Intervention de Audrey Linkenheld

Réunion du 25 octobre 2016 à 17h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAudrey Linkenheld, rapporteure :

Le titre IV de la loi ALUR a également créé de nombreux outils pour développer l'offre de construction, favoriser la densification des zones urbaines et lutter contre l'étalement urbain. La plupart de ces outils sont aujourd'hui opérationnels, grâce notamment à une refonte du règlement du plan local d'urbanisme par le décret du 28 décembre 2015.

La loi ALUR a tout d'abord supprimé, avec application immédiate dès le 27 mars 2014, les dispositions des règlements des PLU fixant un coefficient d'occupation des sols et une taille minimale de terrain constructible. D'après les aménageurs que nous avons auditionnés – qui ont généralement intérêt à ce que l'on construise des logements en nombre –, ces suppressions ont eu des effets positifs sur le développement de la construction et sur la densification. Le COS, règle quantitative, a été généralement remplacé par des règles beaucoup plus qualitatives, en matière de hauteur, de gabarit ou d'emprise au sol.

L'application immédiate de la suppression du COS a, certes, pu mettre certains services instructeurs des demandes de permis de construire en difficulté, au moins dans les premiers mois qui ont suivi l'application de la loi ALUR. Les agents des services instructeurs n'étaient pas nécessairement informés de la réforme et ont dû apprendre à apprécier les nouvelles règles de substitution au COS. Deux ans après la promulgation de la loi, la plupart des élus locaux et des professionnels de l'instruction estiment toutefois que cette période transitoire est terminée et que les règlements des PLU ont peu à peu intégré les règles plus qualitatives venues remplacer le COS.

Par ailleurs, le nouveau règlement du PLU, issu du décret du 28 décembre 2015, offre de nouvelles possibilités aux élus locaux. La publication de ce décret a été précédée d'une période de concertation nationale qui s'est déroulée d'octobre 2014 à juin 2015 – un délai qui a permis à tous les acteurs concernés de dire comment ils voyaient les choses et de préciser ce qu'ils souhaitaient. Aujourd'hui, conformément aux attentes des aménageurs et des élus, le nouveau règlement du PLU offre une plus grande souplesse et de nouveaux outils à ceux qui veulent privilégier un urbanisme de projet plutôt qu'un urbanisme réglementaire. Le PLU pourra ainsi instituer des secteurs de projet dans lesquels seules des orientations d'aménagement et de programmation renforcées (OAP) s'appliqueront, sans dispositions réglementaires, afin que le projet d'aménagement prime sur la règle d'urbanisme. Les modalités d'écriture des règles ont été assouplies afin de favoriser la mise en place de règles qualitatives qui définissent uniquement une obligation de résultat sans nécessairement imposer le moyen d'y parvenir. Des règles alternatives aux règles générales pourront, en outre, être édictées afin de mieux s'adapter aux spécificités de chaque parcelle.

Cette nouvelle philosophie du règlement du PLU, qui valorise la planification par le projet, davantage que par la règle, oblige tant les pouvoirs publics que les opérateurs à mener une réelle démarche de formation et de pédagogie à destination des élus locaux et des techniciens. La plupart d'entre eux n'ont, en effet, pas connaissance de ces nouveaux outils relativement complexes par rapport à la règle quantitative unique qui prévalait jusqu'alors. Les difficultés résultant de la suppression du COS dans certains territoires, notamment en montagne, montrent bien que cette mesure avait vocation à être accompagnée d'explications afin de rassurer les maires ou les intercommunalités qui se demandaient s'ils n'allaient pas perdre la maîtrise du développement de leur territoire – des explications qui n'ont malheureusement pas toujours été données. L'appropriation des nouvelles règles relatives au PLU se fait au fur et à mesure mais, en tout état de cause, ce changement attendu depuis longtemps constitue une très belle opportunité dont nous devons nous saisir, en prenant le temps de laisser les choses se mettre en place.

Le ministère du logement a commandé à la Fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU) la réalisation d'un guide méthodologique sur le nouveau règlement du PLU, qui devrait être publié avant la fin de l'année 2016. Nous saluons cette démarche, même si nous regrettons que la publication du décret et celle du guide méthodologique soient un peu tardives. En outre, nous considérons que cet effort de communication doit nécessairement être accompagné d'un effort de formation important auprès des agents des différents services instructeurs afin que ceux-ci s'approprient vraiment la réforme.

Par ailleurs, des questions demeurent sur les conditions de mise en oeuvre de certains dispositifs visant à lutter contre l'étalement urbain. Afin de limiter la pratique du « pastillage », qui conduisait dans certains territoires à un mitage excessif des terres agricoles, la loi ALUR a rendu « exceptionnelle » la délimitation des secteurs de taille et de capacité d'accueil limitées (STECAL) qui permettent d'autoriser des constructions au sein des zones agricoles, naturelles ou forestières. L'intention du législateur paraît bonne et l'application de cette disposition ne semble pas poser de problèmes particuliers, sauf en Bretagne et en Normandie, des régions où l'habitat est traditionnellement dispersé et qui sont également concernées par la loi « Littoral ».

D'après des collectifs de citoyens qui se sont surnommés les « PLUmés » et que nous avons auditionnés, les PLU qui sont en cours de révision dans ces territoires réduisent considérablement le nombre de STECAL, donc le nombre de terrains constructibles dans les zones agricoles, naturelles et forestières – même par exception –, afin de se conformer à la loi ALUR et à la loi « Littoral ». D'après eux, les services déconcentrés de l'État auraient indiqué aux collectivités territoriales que le caractère désormais « exceptionnel » des STECAL signifiait que leur nombre devait tendre vers zéro, et en tout cas être limité à un ou deux par PLU. Nous considérons qu'une telle interprétation uniforme est problématique et ne correspond pas à l'intention du législateur. Le caractère exceptionnel des STECAL ne signifie pas que leur nombre doit être inférieur ou égal à deux, mais il doit, comme c'est le cas pour n'importe quel plan local d'urbanisme, s'apprécier en fonction des circonstances locales : on ne fait pas le même plan local d'urbanisme, donc pas le même STECAL à Paris qu'à Lille, en Bretagne ou en Normandie. Ayant été rapporteure lors de l'élaboration du projet de loi ALUR, je persiste à affirmer que les STECAL doivent rester exceptionnels, mais que le caractère d'exception doit se mesurer à l'aune des circonstances locales, c'est-à-dire en fonction des pratiques antérieures. Si certains territoires ont pratiqué le pastillage à juste titre, d'autres l'ont fait de manière déraisonnable ; les territoires diffèrent également en termes d'habitat, qui peut être traditionnellement dispersé ou regroupé. Plus qu'une règle uniforme, c'est la logique et le bon sens qui doivent prévaloir.

Compte tenu des cas concrets qui nous sont rapportés depuis plusieurs mois de différents territoires, il paraît nécessaire que le Gouvernement clarifie auprès de ses services déconcentrés l'interprétation qu'il convient de faire du caractère exceptionnel des STECAL, en adressant une instruction claire, plutôt qu'une circulaire complexe et touffue, à tous ceux qui examinent les plans locaux d'urbanisme – certaines fiches pratiques peuvent être utiles à cet égard. Je dois à la vérité de dire que la ministre chargée du logement, Mme Emmanuelle Cosse, est avertie et qu'elle a entamé ce travail. C'est un point important, car si l'intention du législateur est déformée par une application stricte et uniforme du texte, il est inutile que nous prenions la peine de tenir compte de la diversité des territoires et de rechercher un équilibre.

Il en va de même pour le déclassement des zones à urbaniser en zones naturelles. Je rappelle que ce déclassement est prévu par la loi si, au bout de neuf ans, aucune acquisition foncière significative n'a été réalisée par une commune, un EPCI ou un de leurs opérateurs. Il s'agit, je persiste et je signe, d'une bonne disposition, qui vise à obliger les territoires à réfléchir à nouveau à leurs projets. De fait, si une zone a été déclarée constructible et que, neuf ans après, il ne s'est toujours rien passé, il y a une raison. La « menace » de reclassement automatique doit les inciter à repenser les choses et, si un projet existe véritablement, ils doivent en faire la démonstration ; d'où la notion d'acquisitions foncières significatives. Néanmoins, il faut examiner la situation avec bon sens et pragmatisme ; or, il semble que, dans certains territoires, il est fait une interprétation très stricte de cette disposition. Là encore, il faut donc clarifier les choses en précisant non seulement ce qu'est une « acquisition significative » mais aussi quelles sont les structures concernées. J'ai en effet connaissance d'un cas où des acquisitions réalisées par un office communautaire de logements HLM n'ont pas été considérées comme effectuées par un opérateur d'EPCI alors que ces offices sont le bras armé des EPCI en matière de logement social.

Enfin, l'article 159 de la loi ALUR avait pour objet de permettre, là où elle est souhaitable, la densification d'un certain nombre de lotissements, même lorsque le cahier des charges de ce dernier vient contredire les documents d'urbanisme. Toutefois, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 21 janvier 2016, que le principe constitutionnel de liberté contractuelle prévalait et que, loi ALUR ou pas, le cahier des charges conservait une valeur plus élevée que les documents d'urbanisme communaux ou intercommunaux. Loin de nous l'idée de vouloir fragiliser le contrat dans notre pays, mais on peut considérer qu'un document d'urbanisme obéit à des motifs d'intérêt général, surtout lorsqu'il s'agit de construire des logements dans une zone tendue. Dès lors, peut-être devons-nous trouver une solution législative différente, ce qui me paraît difficile, ou adopter une solution constitutionnelle – M. Daniel Goldberg nous a fait des propositions en ce sens.

En conclusion, l'application des titres III et IV de la loi ALUR est en bonne voie. Il est vrai que l'on parle depuis longtemps du PLUi et d'un renforcement de la transparence et de l'équité dans le traitement des demandes de logement HLM, de sorte que certains peuvent ressentir une certaine impatience. Mais la mise en oeuvre de telles réformes structurelles, qui reposent sur de multiples acteurs nationaux et locaux, prend nécessairement du temps. Dans ce domaine, nous devons faire preuve d'humilité, de constance et, surtout, de pédagogie pour que l'objectif d'un développement social et durable puisse être atteint et pour que nos concitoyens ressentent les effets concrets de ces réformes qui visent à mieux réguler à la fois le marché du logement et nos territoires.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion