traduit, en partie, par une augmentation des salaires – je le dis notamment à l'attention de certains collègues de la majorité qui ont beaucoup critiqué ce dispositif.

Pour ma part, je considère que les prévisions macroéconomiques sont, à ce stade, « raisonnablement optimistes », pour reprendre les termes habituellement utilisés à la Cour des comptes.

J'appelle aussi votre attention sur la structure des recettes du régime général. Sur très longue période, nous constatons une décroissance de la part des cotisations patronales, une forte décroissance de celle des cotisations salariales – compte tenu notamment de la transformation des cotisations salariales d'assurance maladie en points de CSG – et une montée en charge de la CSG. Surtout, il y a une question importante pour le budget de l'État : les politiques d'exonération et d'allégement des charges sociales patronales menées par les gouvernements successifs se traduisent par des compensations « à l'euro l'euro » versées par l'État à la sécurité sociale ou, dans certains cas, pour solde de tout compte – tel est le cas des mesures contenues dans le pacte de responsabilité et de solidarité, notamment du CICE et de la baisse des cotisations familiales, que je soutiens ; or ces compensations atteignent au total 30 à 40 milliards d'euros. Ce montant n'est pas considérable au regard des 400 milliards de recettes du régime général, mais il représente entre la moitié et les deux tiers du déficit du budget de l'État, qui s'élève à 70 milliards.

Ce mécanisme est une bonne chose lorsque les régimes sociaux sont déficitaires. Toutefois, les excédents structurels qui seront dégagés dans les années qui viennent au sein des régimes de protection sociale et la perspective de l'extinction de la dette gérée par la CADES en 2024 nous conduiront nécessairement à reposer un jour la question de l'articulation entre l'État et la sécurité sociale. À cet égard, je suis surpris que certains s'interrogent déjà sur l'affectation possible de la CRDS et de la CSG qui alimentent la CADES.

Pour ma part, je défends la position suivante devant notre commission : je ne vois pas pourquoi l'on garderait un déficit du budget de l'État entre 30 et 50 milliards d'euros et parallèlement 40 milliards d'euros de compensations versés par l'État à la sécurité sociale. Il ne serait pas justifié, dans le même temps, d'augmenter les dépenses de protection sociale sans avoir préalablement remis de l'ordre dans ces régimes. On voit bien le débat qui opposera tout ministre du budget et tout ministre des affaires sociales, quelle que soit la couleur des gouvernements.

Je le répète : si nous sommes responsables et raisonnables, une fois que nous aurons totalement apuré la dette sociale, nous devrons nous interroger sur l'opportunité de continuer à verser, à partir du budget de l'État, 35 à 40 milliards de compensations de pertes de recettes à la sécurité sociale. On peut estimer que c'est nécessaire pour maintenir un haut niveau de protection sociale, mais on peut aussi estimer qu'il y a d'autres priorités pour le budget de l'État, notamment le financement de ses missions régaliennes.

Je n'exprime pas les choses de manière aussi catégorique dans mon rapport. En tout cas, cette question se posera à l'avenir et je la pose dès aujourd'hui car, quel que soit le résultat des élections de 2017, la majorité et les gouvernements de la prochaine législature – qui devrait normalement coïncider avec l'extinction progressive de la dette sociale – auront cette responsabilité, surtout si, comme nous l'espérons tous, la situation économique du pays s'améliore. Pour ma part, j'ai connu des périodes où la situation économique s'améliorait et où l'on se précipitait pour desserrer les freins avant d'avoir terminé la remise en ordre de nos comptes.

Une annexe volumineuse au PLFSS détaille l'ensemble des dispositifs d'exonération – que l'on peut appeler « niches sociales » – et les mécanismes de compensation correspondants. Le montant des pertes de recettes liées aux exonérations sera de 45,9 milliards d'euros en 2017, en augmentation de 3 % par rapport à 2016 et de 26 % par rapport à 2012. Cela montre bien que la présente majorité a procédé à des allégements de charges dans le but de diminuer le coût du travail. Ces exonérations seront compensées à hauteur de 36 milliards d'euros en 2017. Dans mon rapport, j'ai recensé toutes les mesures prises dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité, et montré que la compensation avait été faite « à l'euro l'euro ». Je considère qu'il n'y pas de débat sur ce point : on entend de manière récurrente que l'État ne compenserait pas les allégements de cotisations et que cela créerait des déficits fictifs pour les régimes sociaux. Tel n'est pas le cas actuellement.

Je souhaite insister sur la question de la dette. Un graphique figurant dans mon rapport montre que, depuis 2015, les remboursements de dette sociale par la CADES sont supérieurs aux déficits constatés. Cela signifie que nous nous engageons effectivement dans le processus de résorption de la dette sociale, tant de celle qui relève de la CADES que de celle qui relève de l'ACOSS. Mais nous n'en sommes qu'au début de ce processus. La trajectoire actuelle conduit à une extinction de la dette gérée par la CADES en 2024. Il restera à déterminer comment solder la dette résiduelle gérée par l'ACOSS. J'y reviendrai en conclusion.

J'en viens à la question des dépenses. Nous savons très bien que l'équilibre des régimes de protection sociale dépend essentiellement de la dynamique des dépenses d'assurance vieillesse et d'assurance maladie. Le point essentiel, compte tenu des incertitudes qui pèsent sur la prévisibilité de ces dépenses à moyen terme, c'est que nous disposons désormais d'un dispositif de pilotage et de gouvernance, tant pour les dépenses d'assurance maladie que pour celles d'assurance vieillesse.

S'agissant des dépenses d'assurance vieillesse, nous avons un débat sur les responsabilités respectives des uns et des autres dans les déficits, puis dans le redressement. En tout cas, il suffit d'examiner les scénarios du Conseil d'orientation des retraites (COR) pour s'apercevoir que la situation peut être très différente à court, moyen et long terme suivant les hypothèses macroéconomiques retenues, notamment en termes de chômage et de salaires – ainsi, avec un chômage élevé, les résultats de la branche vieillesse seront meilleurs s'il y a une forte progression des salaires. Toujours est-il que la dynamique des dépenses d'assurance vieillesse est paramétrée : par la démographie, par l'indexation, par les durées de cotisation, par l'âge de départ à la retraite, par les minorations et les majorations.

Tel n'est pas le cas – j'appelle votre attention à tous sur ce point – des dépenses d'assurance maladie : la tendance reste, ce n'est contesté par personne, une dérive spontanée de ces dépenses de 4 % par an. Or, si l'on s'intéresse à l'historique de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), on constate que l'on arrive aujourd'hui à un niveau avoisinant les 2 % – 1,8 % en 2016. À cet égard, le Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie a estimé que le niveau de 1,8 % n'était pas inatteignable, mais que ce serait très compliqué.

D'aucuns proposent de fixer l'ONDAM à 1,75 % dans les années qui viennent. Après examen, je ne crois pas que cela soit tenable. Ou alors, cela implique à la fois de faire des efforts de rationalisation de la médecine de ville – sachant qu'ils sont antinomiques avec la conception actuelle de la médecine libérale et que ce sont précisément les dépenses de médecine de ville qui progressent – et de conduire une restructuration drastique des hôpitaux. Certains proposent d'équilibrer les comptes de la protection sociale en réalisant une économie de 20 milliards d'euros sur l'assurance maladie, notamment sur le système hospitalier public et privé. La dépense hospitalière s'élevant actuellement à 78 milliards d'euros, je ne sais pas comment ils font !

Les trajectoires en matière d'assurance maladie sont très difficiles à maîtriser : il y a un système d'économie de la santé, avec des évolutions de prix et de volume, mais aussi des phénomènes comportementaux, tant chez les professionnels de santé que chez les patients. Cela suppose une gestion extrêmement rigoureuse, année après année, et c'est là qu'il y a des éléments de risque importants. Nous sommes d'ailleurs confrontés à un problème en matière de financement de l'innovation, d'où certaines dispositions de ce PLFSS, notamment la création d'un fonds de financement pour l'innovation pharmaceutique. Je ne peux dire qu'une chose à ce sujet : on ne peut pas, d'une part, desserrer la contrainte et, d'autre part, faire des projections en ce qui concerne l'équilibre des comptes sociaux en partant du principe qu'il est possible de fixer durablement l'ONDAM à un niveau inférieur à 2 %.

Je voudrais dire un mot du FSV – j'aurai l'occasion d'y revenir en réponse à un amendement de Patrick Hetzel. Le PLFSS prévoit à l'horizon 2020 l'équilibre de la CNAV et un solde proche de zéro pour le FSV. Pour ce faire, le projet de loi revient sur une décision de la précédente majorité consistant à faire prendre en charge le minimum contributif par le FSV. Le minimum contributif s'inscrit dans une logique de solidarité professionnelle. Ce n'est pas le seul mécanisme de solidarité financé par la CNAV dans le cadre des branches professionnelles. Le FSV est censé financer les dispositifs relevant de la solidarité nationale mais ses missions ont été progressivement élargies. L'essentiel des dépenses du FSV – soit quelques milliards – concernent la prise en charge des cotisations retraite des chômeurs. Il n'y a donc aucune chance de diminuer les dépenses du FSV sans baisser durablement le chômage – c'est mécanique. La clarification prévue par l'article 20 du projet de loi consiste à supprimer l'organisation du FSV en trois sections, celui-ci étant recentré, pour l'essentiel, sur la prise en charge des cotisations retraite des chômeurs, qui constituent de vraies dépenses de solidarité. Les dépenses qui relèvent certes de mécanismes de solidarité, mais de solidarité professionnelle, sont transférées à la CNAV. On n'en voit pas les effets en 2017, mais de 2018 à 2020, l'équilibre est réalisé. Cette clarification me semble bienvenue.

On peut se féliciter de la hausse du montant des fraudes sociales détectées. Les journaux en concluent parfois hâtivement que la fraude sociale augmente. Pourtant, il n'existe pas d'indicateurs sur la hausse de la fraude sociale. En revanche, les indicateurs nous renseignent sur la performance des services et sur leur capacité à la détecter.

Je souhaite conclure sur la question de la dette.

Alors que les branches commencent à enregistrer des excédents structurels, la position de la commission des finances doit être simple : on peut faire tout ce que l'on veut dès lors que la dette sociale a été apurée. Pour ce faire, il faut éviter de creuser de nouveaux déficits. Il restera fin 2016 près de 136 milliards d'euros à amortir sur un total de 260 milliards d'euros de dette reprise par la CADES depuis sa création.

Cette dette a un coût. En 2017, le montant cumulé des intérêts liés à la dette sociale depuis 1993 a atteint 49,5 milliards d'euros. En 2024, ce montant devrait représenter au minimum 60 milliards d'euros. Notre incapacité à résorber les déficits de la sécurité sociale aura coûté au pays sur trente ans 60 milliards. Chacun sait ce que cette somme permettrait de faire. Cet exemple constitue une alerte rouge pour l'avenir.

La question est de savoir si les dispositions de la loi organique permettent de transférer le stock de dette – 16,3 milliards d'euros en 2016 – que conserve l'ACOSS. Le PLFSS ne le propose pas. Les conditions de marché actuelles ne plaident pas en faveur de cette solution. En 2016, la dette de l'ACOSS n'est plus un coût mais un profit. L'année dernière, l'ACOSS avait emprunté 25 milliards d'euros et réalisé 16 millions de produits financiers. En 2016, les produits financiers générés par la dette sociale de l'ACOSS devraient s'élever à 80 millions d'euros. C'est une incitation à faire de la dette. Le président de la CADES considère pour sa part que plus on attend, plus la reprise de la dette sera coûteuse.

J'estime que la question ne se pose pas pour 2017. Laisser la dette à l'ACOSS nous fera gagner de l'argent plutôt que d'en perdre car le coût moyen de la dette de la CADES est supérieur à celui de l'ACOSS.

En revanche, on ne peut pas conserver l'architecture actuelle des textes. Ceux-ci prévoient que les excédents doivent directement alimenter, dans le cas de la CNAV, le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), et dans le cas de l'assurance maladie, la CADES. Par ailleurs, il n'existe pas de fongibilité de la dette de chacune des branches au sein des comptes de l'ACOSS. Je ne vois aucun intérêt sur le long terme à augmenter les ressources de la CADES, ni à prolonger sa durée de vie au-delà de 2024. La CADES a été un outil utile mais il peut être pervers : une caisse d'amortissement de la dette peut être un pousse-au-crime puisque vous savez que la dette que vous créez peut être basculée vers ladite caisse.

La commission doit porter un double message : d'une part, il faut impérativement que la CADES puisse fermer en 2024 ; il ne faut donc pas prolonger sa durée de vie en lui transférant de la dette. D'autre part, il faut trouver les moyens d'affecter les excédents structurels – il est interdit de penser que ces excédents autorisent des dépenses sociales nouvelles – à l'ACOSS pour lui permettre de purger sa dette. Le déficit de l'ACOSS s'élève à 16,3 milliards d'euros ; en 2020, il pourrait diminuer à hauteur de 11 milliards. Nous devrons avoir cette discussion avec le Gouvernement. Il serait préférable, aux conditions de marché actuelles, d'affecter les excédents des différentes branches qui seraient fongibles à la réduction de la dette de l'ACOSS, plutôt que d'opérer un nouveau transfert à la CADES. Prélever une partie des réserves du FRR pour éteindre la dette de la CADES n'est pas une stratégie de long terme. Il vaut mieux conserver les réserves du FRR, car les ponctionner, c'est sacrifier le long terme par rapport au court ou moyen terme. En outre, je rappelle que le FRR possède aujourd'hui 30 milliards d'actifs, qui jouent un certain rôle dans l'économie.

En étant vraiment rigoureux, il est possible d'amener les branches à des excédents structurels et d'affecter intégralement ces excédents au remboursement de la dette, qu'elle soit portée par la CADES, qui doit s'éteindre en 2024, ou par l'ACOSS.

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