Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 27 octobre 2016 à 9h30
Commission élargie : finances - lois constitutionnelles

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je commencerai par les questions des rapporteurs auxquels je n'avais pas encore répondu.

Madame Pochon, vous avez souligné à juste titre, à propos du FGTI, que nous allons porter la contribution des assurances à 5,90 euros, ce qui représente pour le fonds un gain de 140 millions d'euros. Cette somme ne résulte pas d'une estimation hasardeuse, mais de l'évaluation du FGTI, selon laquelle il lui aurait manqué 140 millions d'euros fin 2017. Il fallait combler ce manque pour éviter d'avoir à puiser dans des fonds qui n'ont pas la même vocation. Le budget du FGTI sera donc équilibré.

Faut-il aller au-delà ? L'État s'est de toute façon engagé à assurer la solvabilité du fonds dans l'éventualité de dépenses exceptionnelles, qu'évidemment personne n'espère. Comment le ferons-nous ? Nous y réfléchissons. En tout cas, il n'est pas envisagé de recourir à de nouvelles taxes : il sera fait appel aux recettes du budget général.

Vous m'avez également posé une question tout à fait pertinente sur le contradictoire au sein du FGTI. Juliette Méadel a entendu de la part de certaines victimes des propos allant dans le même sens et faisant état de leur sentiment de fragilité à cet égard. Le FGTI a assez récemment fait l'objet d'une mission d'inspection ; nous travaillons sur ses conclusions. Nous n'envisageons pas d'accorder l'aide juridictionnelle dans la phase transactionnelle. Nous n'en poursuivons pas moins notre réflexion sur l'évolution de la procédure, et si nous devions en conclure à la nécessité de juridictionnaliser celle-ci – mais nous n'en sommes pas là –, alors l'aide juridictionnelle serait de droit pour les victimes, sans plafond de ressources, en leur seule qualité de victimes du terrorisme. À la suite des critiques formulées par les associations de victimes, le FGTI est déjà en train de se réformer afin de rendre ses décisions plus transparentes. Son conseil d'administration se prononcera par exemple bientôt sur l'idée d'un barème indicatif, souvent demandé ; surtout, des efforts seront faits pour mieux expliquer les décisions qui ont été rendues.

Mme Untermaier m'a interrogé sur CASSIOPEE. Ce système fonctionne, il est même utilisé tous les jours dans les juridictions, sauf dans les cours d'appel qui n'en disposent pas encore. Des modules sont mis en oeuvre pour l'enrichir.

J'en viens aux unités dédiées, évoquées par plusieurs orateurs.

M. Larrivé m'a demandé si ce que nous envisageons est suffisant. Vous connaissez les chiffres, que j'ai déjà souvent cités : 351 détenus incriminés d'association de malfaiteurs terroriste et 1 336 radicalisés en prison. Il nous semble qu'il y a en la matière une obligation d'évaluation. Nous allons donc ouvrir en 2017 deux centres d'évaluation dans les directions interrégionales de Bordeaux et de Marseille, et les unités dédiées de Fresnes, Fleury et Osny vont devenir des lieux d'évaluation. L'évaluation durera quatre mois et concernera chaque fois 100 personnes.

Ensuite viendra le moment de l'orientation. Il y aura effectivement 300 places pour les détenus les plus durs : 100 dans les maisons centrales et 200 à l'isolement dans des établissements pour peines ou des maisons d'arrêt. Nous pensons à ce stade que cette capacité suffit. Pour les autres, combien de places y aura-t-il dans les 27 établissements concernés ? Nous n'avons pas encore entièrement identifié les lieux, mais ce sera entre 400 et 600. Ces personnes seront détenues dans un environnement plus soutenu ; nous recruterons des personnels selon les volumes prévus par le projet de loi de finances, ainsi que des équipes pluridisciplinaires. Les binômes qui associaient un psychologue et un éducateur au sein des unités dédiées fonctionnaient bien ; il en existe 50 ; nous allons en recruter 40 de plus, et nous ferons également appel à des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP), en milieu ouvert et en milieu fermé, selon les volumes prévus dans le budget.

Je suis absolument convaincu – je l'ai dit hier – que nous avons encore besoin de nous adapter ; je ne suis nullement certain que tout cela soit suffisant. Nous ne mesurons pas l'effet des retours de Syrie, par exemple ; malgré les évaluations, l'estimation des volumes demeure aléatoire, notamment s'agissant des mineurs.

Nous avons aujourd'hui en détention 17 mineurs radicalisés. Si l'on tient compte des établissements pour mineurs et des quartiers pour mineurs des maisons d'arrêt, nous disposons d'une capacité de 1 151 places. Nous ne jugeons donc pas utile de prévoir des équipements particuliers dédiés aux mineurs.

Monsieur Goujon, la sous-direction de la sécurité pénitentiaire sera composée de plusieurs types de personnels déjà existants : nous y inclurons les équipes régionales d'intervention et de sécurité (ERIS) implantées dans neuf directions, les PREJ, le bureau du renseignement pénitentiaire que nous rebaptisons bureau central du renseignement pénitentiaire. Les effectifs sont aujourd'hui de 189 ; il y en a 51 de plus dans le projet de loi de finances, pour donner la priorité aux établissements sensibles. J'ai visité une vingtaine de prisons : à Riom, où il n'y a presque pas de détenus radicalisés, il n'y a pas lieu d'instituer en priorité un renseignement pénitentiaire, alors qu'à Fleury il n'y a que quatre délégués du renseignement pénitentiaire. Par ailleurs, les effectifs seront en partie dédiés à la construction de la structure centrale.

Je reçois dorénavant toutes les semaines des informations du renseignement pénitentiaire ; c'est de là que viennent les chiffres que je vous transmets régulièrement. Ces chiffres évoluent tous les jours. Ainsi, si nous avons identifié les 351 détenus pour association de malfaiteurs terroriste, en revanche le chiffre de 1 336 radicalisés est subjectif et provient du renseignement pénitentiaire. Par ailleurs, depuis le mois de juin, je participe comme garde des sceaux au conseil de défense que le Président de la République réunit le mercredi matin et au cours duquel le point est fait sur la menace intérieure, notamment au sein des établissements dont j'ai la responsabilité.

Nous incluons également dans la sous-direction les nouvelles équipes de sécurité pénitentiaire qui sont à construire. En outre, je vais créer en son sein un outil qui fait aujourd'hui défaut et qui servira à faire remonter l'information. Je l'ai dit en présentant ce plan, j'ai eu la tristesse de devoir actionner la cellule de crise de l'administration pénitentiaire à six reprises depuis que je suis garde des sceaux, et à un rythme quasi hebdomadaire au cours des dernières semaines, le week-end – car c'est le week-end que les choses se passent. Or la transmission d'informations n'est pas suffisamment rapide entre la direction locale, la direction interrégionale, la direction de l'administration pénitentiaire et mon cabinet. D'où le besoin d'une structure pour adapter notre réaction, puisqu'il faut toujours pouvoir mobiliser les ERIS des autres régions que celle concernée. Cet outil, imposé par la nécessité d'intervenir rapidement, de nous coordonner avec le parquet et de mobiliser les forces de sécurité intérieure, sera une cellule de veille et d'analyse composée de dix personnels pris sur notre budget pour 2017.

J'en viens aux extractions judiciaires, dont on parle beaucoup dans les juridictions et dont on a le sentiment qu'elles ne fonctionnent pas, alors même qu'au cours de l'année écoulée 10 % « seulement » des réquisitions n'ont pas pu être exécutées. La difficulté est structurelle. Lorsque l'on a décidé en 2010 de transférer l'extraction judiciaire des forces de sécurité intérieure à l'administration pénitentiaire, on a prévu pour cela 800 personnels, ce qui était probablement trop peu. En 2012, leur nombre est passé à 1 200 et, à la fin de cette année, il sera de 1 650.

Je ne pense pas qu'il en faille davantage en provenance des forces de sécurité : nous avons besoin d'organiser notre propre structure. Les PREJ ont été implantés, mais leur maillage me paraît perfectible. Un seul exemple : alors qu'à Agen, où je me suis rendu il y a quelques jours, la maison d'arrêt est de l'autre côté de la rue par rapport au tribunal, pour faire transférer un détenu, c'est-à-dire pour lui faire traverser la rue, il faut demander au PREJ, installé à Mont-de-Marsan, à une heure et demie de route en voiture, d'envoyer quelqu'un ! Inutile de vous dire que le garçon qui travaille au PREJ nous a expliqué qu'il avait autre chose à faire que rouler pendant trois heures pour aller traverser une rue… Nous devons pouvoir trouver un meilleur fonctionnement. J'ai donné l'exemple d'Agen pour ne pas parler de la Bretagne, mais, pour transférer un détenu du tribunal de Brest à la maison d'arrêt de Brest, il faut s'adresser au PREJ qui se trouve à Lorient ! Tout cela défie la raison.

Le système a été construit à l'époque où il ne bénéficiait que de 800 ETP ; nous en avons maintenant 1 650. Ce qui ne veut pas dire que nous ne solliciterons pas les forces de sécurité intérieure : cela peut toujours arriver, et une telle mission fait partie intégrante de leur coeur de métier puisqu'il s'agit d'amener des détenus.

L'administration pénitentiaire a beaucoup fait. Symboliquement, à la chancellerie, nous ne sommes plus protégés par la gendarmerie ni par la police, mais par les personnels de l'administration pénitentiaire. Il n'y a plus aujourd'hui de palais de justice qui soit protégé par la police ou par la gendarmerie : dans vos palais de justice, la surveillance est assurée soit par des sociétés de sécurité privée, soit par des réservistes que le ministère paie, par compensation auprès du ministère de l'intérieur. Les policiers ne sont plus présents que pour les audiences en cour d'assises, les comparutions immédiates et les procès quelque peu sensibles. Tout cela représente beaucoup d'efforts dont on ne parle pas suffisamment.

Pour surveiller le tribunal de Paris, monsieur Goujon, les discussions en cours portent sur 389 policiers. Il y aura une baisse des effectifs des agents qui étaient postés sur l'île de la Cité pour protéger l'ancien palais de justice : même si la cour d'appel et la Cour de cassation y restent, une grande partie des gendarmes qui y étaient affectés ne le seront plus. Mais cela relève d'une discussion interne au ministère de l'intérieur, notamment à la préfecture de police de Paris. Quoi qu'il en soit, voilà le nombre de policiers dont nous aurons besoin.

Quant à la fidélisation des personnels de l'administration pénitentiaire, elle pose effectivement un problème. Des mesures statutaires ont été prises le 14 mars 2013 et le 15 décembre 2015. Des mesures catégorielles supplémentaires destinées aux personnels de l'administration pénitentiaire sont inscrites dans le projet de loi de finances pour 2017, à hauteur de 20 millions d'euros. Nous avons en outre prévu une prime de fidélisation pour les surveillants dans les établissements les plus sensibles, pour 2 millions d'euros.

Monsieur Rochebloine, j'ai le plaisir de vous confirmer que nous referons la maison d'arrêt de Saint-Étienne ; je me suis engagé à aller l'annoncer sur place en votre compagnie dès que nous aurons choisi le terrain. Ce projet est financé sur le programme « 3 200 » qui avait été lancé par Christiane Taubira ; l'objectif est de 330 places.

Je crois vous avoir dit l'essentiel concernant la radicalisation.

Quant à l'aide juridictionnelle, la mesure représente tout de même un coût total en année pleine de 58 millions d'euros, dont 14,6 millions dès 2017. Avant 2015, l'unité de valeur n'avait pas été revalorisée depuis 2007. Ce sont nos discussions avec le Conseil national des barreaux qui me permettent de vous proposer de la porter de 30 à 32 euros.

Monsieur Dolez, en ce qui concerne la titularisation des personnels non titulaires, après la loi Sauvadet de 2012, il y avait exactement 914 éligibles au sein du ministère de la justice, dont 370 ont été titularisés. Le fait que le dispositif ait été prolongé de deux ans par la loi d'avril 2016 est donc une bonne nouvelle : ceux qui étaient éligibles au titre de la loi Sauvadet le demeurent. Surtout, nous sommes en train d'identifier avec les organisations syndicales les agents éligibles en vue du comité technique ministériel qui aura lieu en novembre, et à l'ordre du jour duquel ce point est inscrit.

Les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) ont connu un très important mouvement social il y a quelques semaines, qui a pris fin avec la signature d'un relevé de conclusions, lequel comporte des mesures attendues depuis très longtemps. J'ai ainsi mis fin, à la demande des organisations syndicales, à la préaffectation de stagiaires en lieu et place de titulaires. Les organisations syndicales sont bien conscientes du fait que la suppression de la préaffectation affectera la mobilité du personnel pendant un moment, et l'acceptent. Les conseillers pénitentiaires d'insertion et probation (CPIP) vont devenir des fonctionnaires de catégorie A. Voilà qui manifestera la reconnaissance de leur compétence. Christiane Taubira s'était engagée au recrutement de 1 000 CPIP ; nous en sommes à 900, et j'ai annoncé cette semaine que nous recruterions 100 personnels supplémentaires, parce que je souhaite que les conseillers affectés à la prévention de la radicalisation puissent se consacrer à cette lourde tâche. Nous avançons sur la question en bonne intelligence.

Je crois avoir répondu à tout le monde.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion