Intervention de Philippe Kemel

Réunion du 19 octobre 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Kemel, rapporteur :

Mme la présidente vient de rappeler la variété des thèmes, l'abondance des mesures, les différentes dates importantes, et le rapport déjà réalisé par Mme Annick Le Loch et M. Philippe Armand Martin.

Le travail que nous avons mené avec M. Damien Abad depuis le mois de février dernier nous a permis de procéder à vingt-cinq auditions. Le délai de trente mois entre la publication de la loi et notre rapport peut paraître long au vu de notre Règlement, qui prévoit que le rapport faisant état de l'application d'une loi soit présenté à l'issue d'un délai de six mois après son entrée en vigueur. Mais ce délai s'explique par la forte activité législative de notre commission, ainsi que par l'entrée en vigueur différée d'un grand nombre de mesures de la loi relative à la consommation. Le recul nous a aussi permis de mieux prendre en compte les difficultés que les acteurs sociaux ont pu rencontrer dans la mise en oeuvre de cette loi – parfois complexe, même si nous n'avons pas constaté de blocage de leur part.

La quasi-totalité des décrets prévus ont été publiés, et traduisent de manière satisfaisante les intentions ayant présidé à la rédaction de cette loi. Sur les soixante-trois décrets prévus, seuls six n'ont pas été publiés à ce jour, soit un taux de publication de 91 %, particulièrement satisfaisant. Encore ces décrets n'étaient-ils pas tous obligatoires. Les personnes entendues en audition ont fait état d'un degré de concertation satisfaisant avec l'administration en ce qui concerne la préparation de ces textes d'application.

L'application de cette loi est donc satisfaisante, même si la traduction concrète de l'intention du législateur s'est parfois heurtée à des comportements sociétaux : la réalité des pratiques des acteurs peut créer des résistances, mais celles-ci sont réductibles pour peu qu'il y ait une écoute permanente et une volonté de simplification ultérieure.

L'application de la loi a pu également être compromise par l'adoption de nouveaux textes qui ont modifié les dispositions adoptées. C'est le cas notamment des dispositions encadrant la délivrance de produits d'optique, qui ont été largement refondues par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

Je rappellerai l'importance de la simplicité de la loi, qui doit constituer sa première vertu. Nous devrions demeurer prudents sur le degré de détail des dispositions que nous adoptons, afin de ne pas poser de trop grandes difficultés à ceux qui les mettront en application. On arrive parfois, comme cela a été le cas en ce qui concerne les informations sur la disponibilité des pièces détachées, à des systèmes d'organisation en termes de chaîne logistique qui deviennent de vraies usines à gaz. La volonté de respecter la loi se heurte alors aux possibilités techniques et commerciales.

S'agissant du crédit à la consommation, l'obligation d'accompagner l'offre de crédit renouvelable d'une offre de crédit amortissable et celle de suspendre le droit d'utilisation du crédit en cas de non-utilisation pendant un an, sont respectées. Elles ont contribué à la réduction des encours de crédit renouvelable et à son recentrage sur des achats de petit montant – en moyenne 230 euros. D'ailleurs, nous ne voyons plus, dans nos permanences, de situations d'endettement générées par ce type de crédit. La protection du consommateur qui voulait s'endetter alors qu'il n'en avait pas la possibilité a été accrue.

Concernant le crédit immobilier, la possibilité de résilier dans les douze mois le contrat d'assurance d'un prêt immobilier est appliquée. Il en est de même de l'obligation pour les banques d'accepter en garantie un autre contrat d'assurance que le leur lorsque l'emprunteur fait usage de son droit de résiliation dans les douze mois et que le nouveau contrat présente un niveau de garantie équivalent. Le problème est que le système assurantiel développe des contrats segmentés dans les risques, qui multiplient la présentation de ces risques ; du coup, la substituabilité d'un contrat à l'autre ne devient pas aussi évidente qu'elle pouvait l'être hier.

En matière de mobilité bancaire, les auditions ont souligné la nécessité de veiller à ce que les clients ayant souscrit plusieurs contrats auprès d'une banque puissent bien bénéficier du service de mobilité bancaire s'agissant de leurs comptes de dépôt. Là aussi, des risques complexes portés par la banque nécessitent la permanence du compte de dépôt. Substituer l'ensemble de ces services en cas de changement de banque n'est pas aisé.

La loi contient également d'importantes dispositions relatives aux assurances. Je citerai la possibilité, pour un assuré ayant souscrit un contrat d'assurance automobile ou habitation, de procéder à la résiliation sans frais ni pénalités des contrats tacitement reconductibles à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la première souscription, ou encore la possibilité, pour un assuré souscrivant un contrat d'assurance constituant un complément d'un bien ou d'un service, de renoncer à ce contrat sans frais ni pénalités s'il justifie d'une garantie antérieure pour l'un des risques couverts. Ces dispositions ont fait l'objet d'une appropriation satisfaisante par la profession comme par les consommateurs.

S'agissant des contrats conclus à distance, les professionnels entendus en audition ont souligné la brièveté des délais entre la publication des mesures réglementaires et leur entrée en vigueur, alors que les nouvelles obligations introduites ont nécessité pour certaines des adaptations importantes des systèmes d'information. Là aussi, on voit bien que les organisations ont eu beaucoup de difficultés à accompagner les décrets. Par ailleurs, il apparaît que la grande majorité des entreprises de vente à distance ont tardé à modifier leurs pratiques, le plus souvent par méconnaissance des textes. Les avertissements et pré-injonctions effectués par la DGCCRF auraient conduit, dans la plupart des cas, à une mise en conformité rapide des professionnels, notamment en matière d'information précontractuelle. Le dialogue entre la DGCCRF et l'ensemble des opérateurs a été utile ; on peut considérer qu'il a été correctement mené par l'administration.

Des difficultés spécifiques se sont fait jour sur l'application de l'obligation de remboursement du consommateur en cas de rétractation dans un délai de quatorze jours. L'obligation de remboursement naît à la réception de l'avis d'expédition. Mais certains consommateurs peuvent jouer au passager clandestin en adressant la preuve, mais en ne renvoyant pas la marchandise… Il y a là une difficulté qu'il faudra certainement corriger.

La loi avait prévu que la gestion de la liste d'opposition au démarchage téléphonique soit confiée à un organisme par appel d'offres. Or, le premier appel d'offres ayant échoué, c'est finalement la société Opposetel qui a été désignée gestionnaire de cette liste d'opposition par un arrêté du 28 février 2016. Il y a donc eu un temps de latence assez long entre la volonté du législateur, l'application de la mesure par l'administration et la solution retenue. La nouvelle liste d'opposition au démarchage téléphonique, dénommée « Bloctel », qui a été ouverte le 1er juin 2016, semble donner satisfaction – j'attends vos témoignages et vos interventions. Nous regrettons qu'aucun mécanisme de transition n'ait été prévu entre la liste gérée par l'association Pacitel et cette nouvelle liste. C'est le constat que nous faisons lorsque l'administration rencontre des difficultés pour mettre en place des dispositifs de contrôle.

La création des indications géographiques protégeant les produits industriels et artisanaux, ainsi que celle d'une procédure d'alerte des collectivités territoriales en cas d'utilisation commerciale de leur nom, est un succès. Un décret du 2 juin 2015 a précisé les modalités de dépôt des demandes d'homologation ou de modification des cahiers des charges des indications géographiques et de leur examen par l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). Trois demandes d'homologation d'indications géographiques ont été déposées ; environ cinquante dossiers sont en cours d'examen.

La possibilité pour les collectivités territoriales et les titulaires d'une indication géographique de former opposition à l'enregistrement d'une marque qui porterait atteinte à leurs droits a été précisée par décret. Pour bénéficier de ce droit d'alerte, la collectivité ou l'établissement public de coopération intercommunale doit remplir un formulaire sur le site internet de l'INPI en indiquant la dénomination pour laquelle il souhaite être alerté. Ce service fonctionne depuis le 17 juin 2015 ; à ce jour, 336 collectivités se sont inscrites au dispositif d'alerte. Il s'agit, pour la plus grande partie, de communes, mais parfois aussi de régions et de communautés de communes. Ce système a abouti à la formalisation de dix procédures d'opposition, initiées par les collectivités locales à l'encontre de demandes de marque. L'INPI a fait droit à l'intégralité de ces demandes d'opposition.

En matière de renforcement de l'encadrement des numéros surtaxés, l'annuaire inversé des numéros à valeur ajoutée a été mis en ligne de manière anticipée, dès octobre 2015. Le décret précisant les modalités du mécanisme de signalement mis à la disposition des consommateurs pour garantir la fiabilité des informations contenues dans cet annuaire et enrichir celles-ci a été publié le 20 septembre 2016.

On peut saluer la mise en place anticipée de cet annuaire inversé, même s'il mériterait de faire l'objet d'une communication plus soutenue vis-à-vis du public. Il apparaît en effet que ce dispositif ne recueille pas actuellement l'écho que l'on pourrait supposer parmi les consommateurs. Un travail de communication de proximité semble nécessaire.

L'arrêté relatif au blocage des communications à destination de certaines tranches de numéros à valeur ajoutée n'a, en revanche, pas été publié. Sur ce point, nous jugeons étonnant que la loi pour une République numérique contienne une disposition fixant l'entrée en vigueur de ce dispositif six mois après la promulgation de ladite loi, alors que celui-ci est entré en vigueur en mars 2016, comme prévu dans la loi relative à la consommation. Une concordance est donc nécessaire entre les différents textes que nous votons.

Un chapitre important de la loi était consacré aux jeux en ligne. La loi a prévu que les entreprises agréées comme opérateurs de jeux ou de paris en ligne justifient de l'existence d'une sûreté, d'une fiducie, d'une assurance ou d'un compte sous séquestre garantissant, en toutes circonstances, le reversement de la totalité des avoirs exigibles des joueurs. Lors de son audition, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) a indiqué que l'ensemble des opérateurs concernés s'étaient dotés des mécanismes appropriés pour assurer cette garantie, et qu'elle veillait mois par mois à ce que les sommes mises en garantie correspondent bien aux avoirs exigibles. Il semble donc que la population puisse jouer en toute sécurité.

La loi a supprimé la phase de mise en demeure par l'ARJEL. C'est maintenant au vu d'une remarque que l'organisme de jeu doit corriger ses dysfonctionnements. L'autorité de régulation considère, là aussi, que les organismes de jeu ont tenu compte de cette directive dans les plus brefs délais.

En conclusion, cette loi aux effets conséquents dans les manières de vivre l'acte de consommation a fait l'objet d'un énorme travail. Elle a abouti à un texte qui, même s'il peut être complexe, a été rapidement mis en oeuvre par l'administration. On peut parfois retrouver cette complexité dans la difficulté qu'ont les opérateurs de bonne volonté à l'appliquer. En tout cas, pour cette partie, notre constat est très satisfaisant.

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