Intervention de Damien Abad

Réunion du 19 octobre 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Abad, rapporteur :

Je serai peut-être un peu moins enthousiaste que mon collègue Philippe Kemel sur l'impact de cette loi. Même si elle a effectivement permis des avancées, force est de reconnaître que son impact demeure faible, en raison de la conception imparfaite de certains dispositifs, notamment l'action de groupe, ou de leur lisibilité insuffisante, comme c'est le cas pour le « Fait maison ». Dans d'autres domaines, les effets annoncés ne se sont pas forcément produits : les dispositions relatives aux produits d'optique notamment n'ont pas permis de faire baisser leur prix.

S'agissant de l'action de groupe, le décret du 24 septembre 2014 a été publié dans des délais satisfaisants, ce qui a permis l'entrée en vigueur effective de cette nouvelle procédure dès le 1er octobre 2014. Selon les personnes entendues en audition, ce décret traduit fidèlement l'intention du législateur.

Huit actions de groupe ont été lancées dans différents secteurs, celui de l'assurance, de l'immobilier, du transport, de la banque ou encore de la téléphonie. Ce chiffre apparaît toutefois modeste au vu de l'ambition du dispositif et du champ qu'il recouvre. Cela s'explique par plusieurs difficultés d'application.

Tout d'abord, les conditions préalables au déclenchement d'une action de groupe apparaissent trop restrictives. Les associations agréées de consommateurs sont trop peu nombreuses, et seules deux d'entre elles disposeraient de moyens suffisants pour prendre en charge cette procédure de manière efficace.

Ensuite, la procédure est longue et contraignante. Le faible nombre d'actions lancées sur des questions de consommation, qui devaient pourtant constituer son principal champ d'application, s'explique par la difficulté pratique qui existe pour apporter une preuve en ce domaine. Par exemple, pour démontrer avoir subi un préjudice du fait de l'achat d'un produit de grande consommation, un consommateur devrait avoir conservé son ticket de caisse pendant plusieurs années… Même si aucune action lancée n'est pour l'heure parvenue à ce stade, il est probable que la phase de liquidation des sommes obtenues au terme de la procédure devrait également être longue. Pour y remédier, il serait nécessaire d'encadrer les délais s'appliquant à cette procédure.

Ajoutons que la quantification des préjudices subis est elle-même source de difficultés. En effet, la loi n'a retenu la possibilité de quantifier que des préjudices individuels, à l'exclusion du préjudice moral. Or, sur certains dossiers entrant bien dans le champ de l'action de groupe, la quantification du préjudice individuel se révèle complexe, par exemple lorsqu'il s'agit de déterminer la qualité de couverture internet sur les mobiles par un opérateur. Des réflexions sont engagées sur la possibilité de forfaitisation du préjudice ; la question en tout cas est ouverte.

Enfin, il semblerait que les tribunaux abordent avec prudence cette nouvelle procédure, et auraient tendance à inviter les parties à recourir à la médiation. L'action opposant Paris Habitat OPH au syndicat du logement et de la consommation a d'ailleurs été clôturée par un accord de médiation.

Au total, il serait nécessaire de rendre cette procédure plus efficace et plus fluide. Faut-il l'ouvrir à des associations ad hoc ou à la DGCCRF, voire créer un tribunal spécialisé dans le traitement des actions de groupe ? La création d'un fonds de soutien pour aider les associations à financer l'action de groupe et pour garantir aux consommateurs l'effectivité de la réparation, devrait également être étudiée.

S'agissant de la restauration, la loi a introduit la mention « Fait maison », qui vise à mieux informer les consommateurs sur l'offre de restauration et à valoriser le savoir-faire des restaurateurs, en permettant de distinguer l'acte de cuisiner proprement dit de la cuisine d'assemblage. Le premier décret d'application du « Fait maison », daté du 11 juillet 2014, a été modifié par un second décret du 6 mai 2015. Le premier décret disposait que la mention s'appliquait à des plats entièrement cuisinés sur place à base de produits bruts, tout en prévoyant de très nombreuses dérogations. Au printemps 2015, seuls 3 500 établissements, soit environ 6 % d'entre eux, affichaient cette mention. En conséquence, le second décret a modifié le périmètre du « Fait maison » en visant les plats fabriqués à partir de produits crus transformés sur place, c'est-à-dire non cuits ou non dénaturés par quelque procédé que ce soit, y compris le mélange ou le chauffage. Certains produits non bruts sont acceptés, mais les produits surgelés sont exclus.

Selon le ministère, ce second décret a accru la clarté du label et élevé le niveau requis pour se prévaloir de son utilisation. Il aurait également permis une meilleure appropriation du dispositif par les professionnels. Une enquête conduite en décembre 2015 par une organisation professionnelle concluait en effet que 9 000 établissements, soit environ 14 % d'entre eux, utilisaient ce logo.

Parmi les restaurateurs, les appréciations sur les modalités concrètes du « Fait maison » ont donné lieu à d'âpres débats. Certains jugent ce dispositif complexe, voire inutile, peu clair pour les clients, ou trop élitiste, et réclament une révision de la liste des exceptions. En tout cas, il existe un consensus pour affirmer que ce label reste globalement peu utilisé et trop complexe, et que son logo est mal connu des consommateurs. Il semble que la première version du décret, largement médiatisée et critiquée, ait nui de manière durable à la réputation de la mention.

Une autre voie de réforme, proposée au cours de l'examen parlementaire du projet de loi, consistait à réglementer l'utilisation du mot « restaurant ». Selon une étude du Syndicat national des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et traiteurs (Synhorcat), 67 % des professionnels utilisant des produits industriels seraient prêts à abandonner ceux-ci au profit de produits bruts cuisinés sur place si une telle réglementation était instituée.

Sur le titre de maître-restaurateur, qui sanctionne non seulement la qualité de la cuisine d'un établissement, mais aussi celle de son service, la loi a conduit à l'ouvrir aux employés de la restauration. Environ 3 400 titres ont été attribués à ce jour. L'Association des maîtres-restaurateurs continue de se développer, à raison d'environ 10 % par an. Certains professionnels considèrent que ce titre demeure insuffisamment valorisé et peu visible parmi les très nombreux labels qui existent dans ce secteur.

La loi a largement renforcé les obligations d'information du consommateur par les professionnels. Un décret a détaillé les informations générales que les professionnels, vendeurs de biens ou prestataires de services, doivent communiquer aux consommateurs sur les lieux de vente avant la conclusion d'un contrat. Sa rédaction a été jugée satisfaisante, mais des incertitudes demeurent quant aux modalités de délivrance de ces informations, susceptibles de figurer sur des supports très divers. Des sanctions sont régulièrement prononcées par la DGCCRF en cas de défaut d'information. Des professionnels ont pu regretter l'important volume de documents qui devait désormais être fourni à leur clientèle.

L'obligation d'information sur la disponibilité des pièces détachées pose, quant à elle, des difficultés spécifiques, en raison du caractère très disparate des informations fournies par les fabricants aux distributeurs. En effet, s'il appartient au fabricant de choisir de s'engager sur la fourniture de pièces détachées et de définir la durée de disponibilité de celles-ci, le distributeur a l'obligation légale d'en informer le consommateur de manière écrite et lisible, et engage sa responsabilité en cas d'information insuffisante. Or aucune harmonisation des informations fournies par les fabricants aux distributeurs n'a été prévue.

S'agissant de l'indication d'origine pour les viandes et les produits à base de viande, les démarches de la France auprès de la Commission européenne ont permis d'aboutir à la mise en oeuvre d'une expérimentation d'une durée de deux ans, à partir du 1er janvier 2017. Le décret du 19 août 2016 est l'aboutissement d'une longue démarche, menée par des associations de consommateurs et des parlementaires. Toutefois, il conviendra de rester très vigilant sur l'application de ces dispositions par l'industrie. À cet égard, nous relevons que la possibilité d'inscrire, pour toute indication d'origine, la mention « Origine : UE ou Hors UE », constitue un risque réel pour leur efficacité. Certaines propositions pour renforcer la transparence et la lisibilité des étiquettes et l'information du consommateur pourraient être étudiées afin d'améliorer les garanties en matière de traçabilité et de qualité. Enfin, certains pays comme l'Allemagne ou les États scandinaves se préoccupent beaucoup plus de la question du bien-être animal dans la réflexion sur l'étiquetage que de l'indication d'origine.

Les dispositions relatives aux produits d'optique ont eu pour but de faciliter et de sécuriser la vente en ligne de produits d'optique afin de restituer du pouvoir d'achat aux consommateurs. Elles prévoient notamment l'indication, sur les prescriptions médicales de verres correcteurs, de la valeur de l'écart pupillaire, un aménagement des conditions de délivrance de lentilles de contact oculaire correctrices à un primo-porteur, la subordination de la délivrance de verres correcteurs à l'existence d'une prescription médicale en cours de validité, et la soumission de la délivrance de verres correcteurs de puissance significative à une prise de mesures.

Les auditions ont fait ressortir les nombreuses difficultés rencontrées dans ce secteur, à la suite de l'entrée en vigueur de la loi. Du reste, certaines de ces dispositions ont d'ores et déjà été modifiées par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Comme vous l'avez indiqué, Madame la présidente, un décret vient d'être publié sur la durée de validité des ordonnances. Un accord a été trouvé, qui établit une distinction selon l'âge du patient – patient âgé de moins de seize ans, patient entre seize et quarante-deux ans, patient de plus de quarante-deux ans.

S'agissant de la délivrance de lentilles de contact correctrices à un primo-porteur, un décret du 21 juillet 2015 a prévu que cette délivrance, par un opticien-lunetier, était subordonnée à la présentation d'une ordonnance médicale comportant la correction et les caractéristiques essentielles de ces produits, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé. La durée de validité de cette ordonnance a été fixée à un an ; mais l'arrêté prévu n'a pour l'heure pas été publié.

S'agissant de la vente en ligne de verres et de lentilles correcteurs, le décret du 2 octobre 2015 a prévu les éléments et mentions devant figurer de manière lisible et compréhensible sur les sites de vente en ligne de ces produits. Mais de nombreux opérateurs ne feraient pas figurer l'ensemble des mentions et informations requises sur leurs sites internet, ou de manière peu lisible. De plus, le consommateur ne disposerait pas d'informations suffisantes pour s'assurer que les conseils prodigués sont bien ceux d'un opticien-lunetier. Cette application imparfaite pourrait s'expliquer par la faiblesse des contrôles conduits par l'administration sur le respect de ces dispositions. Il a été proposé, au cours des auditions, outre des contrôles et des sanctions effectifs, l'idée d'un agrément a priori de ces sites par l'administration. Nous pensons qu'il ne faut pas sacrifier la sécurité sanitaire des Français en ce qui concerne l'accès à un équipement optique. Il s'agit d'une question de santé publique : or les mesures envisagées, loin de permettre la protection du consommateur, peuvent le priver de la qualité de prise en charge visuelle qu'il est en droit d'attendre. Nous devons donc rester vigilants sur ce point.

Par ailleurs, la loi a instauré un dispositif de sanctions administratives permettant à la DGCCRF de sanctionner directement des professionnels à l'origine d'un certain nombre de manquements, sans avoir recours au préalable au juge. Selon les informations fournies par le ministère, reposant sur un bilan effectué sur la fin de l'année 2014 et l'année 2015, l'application du dispositif est progressivement montée en puissance et devrait atteindre son rythme de croisière en 2016. Au 31 décembre 2015, on dénombrait 1 671 amendes pour un montant total de plus de 6 millions d'euros.

Les premières décisions de publication de sanctions sont intervenues en octobre 2015, en matière de délais de paiement. Au 31 décembre 2015, six décisions avaient été publiées sur le site internet de la DGCCRF. Les premières publicités de mesures d'injonctions ont été prises en matière de clauses abusives à l'encontre de la société Facebook.

Pour faire usage de ses nouveaux pouvoirs, la DGCCRF a eu recours à la technique de « l'enquêteur mystère », dite également du faux consommateur, dans le cadre d'une enquête concernant des pratiques commerciales trompeuses pour des placements atypiques, et dans celui d'une enquête sur des avis de consommateurs. Elle a également procédé, sous une fausse identité, à des achats sur internet de produits qui ne devraient pas être commercialisés, notamment pour procéder à l'analyse de produits proposés à la vente. La possibilité nouvelle de recourir à une personne qualifiée a été utilisée à plusieurs reprises en 2015. Rappelons que même si les pouvoirs de la DGCCRF ont été renforcés, parfois de manière significative, sans pour autant en augmenter les moyens, des résultats chiffrés montrent une progression qui va dans le bon sens.

Je terminerai cet exposé en évoquant la tarification des parkings au pas.

La loi a prévu que les exploitants de parcs de stationnement affectés à un usage public appliquent au consommateur, pour les stationnements d'une durée inférieure à douze heures et payés à la durée, une tarification par pas de quinze minutes au plus. Cette disposition, destinée à réduire le coût du stationnement pour les consommateurs, aurait paradoxalement entraîné un renchérissement des tarifs horaires faciaux : en moyenne, tous les consommateurs stationnant moins de trois quarts d'heures paieraient moins cher qu'auparavant ; en revanche, ceux qui restent plus d'une heure paieraient plus cher. Il semblerait que cette augmentation ait été rendue nécessaire par les engagements pris par les collectivités territoriales sur la rentabilité de ces infrastructures auprès de leurs investisseurs. Toutefois, la hausse des tarifs intervenue à la suite de cette mesure pouvant être estimée à 25 %, au lieu des 7 % prévus avant son adoption, il apparaîtrait nécessaire de pousser plus avant les investigations pour s'assurer que cette mesure n'a pas entraîné la constitution de rentes indues.

Tels sont les points que nous avons abordés dans ce rapport d'application de la loi relative à la consommation.

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