Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 27 octobre 2016 à 9h30
Commission élargie : finances - lois constitutionnelles

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je ne saurais cacher mon plaisir de me retrouver devant vous. N'ayant pas un budget désastreux à défendre, j'ai bon espoir que l'exercice ne soit pas trop difficile…

Monsieur Hetzel, comme vous l'avez dit, il s'agit du « dernier budget » de la législature. Il doit donc nous permettre de porter un regard sur l'ensemble du quinquennat, en faisant le bilan des engagements pris et des réalisations accomplies.

Depuis 2012, le président de la République a fait de la justice une priorité, qui a été confirmée budget après budget, et dès 2012 par Christine Taubira.

En termes d'emplois, le ministère de la Justice a procédé depuis 2012 à non moins de 6 943 recrutements supplémentaires.

C'est un ministère qui construit, qui restaure, qui renforce et qui modernise, alors même que la menace terroriste a alourdi nos responsabilités, mais nous a aussi permis d'accroître nos moyens.

Depuis 2012, le budget du ministère a augmenté de 14,7 %. Il est passé de 6,013 à 6,892 milliards d'euros, hors compte d'affectation spéciale (CAS) pour les pensions. Entre 2007 et 2012, la hausse avait été de 12,7 %, le budget passant de 5,335 à 6 013 milliards d'euros, toujours hors CAS.

Ce projet de loi de finances s'inscrit dans la continuité. Oui, certains pourront croire que le budget de la justice est sous-administré ; en les entendant, je pourrais dire que ce doit être le cas depuis Saint Louis… Nous nous améliorons cependant avec le temps.

En tout cas, ce projet de loi de finances représente la plus forte hausse budgétaire du quinquennat. Par rapport au projet de loi de finances 2016, c'est une augmentation de 520 millions d'euros. Ce n'est pas beaucoup en termes absolus, mais c'est considérable au regard de notre enveloppe. Cela nous permettra de faire beaucoup de choses au service d'une certaine conception de la justice.

Ainsi, la justice sera plus accessible. Mettant fin aux discriminations, elle sera une justice indépendante et une justice du quotidien, au service de l'état de droit.

J'avais d'ailleurs mis, dès mon arrivée place Vendôme, il y a neuf mois, l'accent sur la seule question du budget. En multipliant les priorités, en effet, on se disperse au point de finir, à mon sens, par perdre sur les différents tableaux. Sachant que j'avais peu de temps devant moi, j'ai donc fait du budget ma priorité première.

Les difficultés des juridictions sont connues : quasi absence d'entretien des immeubles, rupture de stock des matériels nécessaires au travail juridictionnel tels que photocopieurs ou ordinateurs, vacances de postes de magistrats : vous appelez régulièrement mon attention sur ce point par des courriers, qu'il s'agisse de conseils des prudhommes, de tribunaux des affaires de sécurité sociale, voire de tribunaux de grande instance (TGI). Nous manquons également de greffiers, tandis que les impayés s'accumulent, ce qui produit un mécontentement légitime des experts et des collaborateurs du service public de la justice.

Il a donc fallu patiemment tenter de redresser la barre. C'était une nécessité pour ceux qui oeuvrent à la justice comme pour les justiciables, qui sont en droit d'être accueillis dans des conditions dignes. Nous partageons cette conviction : la justice est un marqueur de civilisation, et il faut y apporter une attention particulière.

C'est pourquoi nous créons des postes. Toutes nos écoles en bénéficient : celle de Bordeaux pour les magistrats, celle d'Agen pour l'administration pénitentiaire, celle de Roubaix pour la protection judiciaire de la jeunesse, celle de Dijon pour l'École nationale des greffes. L'année prochaine, elles seront au-delà de leur maximum de capacité. Cela nous engagera sûrement à un agrandissement, par exemple, des bâtiments de l'école nationale d'administration pénitentiaire au cours de la prochaine législature.

Dans les services judiciaires, que suit votre rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec, nous aurons créé 1 714 postes en cinq ans, tous corps confondus. En 2016, il y aura eu 366 auditeurs à l'École nationale de la magistrature (ENM), soit la promotion la plus importante de son histoire – sans vouloir faire de polémique, elle comptait à peine 140 auditeurs en 2012.

Compte tenu du temps de formation des magistrats, il faut cependant beaucoup de mois avant de constater un renversement de la tendance. Ce n'est que depuis la fin de l'année dernière et le début de cette année que nous avons enfin un solde légèrement positif – de 94 magistrats – entre le nombre de magistrats qui quittent la profession et ceux qui y entrent, alors que les promotions de l'ENM progressent depuis quatre ans déjà.

Comme l'avait souligné Jean-Yves Le Bouillonnec dans son rapport à ce sujet sur le projet de loi finances pour 2015, il est facile de dégrader une situation, et toujours plus long de la redresser. Il avait aussi écrit – j'aime son sens de l'euphémisme – que « la priorité accordée à ce budget se justifie pleinement au regard de l'ampleur du retard à combler et la situation souvent difficile dans laquelle sont plongées les juridictions ».

Dans le projet de loi finances pour 2017, 600 emplois sont créés pour les juridictions, dont 238 emplois de magistrats – il faudra donc encore quelques années pour que les quelque 450 vacances de postes soient comblées.

Au cours de cette législature, nous aurons recruté 2 086 magistrats, contre 834 sous la précédente. Sur ces 2 086 recrutements, non moins de 828 correspondent à des créations de poste, ce qui est évidemment louable.

Nous aurons aussi créé 362 emplois de greffiers et administratifs. Entre 2007 et 2012, 3 880 fonctionnaires avaient été recrutés dans les services judiciaires. Entre 2012 et 2017, ils auront été 6 800, soit 2 920 de plus.

Vous avez consacré, monsieur le rapporteur, beaucoup d'attention aux greffiers. Une réforme de leur statut est intervenue le 1er novembre 2015, à la suite d'un mouvement exemplaire : les greffiers ont arrêté leur activité pour protester, mais sans jamais désorganiser le fonctionnement des juridictions. Le fait est suffisamment rare pour être souligné : ils se sont rassemblés sur les parvis, en dehors des audiences, ce qui traduit une grande rigueur professionnelle. Je veux les saluer et les remercier pour leur investissement.

La réforme de leur statut reconnaît leur spécificité. En adoptant le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, vous en avez fait les vecteurs des droits nouveaux qui seront donnés à nos concitoyens. Il était donc légitime de permettre que leur carrière soit plus attractive, comme d'accompagner l'évolution de leurs missions.

Ainsi, leur expertise sera étendue dans les domaines de l'assistance renforcée du magistrat, de l'encadrement technique et de proximité, ainsi que de l'accueil des justiciables, puisque le service d'accueil unique du justiciable (SAUJ) repose essentiellement sur les eux. Voici un exemple supplémentaire de modernisation de l'administration.

Depuis cinq ans, les crédits consacrés au fonctionnement courant des juridictions ont augmenté de 32 %, passant de 268 millions d'euros dans la loi de finances initiale pour 2012 à 355 millions d'euros dans le projet de loi finances pour 2017.

Les chefs de cour et de juridiction vont bénéficier d'un vrai ressaut budgétaire, qui leur permettra de faire face à des dépenses soit retardées, soit étalées.

Par ailleurs, ne l'oublions pas, le ministère de la justice est le premier constructeur de l'État. La superficie de nos emprises immobilières représente 6 millions de mètres carrés, réparties entre 800 implantations judiciaires et plus de 200 implantations pénitentiaires, sans parler de la PJJ.

Depuis 2012, plus de 710 millions d'euros ont été votés pour la programmation immobilière judiciaire, autorisant la confirmation et la poursuite de nombreux projets immobiliers judiciaires. De Périgueux à Fort-de-France, de Caen à Béziers, des palais de justice ont été bâtis. Puisqu'il a fallu du temps pour les construire, cela me donne le plaisir de les inaugurer, comme je l'ai fait à Caen et à Béziers, ou de poser la première pierre, comme je l'ai fait aux Antilles. J'ai inauguré le palais de justice de Foix il n'y a pas très longtemps, ainsi que celui de Bourg-en-Bresse, avec le président de la République, il y a quelques semaines. Toutes ces constructions traduisent un attachement à la justice dans la durée.

Le budget de l'immobilier augmente de 31 %. Cela permettra de financer d'autres grandes opérations en cours : à Cayenne, monsieur Serville, mais aussi à Lisieux, à Strasbourg ou à Pointe-à-Pitre. De nouvelles opérations seront lancées en 2017 à Lille, où j'ai choisi le terrain en concertation avec Mme la maire, à Basse-Terre ou encore à Mont-de-Marsan.

En dehors de toutes ces opérations, nous aurons mené, sur la totalité de la législature, plus d'une centaine d'opérations de réhabilitation de palais de justice : remise aux normes, sécurisation, accessibilité.

Tout en augmentant, année après année, le budget de la justice, nous avons dans le même temps amélioré notre gestion des moyens budgétaires. Car le fait de demander des moyens nouveaux, et de les obtenir, ne nous exonère pas de rechercher des pistes d'amélioration de la dépenses publique : monsieur Hetzel, vous avez eu raison de le souligner.

En lien avec M. Christian Eckert, secrétaire d'Etat au budget, j'ai demandé une mission conjointe de nos corps d'inspection sur l'optimisation de nos dépenses. Je crois en effet qu'il y a des économies à faire, malgré une organisation incroyablement compliquée. Je défie quiconque de s'y retrouver entre le pôle Chorus, qui n'est pas propre au ministère de la justice et nous a été imposé par la révision générale des politiques publiques (RGPP), et les budgets opérationnels de programme (BOP), subdivisés en 70 unités opérationnelles ou « UO », qui viennent le doublonner…

Il faut évidemment simplifier cette organisation, mais cela suppose une restructuration fondamentale, celle des cours d'appel. Elles sont aujourd'hui au nombre de 36, soit trois fois plus que de régions administratives, conformément à la nouvelle carte que vous avez adoptée, si bien que la question de la compatibilité entre carte des services judicaires et carte administrative se trouve posée. La PJJ, que suit Mme Capdevielle, et l'administration pénitentiaire, que suit M. Larrivé, ont déjà entamé la restructuration de leur propre carte. Pour la carte pénitentiaire, nous y sommes presque, à ceci près que la région Centre n'y est pas isolée comme elle l'est sur le plan administratif.

Mais la carte judiciaire reste tout à fait éloignée de la carte administrative. Il va de soi que je ne saurais modifier en neuf mois la carte des cours d'appel. Cela ne conduirait pas forcément, d'ailleurs, à des suppressions. Je crois que nous avons la possibilité d'organiser des coopérations intelligentes sur la base des implantations existantes. Personne ne veut la mort de la cour d'appel de Riom, ni celle de Chambéry. Mais la proximité de cette dernière avec la cour d'appel de Grenoble pose des questions sur l'articulation de leurs activités.

La conférence des premiers présidents des cours d'appel, la conférence des procureurs généraux, reconnaissent aussi qu'il y a des évolutions à envisager. Cela passera par un travail de concertation, mais les esprits me semblent assez mûrs.

Je reviens à la gestion des services. J'avais identifié le problème des retards de paiement des frais de justice, désagréables pour nous comme pour nos prestataires, qui n'ont pas vocation à être des philanthropes. Je m'étais engagé à réduire les délais de paiement dès cette année. Grâce au dégel de 104 millions d'euros au printemps et au décret d'avance pris au début du mois d'octobre, nous avons pu passer, en neuf mois, ramener le délai moyen de quatre mois à un mois. Je veux saluer la mobilisation des services d'action régionale, qui n'ont pas pris beaucoup de vacances ! Les présidents de cour d'appel et les procureurs généraux, que j'avais réunis, ont eux aussi agi avec une efficacité qui augure bien de l'avenir.

Pour 2017, les crédits prévus pour les frais de gestion sont toutefois en baisse, comme vous aurez pu le remarquer. Je veux rassurer et insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une réduction des moyens, mais de la prise en compte de mesures d'économies attendues. Car nous faisons un pari, une loi de finances étant toujours, par définition, une forme de pari.

Nous attendons ainsi une économie de près de 35 millions d'euros grâce au déploiement progressif de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), évoquée par M. Le Bouillonnec. Cet outil, non choisi par nous, mis en place en 2010 et confié à l'entreprise Thales, ne rend pas les services attendus. Les six prestataires nous coûtent 55 millions d'euros par an, contre 25 millions en 2005 et 30 millions en 2012. Je rappelle qu'il s'agit des « fadettes » et des interceptions de sécurité dont les services ont besoin. La progression de ces dépenses est exponentielle, même si le choix d'avoir une plateforme nationale reste judicieux. Je n'ai aucune raison de douter que le fait de l'avoir confiée à Thales soit un facteur d'économie, mais il y a des difficultés de fonctionnement, notamment sur les écoutes, tandis que la police reconnaît l'excellente qualité de la communication des « fadettes ».

Il y a déjà eu des adaptations ergonomiques et technologiques depuis le début de l'année. Vous avez souhaité, par la loi du 3 juin 2016, que la PNIJ soit généralisée. Cela n'est possible que si elle fournit les services que nous en attendons. Aussi ai-je demandé au Premier ministre d'engager une mission d'audit interministériel, qui est à l'oeuvre et a déjà fourni de premiers éléments de réponse. Nous en tirerons les conclusions. Je l'ai dit et je le répète devant vous : je n'écarte pas la solution d'une internalisation de la plateforme, dans le cas où Thales ne saurait pas apporter des solutions, dans un souci d'économie, mais aussi de maintien de la qualité des enquêtes s'appuyant sur la PNIJ.

Je reviens aux missions de la justice. Avec la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, vous avez engagé une réflexion et adopté un certain nombre de propositions.

Recruter était une première réponse. Recentrer les juges sur leurs missions essentielles en est une autre. Il faudra par exemple, à l'avenir, encourager les alternatives aux contentieux. Nous sommes encore très loin de ce qui existe dans d'autres pays et que nous pouvons encore parfaitement déployer.

Monsieur Hetzel, nous serons d'accord, je crois, pour dire que nous ne répondrons pas à l'embolie de la justice uniquement par un accroissement des moyens. Ce n'est pas parce que les difficultés sont de nature matérielle qu'elles seront réglées uniquement par des solutions de cet ordre. Je pense même l'inverse : plus nous mettrons de moyens dans la justice, plus nous renforcerons son efficacité, et plus on fera appel à elle. Parce que la structure sera plus efficiente, et que la soif de justice ne sera jamais assouvie, nous aurons une demande croissante. Répondre par des moyens matériels à une question matérielle est un processus sans fin.

Il faut plutôt modifier les structures afin que le ministère de la justice se vive comme un service public, expression que vous avez employée, monsieur Hetzel, et dans laquelle je me reconnais parfaitement. C'est un débat. Vous avez souhaité inscrire cette notion dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle. Ce souhait n'est pas partagé par tout le monde. Beaucoup des acteurs du monde judiciaire ne considèrent pas que la justice soit un service public. Il faudra donc des adaptations.

À ce titre, j'en viens à l'adaptation des structures du ministère de la justice, et notamment de son secrétariat général (SG), qui reste à mes yeux trop peu développé encore. C'est le ministère où le secrétariat général a été créé le plus tard. Dominique Raimbourg a raison de dire que le ministère est sous-administré, mais il manque parfois aussi de cohérence, d'optimisation et de partage d'information, notamment sur le plan horizontal. Prenons par exemple le suivi d'une personne par la justice. Tous les ministères ont à connaître du suivi d'une personne dans un parcours de vie. Eh bien, cette information n'existe pas. Il faut une transversalité, une mise en cohérence, et c'est au secrétariat général qu'il appartient de l'assurer.

Il faut donc d'abord investir dans le secrétariat général, avant d'en recevoir les économies que nous en attendons. Pas moins de 48 emplois y avaient été supprimés sous la précédente législature. C'est un sujet que j'ai abordé avec mes prédécesseurs de l'ancienne majorité, Michel Mercier et Michèle Alliot-Marie, qui m'ont expliqué les raisons de leur choix. Nous avons fait le choix inverse : 182 postes y auront été créés par votre majorité, dont 80 dans le projet de loi finances pour 2017.

Je pense qu'il faut aussi renforcer les fonctions support, et très essentiellement celle de l'informatique. Comme vous l'aurez peut-être constaté dans les juridictions, cela ne marche pas toujours comme cela devrait marcher. Le logiciel CASSIOPEE, évoqué par M. Le Bouillonnec, n'est ainsi pas conçu pour enregistrer plus de cinq cents victimes pour un même événement : c'est quelque chose qu'il est difficile d'expliquer à la cinq-cent-unième…

Des choix de regroupement des services centraux du ministère ont été faits dans le passé, ainsi sur le site du Millénaire à Aubervilliers. Toutes les grandes administrations du ministère s'y trouvent, et il ne reste place Vendôme que la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) et, pour partie, la direction des affaires civiles et du Sceau (DACS). Les autres – PJJ, secrétariat général et direction de l'administration pénitentiaire (DAP) sont au Millénaire. Cela a permis 6 millions d'euros d'économies sur les loyers autrefois payés dans la capitale, ainsi que des gains de mutualisation.

Je voulais aussi aborder devant le thème d'une justice plus accessible et d'un meilleur accès au droit. Avec la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, vous avez créé des services d'accueil unique du justiciable (SAUJ). Mme Anne-Yvonne Le Dain en avait beaucoup parlé au cours des débats préparatoires à l'adoption de la loi de finances pour 2016, disant qu'elle considérait que c'était l'un des facteurs de simplification dans l'accès à la justice. Eh bien, nous allons le concrétiser.

Vous avez voté également l'intégration des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) et des tribunaux du contentieux de l'incapacité (TCI). Là encore, nous en attendons une simplification pour nos concitoyens.

Évidemment, il faut dire un mot de l'effort budgétaire dédié à l'aide juridictionnelle, à laquelle Mme Pochon avait consacré son rapport en 2016. Jean-Yves Le Bouillonnec avait également beaucoup travaillé sur cette question. Je souhaite rappeler les efforts budgétaires importants réalisés par le Gouvernement depuis le début du quinquennat. Dans la loi de finances pour 2012, 396 millions d'euros y étaient consacrés. Cette année, ses crédits s'élèveront à 454 millions d'euros, soit une progression de 15 % : 371 millions d'euros de subventions et 83 millions d'euros de ressources extrabudgétaires. Nous allons donc pouvoir tenir les engagements passés fin 2015 – c'est bien le moins.

Mais je vous propose, après discussion avec les avocats, d'aller plus loin encore en établissant une unité de valeur unique et revalorisée, servant de base au calcul de la rétribution des avocats. Son montant actuel est soit de 26,50 euros, soit de 27,50 euros, soit de 28,50 euros. Le projet de loi de finances contient un article qui le fixe uniformément à 30 euros, et j'ai déposé, après une nouvelle concertation avec les avocats, j'ai déposé un amendement le portant à 32 euros.

Il y aura donc eu, sous la présente législature, une augmentation de près de 10 euros, soit 42 %, de l'unité de valeur de base, alors qu'aucune revalorisation n'avait été faite entre 2007 et 2012.

S'agissant des justiciables, le plafond de ressources pour bénéficier de l'aide juridictionnelle est passé de 929 euros en 2012 à plus de 1 000 euros en 2017. Cela aura permis d'inclure dans le champ de l'aide 100 000 justiciables supplémentaires.

Ce budget est aussi dédié à l'aide aux victimes, dont les crédits ont crû régulièrement ces dernières années. Ils étaient de 10 millions d'euros dans la loi de finances initiale pour 2012 : ils s'élèvent à 25 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2017, soit une augmentation de 174 % en cinq ans.

De 2007 à 2012, 50 bureaux d'aide aux victimes (BAV) avaient été créés dans les tribunaux de grande instance. Nous en avons créé 116 depuis 2012 ; il y en a donc désormais 166, couvrant tous les TGI.

J'en viens à la protection judiciaire de la jeunesse, que Colette Capdevielle décrivait comme « un service public qui revient de très loin » dans son avis de l'an dernier. Entre 2007 et 2012, la PJJ avait en effet subi une baisse de 4 % de ses crédits et elle avait perdu 632 emplois d'éducateurs, soit 7 % du plafond d'autorisations d'emplois. À l'époque, on avait pu craindre une remise en cause de la pérennité même de cette institution. Or le défi de la protection des mineurs, fussent-ils délinquants, est toujours autant d'actualité. Plus la prise en charge intervient tôt, plus nous avons de chances de remettre ces jeunes sur des parcours d'insertion, de respect de la loi, des autres et d'eux-mêmes. Il y avait eu des suppressions d'emplois ; depuis 2012, nous avons créé 802 postes, dont 509 postes d'éducateurs, ce qui nous a permis une prise en charge rapide des mineurs.

Le PLF pour 2017 prévoit une augmentation des moyens de la PJJ puisque son budget augmente de 4 % – les crédits passent de 663 à 690 millions d'euros – et que des postes ont été créés.

Vous m'avez interrogé sur les « séjours de rupture », qui représentent une piste intéressante. Plusieurs projets vont se concrétiser, notamment en Île-de-France, la région la plus concernée par la problématique de la radicalisation. Il s'agit notamment de places d'hébergement thérapeutique en appartement, et d'un centre d'éducation renforcé (CER), dit « CER citoyen », où deux places seraient réservées aux mineurs qui sont dans ces logiques. Que se passe-t-il après le stage de rupture ? Si l'on ramène le mineur dans la situation dans laquelle il se trouvait avant de faire son stage, aussi bénéfique qu'ait pu être ce dernier, on s'inscrit dans la continuité. La PJJ de l'Île-de-France va créer un groupe d'appui régional, avec deux éducateurs, pour s'intéresser à ce suivi.

Vous m'avez aussi interrogé sur les centres éducatifs fermés (CEF), un sujet compliqué. Ces structures, de création récente, ont eu du mal à trouver leur place. Rappelons qu'elles ont été créées en 2002 par M. Perben, que certaines sont gérées directement par la PJJ tandis que d'autres le sont par des associations habilitées. Le Président de la République avait évoqué le doublement du nombre des CEF pendant son mandat, mais nous nous sommes posé la question suivante : ceux qui existent sont-ils occupés, et répondent-ils à la demande des magistrats ? En 2013, nous avons demandé à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), à l'Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) et à l'inspection de la PJJ de s'intéresser à cette question. Comme il est apparu que les CEF n'étaient pas pleins, le programme d'accroissement du nombre de places n'a pas été lancé.

Au moment où je vous parle, le taux d'occupation moyen est de 70 %. Il existe 51 CEF et nous n'avons pas de projet de création pour diverses raisons. Tout d'abord, nous avons été confrontés à la nécessité de rehausser l'exigence d'encadrement afin de mettre un terme à ce que je qualifierais pudiquement de « dysfonctionnements » dans certains CEF gérés par des associations. Nous avons imposé une hausse du nombre de personnels présents : il doit y avoir au moins 26,5 ETP dans un CEF. Nous avons surtout actualisé le cahier des charges des CEF pour les rendre plus pertinents au regard de la demande des magistrats, au terme d'un long travail de concertation avec les juges des enfants. À cette occasion, nous avons redonné des préconisations pour prévenir et gérer la violence des mineurs accueillis, afin de tenir compte en particulier des remarques tout à fait fondées de Jean-Marie Delarue, qui était à l'époque le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL).

Je suis attentif et exigeant en matière de qualité du service rendu, et je le dis à mes interlocuteurs. Les CEF ont trouvé leur place et je ne doute pas qu'ils soient extrêmement utiles. Puisqu'ils sont occupés à 70 %, il reste une marge mais nous n'atteindrons jamais un taux de 100 % compte tenu des contraintes liées à l'accueil d'un public particulièrement difficile : il peut y avoir des fugues, des incarcérations ou des hospitalisations. Tant que le taux d'occupation – qui a augmenté de 9 % au cours de l'année écoulée – n'atteindra pas 80 %, je ne crois pas que la puissance publique ait intérêt à s'engager dans la création de nouveaux CEF.

Après cette longue réponse sur les CEF, j'en viens à un autre point dont on ne peut faire abstraction : la radicalisation. Le président du TGI de Paris, M. Jean-Michel Hayat, a employé l'expression très explicite de « déferlante terroriste » pour caractériser ce que doit affronter, en termes d'organisation, le ministère de la justice. Avant toute chose, je tiens à saluer le remarquable investissement de tous : personnels administratifs, greffiers, magistrats, personnels de l'administration pénitentiaire, éducateurs, conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP). Ils sont tous exemplaires.

Depuis deux ans, nous leur donnons plus de moyens parce que leurs missions ont augmenté. Le nombre de magistrats de la section antiterroriste du parquet de Paris a quasiment doublé, passant de sept à treize. Le pôle d'instruction antiterroriste du TGI de Paris a aussi été renforcé : il y a maintenant dix juges au lieu de huit, dont un premier vice-président coordonnateur ; un dixième cabinet d'instruction dédié à l'antiterrorisme va prochainement être créé.

Guillaume Larrivé m'a interrogé sur les prisons. Nous avons fait des choix que je vais rappeler, quitte à me répéter car certaines choses ne sont pas suffisamment connues. Au cours de ce quinquennat, entre 2012 et 2017, nous aurons construit 4 035 places de prison. Je ne dis pas que nous avons lancé les programmes de construction : nous avons financé les constructions lancées. Comme je le répète souvent, je vais avoir l'honneur d'inaugurer une prison – la dernière – dont la construction avait été lancée par Dominique Perben en 2002 ! Le processus aura pris quinze ans... Le futur, en matière d'immobilier pénitentiaire, a toujours été mensonger, et il ne s'agit pas de tirer la couverture à soi. Depuis 2012, nous avons donc financé 4 035 places de prison dans le cadre de programmes de construction mais aussi de rénovation. Je vais inaugurer les « Baumettes 2 » au mois de décembre ; les travaux ont été permanents à Fleury-Mérogis, « cathédrale » qui a besoin d'une rénovation constante ; la prison de la Santé a été fermée et ne rouvrira qu'au deuxième semestre de 2018, ce qui n'est d'ailleurs pas sans conséquences sur la surpopulation carcérale en Île-de-France.

J'ai lancé un plan de construction pénitentiaire assez vaste, au titre duquel figurent des autorisations d'engagement pour un montant de 1,158 milliard d'euros dans le PLF pour 2017. Vous avez très justement pointé la différence entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement, mais le fait d'avoir ces autorisations d'engagement va nous permettre de passer les marchés.

Sur la dizaine d'années nécessaire à la construction d'une prison, il en faut trois pour trouver le terrain. Pour gagner du temps, le Premier ministre a donné une consigne aux préfets des trente-trois départements identifiés comme ceux où nous avons des besoins : chercher des terrains. Ils doivent nous remettre le fruit de ces recherches le 16 décembre. Plus les terrains seront gratuits, moins il y aura de contentieux, et plus nous pourrons aller vite. Je ne sais pas s'il est possible de purger les éventuels contentieux comme le suggérait Guillaume Larrivé, mais c'est une hypothèse intéressante.

Depuis 2007, j'entends parler du projet de construction d'une prison à Lutterbach mais, au bout de neuf ans, la première pierre n'est toujours pas posée parce que le maire n'en veut pas et qu'il engage des procédures devant le tribunal administratif. Or cette prison correspond à un réel besoin. Par votre truchement, j'ai redit au maire de Lutterbach qu'il y aura une prison dans sa ville. De la même manière, je redis au maire de Nice qu'il y aura une prison dans sa métropole, et qu'elle ne sera pas construite sur les terrains qu'il nous propose, qui sont déjà gagés par d'autres administrations et doivent notamment accueillir le commissariat de police. Je n'imagine pas que Christian Estrosi veuille qu'on déplace le commissariat de police pour mettre la prison à sa place... Le 16 décembre, des décisions seront prises sur la base de recommandations du préfet.

Je souhaite que nous allions vite dans ce domaine. Ce sera aussi le travail de la prochaine législature. Le Premier ministre a annoncé la rédaction d'un Livre blanc sur l'immobilier carcéral, à laquelle seront associées la commission des lois de l'Assemblée nationale et celle du Sénat. Présidés par un haut fonctionnaire avisé de ces questions, les travaux seront conduits en suivant exactement la procédure qui avait été utilisée lors de l'élaboration du Livre blanc de la défense nationale, qui a montré son efficacité en termes de diagnostic et de thérapie partagés. Dans ces conditions, la prochaine législature pourra agir sans attendre, sur la base de ce qui aura été défini pendant la fin de la législature actuelle. Mis en place à partir du mois de novembre, le comité du Livre blanc devra rendre ses travaux en mars pour que nous puissions faire l'étude d'impact d'une loi de programmation sur l'immobilier carcéral, seul outil permettant de répondre au défi. Nous envisageons la création de trente-deux maisons d'arrêt et d'un centre de détention. Il faut aller vite en matière foncière, je le répète.

Le budget de cette année prévoit la création de 1 255 créations d'emplois dans l'administration pénitentiaire. Depuis 2012, nous aurons créé 4 245 emplois pénitentiaires, dont 2 500 emplois de surveillants et 1 150 emplois dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP). L'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP) a accueilli trois promotions de surveillants cette année, alors qu'elle n'en accueillait qu'une seule quelques années auparavant. En 2012, il y avait 35 511 emplois à la DAP, et ce chiffre était en progression – je ne fais pas le procès à la précédente législature de ne pas avoir créé d'emplois dans cette administration. En 2017, leur nombre est passé à 39 207. Ces recrutements se sont accompagnés d'une revalorisation pour les personnels, suite aux accords statutaires conclus en 2013 et aux relevés de conclusions signés en 2015 et en 2016 concernant respectivement les personnels pénitentiaires et la filière insertion et probation.

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