Intervention de André Vallini

Réunion du 2 novembre 2016 à 9h00
Commission élargie : finances - affaires étrangères - lois constitutionnelles

André Vallini, secrétaire d'état chargé du développement et de la francophonie :

Lorsque j'ai pris mes fonctions, en février dernier, la discussion budgétaire était en cours au sein du Gouvernement, et j'ai eu la satisfaction de constater qu'à ce moment déjà, le budget de l'aide publique au développement était en hausse. À la fin de l'examen du projet de loi de finances en première lecture, la hausse était encore plus forte ; j'en ai été très heureux, et j'espère qu'au terme du débat sur la loi de finances pour 2017, elle sera au moins équivalente à celle que nous constatons aujourd'hui.

Je précise que le ministre des affaires étrangères a évoqué des pistes de coopération avec la Chine en Afrique et en Asie. Dans la lignée de la visite du Président de la République en octobre 2015, il s'agira de financer la contribution de nos entreprises au développement d'infrastructures dans ces régions du monde. La gouvernance du fonds en gestation garantira un traitement équitable des entreprises françaises et des entreprises chinoises. J'espère, monsieur Myard, vois avoir ainsi rassuré : nous ne sommes pas plus naïfs que vous ne l'êtes à l'égard des Chinois, mais nous considérons que la coopération est préférable à l'affrontement, y compris dans le domaine économique.

Mme Guigou a eu raison d'évoquer le Liban, ce petit pays si proche de la France, dont le général de Gaulle disait : « Aucun peuple de la terre n'a eu le coeur battant à l'unisson du coeur de la France plus que le peuple libanais. » Le Liban accueille 1,5 million de réfugiés sur 4,5 millions d'habitants. Nous avons annoncé 200 millions d'euros d'aide en 2016-2018 pour les pays du Proche-Orient qui accueillent beaucoup de réfugiés syriens, dont le Liban. Dès 2016, 83 millions d'euros ont été versés, dont 50 millions pour le seul Liban, et nous poursuivons nos efforts en 2017.

Le rapprochement entre l'Agence française de développement et la Caisse des dépôts a été évoqué par M. Dumont. Le Président de la République a annoncé cette décision lors de la conférence des ambassadeurs, à la fin de l'été 2015. Il était d'abord question d'une fusion entre les deux organismes, mais elle s'est avérée difficile à réaliser. Il s'agit maintenant d'établir une convention cadre pluriannuelle, qui sera conclue entre les deux institutions au début du mois de décembre, à l'occasion du soixante-quinzième anniversaire de l'AFD. L'Agence a, en effet, été créée en 1941 par le Général de Gaulle, à Londres ; elle ne portait pas alors ce nom, mais l'esprit était le même.

Cette convention cadre facilitera la mise en commun d'expertises sectorielles entre les deux organismes et l'émergence de synergies opérationnelles et stratégiques, notamment dans le domaine de l'ingénierie du financement de projets, dans les pays que nous aidons traditionnellement comme en outre-mer. Elle permettra aussi de développer la mobilité des personnels entre les deux organismes et de faire converger les réseaux de l'AFD et de la CDC pour bâtir des partenariats avec tous les acteurs du développement, notamment les collectivités territoriales. C'est très important, et la CDC est évidemment très bien placée pour amener les collectivités locales à accroître encore leur part dans l'aide au développement sous forme de coopération décentralisée.

Conformément aux engagements pris par le Président de la République, un fonds d'investissement de 500 millions d'euros commun aux deux groupes sera créé pour financer les grands projets d'infrastructure dans les pays concernés.

Le rapprochement stratégique pourrait se traduire par la participation de la CDC au conseil d'administration de l'AFD. Si elle était décidée, cette participation imposerait de modifier le décret portant statuts de l'AFD. Je vous rassure, l'État conservera une présence forte dans la gouvernance de l'AFD au titre du pilotage de la politique de développement. Enfin, quant à l'éthique et au professionnalisme, monsieur Dumont, je pense qu'autant du côté de la CDC que de l'AFD, nous n'avons pas de crainte particulière à avoir.

De nombreuses questions portent sur les dons, les prêts, et la répartition entre les deux. Nous sommes, bien sûr, très attachés à renforcer notre politique de dons. Elle permet d'intervenir auprès de pays qui, du fait de fragilités politiques ou économiques, ne sont pas éligibles à notre aide sous forme de prêts.

Comme l'a annoncé M. Ayrault, les 270 millions d'euros supplémentaires prélevés au titre de la taxe sur les transactions financières suite à l'amendement que vous avez voté seront affectés à l'aide française sous forme de dons. Si l'on ajoute les 83 millions d'euros que nous avions prévus dans le programme 209 de la mission « Aide publique au développement », les dons devraient donc augmenter en 2017 de 353 millions d'euros. Cela signifie que nous allons devancer de trois ans la réalisation de l'engagement pris par le Président de la République d'augmenter l'aide française sous forme de dons à hauteur de 370 millions d'euros d'ici à 2020.

S'ajoute à cela le doublement des crédits de bonification des prêts, qui ne représentent pas du don, mais plus que du prêt. Il s'agit du programme 110, qui permet à l'AFD de continuer à intervenir sous forme de prêts dans les zones géographiques les plus pauvres avec des prêts très concessionnels.

Plus généralement, il ne faut pas opposer prêts et dons, qui sont complémentaires. Ce fut affirmé lors de la conférence d'Addis-Abeba de 2015 sur le financement du développement : chaque mode opératoire a ses spécificités et ses avantages. Les prêts de l'AFD sont, pour la plupart, bonifiés et concessionnels, c'est-à-dire qu'ils comportent une partie en don. Les prêts permettent également un effet de levier dans des secteurs rentables à moyen et long termes qui répondent à des besoins essentiels, tels que l'eau potable, l'énergie ou les infrastructures urbaines.

Cette palette d'outils – prêts, dons, prêts bonifiés – et l'approche différenciée par pays constituent la principale valeur ajoutée de l'AFD par rapport à d'autres bailleurs, notamment américains ou britanniques, qui n'interviennent qu'en dons.

Je ne peux encore répondre précisément sur la répartition des moyens additionnels en dons, puisqu'elle dépendra des grandes orientations qui seront décidées par le CICID qui devrait se tenir début décembre. Il ne s'est pas réuni depuis 2013, il est donc très attendu, et le Président de la République a annoncé lors de la conférence des ambassadeurs qu'il se tiendrait avant la fin de l'année. Matignon et tous les ministères concernés travaillent d'arrache-pied à l'organiser avant cette échéance.

Beaucoup de questions portent sur le FSD et plus généralement sur les financements innovants qui sont nés du constat des limites des flux traditionnels d'aide au développement pour répondre aux défis spécifiques du développement durable. Ils se distinguent en deux catégories : les sources innovantes de financement, comme les taxes de solidarité ou les micro-dons, qui permettent de mobiliser de nouvelles ressources pour le développement ; les mécanismes innovants de financement, qui permettent d'optimiser les ressources existantes en les fléchant sur des investissements à impact sur le développement etou de les décupler par effet de levier.

Les financements innovants, qu'il s'agisse des sources ou des mécanismes, ont vocation à répondre au double enjeu de la raréfaction des ressources consacrées au développement et de l'impératif d'efficience des ressources mobilisées. Depuis sa création, en 2006, la taxe sur les billets d'avion a permis de collecter plus de 1,8 milliard d'euros. La France est le seul pays à consacrer une partie des recettes de la TTF, créée en 2012, au développement – en 2016, la moitié du 1,1 milliard d'euros dégagé par la TTF. Ainsi, en 2016, le FSD a atteint un niveau de 738 millions d'euros, 528 provenant de la TTF et 210 de la taxe sur les billets d'avion.

La gestion de ce fonds, que vous trouvez trop opaque, est effectuée par l'AFD pour le compte de l'État, sur instruction et sous la supervision d'un comité de pilotage interministériel qui rassemble la direction du budget, la direction du Trésor et la direction de la mondialisation du ministère des affaires étrangères. L'AFD y est présente, mais elle n'a pas voix délibérative.

Nous sommes conscients qu'il faut améliorer le mode de gestion du FSD et sa transparence, et nous allons faire un effort dans ce domaine en 2017. Nous préparons un projet de décret pour que les priorités du FSD soient plus claires : principalement la santé et le climat, auxquelles j'espère ajouter l'éducation. Je ne suis pas hostile, à titre personnel, à l'idée d'un budget prévisionnel – même s'il devra évidemment évoluer, car le FSD est par définition évolutif – et d'un bilan comptable. Je souhaite que la transparence de la gestion du FSD et le décret en préparation sur ce point soient à l'ordre du jour du CICID. En 2017, le Parlement pourra noter une véritable évolution positive de sa capacité d'analyse de la gestion du FSD.

Madame Guittet, vous m'avez interrogé sur le Fonds sida et l'Alliance GAVI. En 2013, la France s'est engagée à verser 1,08 milliard au Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Nous avons versé 352 millions d'euros en 2014 et 320 en 2015. Au titre de 2016, 328 millions sont actuellement fléchés, ce qui porterait le total des versements français à 1 milliard d'euros sur la période 2014-2016. Pour 2017, la contribution sera considérablement augmentée de manière à apporter dès le début de l'année les 80 millions d'euros restants. Cela nous placerait donc au niveau prévu en 2013.

Pour la période 2017-2019, j'ai confirmé, lors de mon récent déplacement à Montréal pour la reconstitution du Fonds mondial, que la participation de la France serait maintenue au même niveau de 1,08 milliard, et je peux vous assurer que l'accueil a été très positif de la part de tous les participants. Nous devrions rester le deuxième contributeur mondial, après les États-Unis, même si la Grande-Bretagne vient de décider une augmentation très forte de sa participation. Nous serons donc « en concurrence » avec la Grande-Bretagne sur la contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose.

Concernant l'Alliance GAVI, lors de la conférence de mobilisation des ressources qui s'est tenue à Londres le 13 juin 2011, la France avait annoncé une contribution additionnelle de 100 millions d'euros pour 2011-2015. Les versements ont été intégralement honorés, le dernier à hauteur de 22 millions d'euros, le 31 mars de cette année. Nous sommes donc à jour de nos obligations à l'égard de l'Alliance GAVI, que j'ai visitée récemment à Genève. En marge du sommet de la francophonie à Madagascar, j'ai prévu de me rendre sur le terrain dans un village où GAVI vaccine les enfants. Depuis sa création, l'Alliance a permis de vacciner 580 millions d'enfants dans le monde.

L'engagement du Président de la République de doubler le financement transitant par les ONG a bien été tenu. La loi de 2014 a officialisé le rôle croissant des ONG dans le domaine du développement et de la solidarité internationale. Cette participation est fondamentale et de plus en plus reconnue. Cela se traduit par une augmentation de la part de l'aide publique au développement qui transite par les ONG : de 1,2 % au début du quinquennat, elle a dépassé 2 % en 2015. Depuis 2015, l'augmentation de l'enveloppe dédiée aux initiatives des ONG est de 8 millions d'euros par an, dont 1 million alloué à l'abondement du Fonds d'urgence humanitaire. Le PLF 2017 prévoit une augmentation de 9 millions d'euros en faveur du guichet des initiatives ONG de l'AFD : 79,9 millions d'euros iront à l'appui aux ONG, contre 41,8 en 2012 et 72 en 2016. Avec ce seul guichet, l'engagement du Président de la République de doubler le montant de l'aide publique au développement transitant par les ONG est en passe d'être tenu à la fin du quinquennat.

Tous canaux de financement confondus, les résultats sont encore meilleurs, puisque les crédits en faveur des ONG françaises ont augmenté de 30 % entre 2012 et 2015, pour atteindre 141,1 millions d'euros. Cela correspond à 2,1 % de notre APD bilatérale, et ce chiffre monte à 3 % en incluant le financement d'ONG internationales et étrangères. Sur ce dernier point, les montants ont plus que doublé.

Jusqu'à l'an dernier, il était difficile de suivre avec précision l'intégralité des financements publics au bénéfice des ONG françaises. Nous pouvons désormais identifier ces financements par ONG, par zone géographique ou par thématique. Cela va nous permettre d'améliorer notre exercice de redevabilité à l'égard du comité d'aide au développement de l'OCDE, qui est très exigeant en ce domaine. Nous sommes presque à jour, nous allons pouvoir fournir toutes ces données précises par zone, par thématique et par ONG à l'OCDE et au Parlement.

S'agissant des parts relatives du bilatéral et du multilatéral, comme Mme Guigou et Pascal Cherki l'ont dit à juste titre, il ne faut pas opposer bilatéral et multilatéral. Les deux sont utiles et efficaces, à condition d'être vigilant, et les deux sont complémentaires. L'APD française reste néanmoins majoritairement bilatérale, même si la part de l'aide multilatérale s'accroît – respectivement 58 % et 42 %.

L'aide multilatérale est utile pour atteindre une masse critique hors de portée de l'aide bilatérale dans certains domaines. Elle permet d'avoir une plus grande efficacité notamment sur les grandes pandémies, par exemple à travers le Fonds mondial sida, tuberculose, paludisme. Elle est également utile pour traiter des sujets globaux et assurer une cohérence de l'action globale : quand de nombreux pays interviennent sur une zone et une thématique, le multilatéral évite le saupoudrage, voire la concurrence entre pays. Elle nous permet aussi d'orienter selon nos priorités l'aide dispensée par les grands fonds internationaux. Plus la France est présente au sein d'un de ces fonds, plus elle peut peser sur les décisions, car les droits de vote sont souvent fonction du pourcentage de la participation au budget. Prenons l'exemple du fonds Bêkou. Je participerai, dans quinze jours, à une conférence des bailleurs à Bruxelles. La France a mis en oeuvre cette action multilatérale, elle y participe à une hauteur importante, ce qui lui permet de peser au profit de la Centrafrique. Il en va de même pour le Mali ou, dans le cadre de l'action contre le virus Ebola, pour la Guinée, et pour la lutte contre le changement climatique.

Pour que cette stratégie multilatérale soit plus claire et plus lisible pour les parlementaires et les citoyens, il a été décidé, lors du CICID de juillet 2013, d'élaborer une stratégie multilatérale de la France. Elle est toujours en cours de rédaction, mais la finalisation approche. Elle a nécessité un très gros travail de concertation avec les ONG et nos partenaires institutionnels internationaux. Le travail interministériel se termine, j'en ai parlé lors du Conseil national pour le développement et la solidarité internationale. Un premier document, une version longue, a été validé par le ministère des finances et le Quai d'Orsay. Une synthèse est en cours de rédaction, dont la publication devrait intervenir début 2017.

La loi de 2014 que vous avez votée définit les critères de l'aide publique au développement française sur la base de quatre partenariats différenciés : les pays pauvres prioritaires, très majoritairement africains et francophones ; l'Afrique subsaharienne ; les pays du voisinage sud et est de la Méditerranée, c'est-à-dire le Moyen-Orient ; les pays en crise ou en sortie de crise, et en situation de fragilité.

J'en viens maintenant à la taxation des transactions financières intraday. Nous y sommes tous favorables. Le problème est de savoir quand et comment.

S'agissant de la faisabilité de cette taxation intraday, beaucoup d'amendements déposés sur la première partie de la loi de finances prenaient exemple sur la Grande-Bretagne, notamment sur le stamp duty, qui taxe les transactions intraday sur actions avec un taux de 0,5 %. Mais cette comparaison est limitée par deux éléments. D'une part, le stamp duty exonère intégralement les banques, ce qui n'est pas le cas de la TTF française ni du projet de TTF européenne. Ce sont essentiellement les hedge funds et les fonds de pension qui la paient, or il n'y en a quasiment pas sur le marché parisien. D'autre part, elle est en place depuis longtemps à Londres, dans une place financière qui dispose des infrastructures pour la traiter. Aujourd'hui, techniquement, ni le fisc français ni les banques françaises ne sont en mesure de prélever une TTF intraday. Il faudrait modifier les systèmes informatiques de traitement des négociations des intermédiaires, modifier un grand nombre de conventions entre les clients et les intermédiaires financiers, sans parler du fait qu'il faudrait faire en sorte que les acteurs financiers de Londres ou de Francfort la paient également au fisc français. C'est pourquoi il faut avancer de manière groupée et au niveau européen.

Le 10 octobre dernier, dix États européens, dont la France, se sont mis d'accord sur les contours d'une taxe européenne. Pierre Moscovici a annoncé que la Commission rédigerait un texte avant la fin de l'année. Ce serait une grande avancée, car, pour la première fois, on n'en resterait pas au niveau des principes : nous pourrions avancer sur un texte de droit, une directive. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement souhaite la mise en place d'une taxe intraday au niveau européen, dans ces dix pays, qui pourrait entrer en vigueur dès le 1er janvier 2018.

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