Intervention de Audrey Linkenheld

Réunion du 25 octobre 2016 à 17h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAudrey Linkenheld, rapporteure :

Madame la présidente, mes chers collègues, nous effectuerons une présentation à deux voix de ce rapport d'application des titres III et IV de la loi ALUR, réalisé dans le cadre défini par l'article 145-7 de notre Règlement. Comme vous pouvez le constater, ce rapport intervient un peu plus de deux ans et demi après la promulgation de la loi – peut-être nos collègues Daniel Goldberg et M. Jean-Marie Tétart présenteront-ils le leur, portant sur l'application des titres Ier et II, avant son troisième anniversaire. En ce qui nous concerne, nous avons mis les bouchées doubles pour que notre rapport soit terminé fin octobre, car certaines dispositions du projet de loi « Égalité et citoyenneté » – qui doit être examiné en commission spéciale début novembre – sont dans l'esprit du titre III de la loi ALUR : il était donc intéressant de disposer d'un premier bilan de l'application de ce titre III avant d'entamer l'examen du nouveau projet de loi.

Le délai de deux ans et demi peut paraître relativement long dans la mesure où le Règlement nous autorise à procéder à ce type de travaux six mois seulement après la promulgation d'une loi. Toutefois, il nous permet d'avoir un peu de recul sur l'application de dispositions ayant entraîné des réformes structurelles et nécessité l'implication de très nombreux acteurs nationaux et locaux.

Après une vingtaine d'auditions réalisées entre les mois d'avril et d'octobre 2016, nous pouvons affirmer que l'application de cette partie de la loi est en bonne voie. À ce jour, 23 décrets d'application, soit 82 % des décrets prévus par les titres III et IV de la loi, ont été publiés – je précise que ce sont les décrets les plus importants. La mise en oeuvre des réformes n'est pas terminée, car le changement des pratiques nationales et locales prend du temps, mais les progrès sont indéniables.

Le titre III de la loi, consacré aux politiques publiques du logement, a entraîné une réforme profonde de la gestion de la demande de logement social, selon deux axes : d'une part, une simplification des démarches et une meilleure information des demandeurs ; d'autre part, une meilleure coordination entre tous les acteurs locaux intervenant dans le traitement des dossiers et l'attribution des logements sociaux. Les trois décrets d'application, prévus à l'article 97 de la loi, ont été publiés le 12 mai 2015, soit un peu moins de 14 mois après la promulgation de la loi.

Depuis le mois d'avril 2015, les particuliers peuvent désormais déposer directement en ligne, sur le site internet du Système national d'enregistrement (SNE), leur demande de logement social, qui conduit à attribuer à chacun d'eux un numéro unique leur permettant de suivre la progression du traitement de leur demande. Cette fonctionnalité est plébiscitée par les demandeurs puisque, en un an, plus de 120 000 demandes ont été déposées en ligne, soit 20 % des demandes au niveau national – sans doute cette proportion a-t-elle encore augmenté au cours des dernières semaines. Les associations de locataires reconnaissent également que ce site internet a, non seulement facilité les démarches des demandeurs, mais également d'ores et déjà permis d'améliorer leur information – chacun peut ainsi avoir une idée du nombre de bailleurs se trouvant dans sa zone de recherche, ainsi que du nombre de demandes et d'attributions, et du temps d'attente prévisible.

La seconde étape de la simplification des démarches, prévue par la loi, est la mise en place du dépôt unique des pièces justificatives du dossier d'un demandeur, une fonctionnalité mise en service dans le SNE en octobre 2015. Avant cette seconde étape, les demandeurs devaient faire de multiples photocopies de leurs documents afin de déposer un dossier auprès de chaque bailleur, et le moindre élément manquant pour une raison ou une autre les obligeait à faire de nouvelles démarches. Tous les demandeurs et les bailleurs ne disposent pas forcément des équipements nécessaires à la numérisation, c'est pourquoi le groupement d'intérêt public (GIP) du SNE a contracté en août dernier avec un prestataire national, à qui les bailleurs peuvent désormais envoyer les documents à scanner.

Ces avancées sont positives. Toutefois, les acteurs du secteur n'ont pas été associés à l'évolution du SNE autant qu'on aurait pu le souhaiter. L'article 97 de la loi ALUR avait prévu la création d'un comité d'orientation du SNE, ayant pour mission de se prononcer pour avis sur « toute évolution du SNE ayant une incidence sur la relation aux demandeurs de logement social ou sur l'activité des organismes HLM ». Or, si ce comité d'orientation a bien été créé par le décret du 29 décembre 2014, il n'a jamais été réuni depuis ! Nous appelons donc le Gouvernement à respecter l'esprit et la lettre de la loi en convoquant régulièrement ce comité.

Le second volet de la loi était territorial. Il a confié aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents en matière d'habitat un rôle central dans l'organisation de la gestion de la demande de logement social. Cette mission se concrétise dans la création d'une conférence intercommunale du logement (CIL) et dans l'élaboration d'un plan partenarial de gestion de la demande de logement social et d'information des demandeurs (PPG), dont le contenu a été précisé par un décret du 12 mai 2015. Afin d'accompagner les EPCI concernés – ceux dotés d'un programme local de l'habitat (PLH) approuvé – dans l'élaboration de ce plan, le ministère du logement et de l'habitat durable a créé très rapidement un « club des acteurs de la réforme » et un « club des EPCI volontaires » composé d'une dizaine d'EPCI de toutes tailles et de divers horizons géographiques et destiné à accompagner la réforme dans ses aspects obligatoires et facultatifs. Le club des EPCI a organisé des réunions thématiques et produit, en coopération avec l'Union sociale pour l'habitat (USH), des fiches détaillées sur les différents volets de la réforme. Ces fiches ont été jugées très utiles par les acteurs de terrain qui avaient besoin de préconisations opérationnelles et d'exemples de bonnes pratiques. J'insiste sur le fait que ce type de démarches, fondé sur la diffusion de fiches thématiques coproduites avec des acteurs locaux, est la méthode la plus pertinente pour mettre en oeuvre une réforme de politique publique. Cela est souvent beaucoup plus efficace que la publication de circulaires ministérielles classiques, bien faites mais peut-être trop touffues, ce qui fait que personne ne les lit jamais jusqu'au bout.

À ce jour, d'après le ministère du logement, sur les 383 EPCI dotés d'un PLH approuvé et devant donc obligatoirement appliquer l'article 97 de la loi ALUR, 276, soit 72 % d'entre eux, ont engagé l'élaboration d'un plan partenarial avec les communes, les bailleurs et les réservataires. Quelques EPCI, dont la métropole européenne de Lille – depuis le 14 octobre dernier – ou la communauté d'agglomération du Grand Poitiers, ont adopté leur plan. Par ailleurs, 8 EPCI ont déjà signé une convention relative au dispositif de gestion partagée de la demande.

La création de la conférence intercommunale du logement et le lancement du plan partenarial sont parfois concomitants. Mais, dans la majorité des cas, l'élaboration du plan partenarial est engagée préalablement à la création de la conférence intercommunale. Seules 126 conférences intercommunales du logement ont, en effet, été créées, parmi lesquelles 85 ont tenu leur première réunion. Ces chiffres ont toutefois subi une nette accélération depuis le début de l'année 2016 : une vraie dynamique a été constatée au premier semestre, ce qui est de bon augure.

Tous les acteurs auditionnés ont estimé que l'application de cette réforme allait prendre beaucoup de temps, car il s'agit d'une réforme structurelle qui bouscule les habitudes – bonnes et mauvaises – dans un environnement complexe. Par ailleurs, le nombre d'acteurs intervenant dans le logement social étant très élevé, la réforme de la gestion de la demande nécessite qu'une démarche collective soit lancée, ce qui peut prendre du temps. En tant que rapporteure du projet de loi, j'étais toutefois consciente de ce contexte au moment de l'élaboration de la loi, et ces délais de mise en oeuvre ne me surprennent donc pas – les choses me paraissent plutôt avancer à un rythme satisfaisant. Cette situation explique aussi mes préventions quant à de nouvelles modifications législatives dans ce domaine : j'estime en effet que nous avons besoin d'un peu de stabilité pour disposer d'une lisibilité suffisante. Peut-être est-il encore un peu tôt pour le voir clairement, mais sans doute mesurerons-nous prochainement à quel point l'architecture du logement social a été améliorée, pour ne pas dire révolutionnée, sous l'effet de la loi ALUR.

Enfin, deux éléments extérieurs à la loi sont venus perturber son application sereine : les EPCI se sont vus confier de très nombreuses nouvelles missions par la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (loi dite « MAPTAM »), ce qui a occasionné chez eux un certain engorgement, tandis que le périmètre de certains EPCI a été remis en cause par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite loi « NOTRe »), ce qui a créé une forme d'attentisme chez certains tout au long de l'année 2016.

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