Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 24 juillet 2012 à 15h00
Harcèlement sexuel — Présentation

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Outre la part que prendra le ministère public, à travers les enquêtes préliminaires ou les informations judiciaires, pour concourir à la manifestation de la vérité, nous avons veillé dans le texte du projet de loi à mieux protéger les témoins et à mieux sanctionner les discriminations.

À moins de nous gargariser à peu de frais, nous devons convenir que l'égalité n'est pas une abstraction, qu'elle se construit à travers l'égalité des droits, des chances, des salaires. Sous la pression des luttes sociales et politiques, cette égalité a permis la conquête du droit de vote et de divers droits civils, dont, par exemple, l'autorité parentale conjointe, la libre disposition de son corps, l'accès aux responsabilités politiques, professionnelles, administratives, le droit à une retraite décente, l'accès au savoir et aux connaissances, et une plus grande visibilité des violences, y compris conjugales.

Certains de ces progrès sont très récents. Le viol, qui est puni depuis 1810 – et même avant cela sous l'Ancien Régime – n'est défini en tant qu'« acte de pénétration de quelque nature que ce soit » que depuis la loi de 1980. Le viol conjugal n'est pénalisé que depuis 1992. Ces luttes ont parfois rassemblé, outre des associations, des syndicats et des partis politiques. Il est arrivé qu'elles prennent l'allure de causes portées par des minorités. Mais le cours des choses nous enseigne que les luttes des minorités, surtout lorsqu'elles revendiquent les mêmes droits pour tous, ne sont pas des luttes minoritaires ! Elles touchent au coeur même du défi de l'égalité, et à ce titre elles concernent la société tout entière ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

Ces luttes nous permettent d'éventer les ruses visant à échapper à l'exigence d'égalité. Elles ne sont pas exclusivement nationales : nous avons été récemment assez contrariés par l'échec de la 56e session de la Commission de la condition de la femme de l'Organisation des Nations unies. Cet échec augure mal de la prochaine session, qui portera sur la prévention et l'élimination de toutes les formes de violences contre les femmes et les fillettes. Nous savons à quel point les délégations nationales sont plus combatives et plus efficaces lorsqu'elles sont porteuses d'un mandat clair de refus et de condamnation. A contrario, nous savons bien à quel point nos engagements internationaux nous ont parfois protégés contre les relâchements de notre propre vigilance. La Cour européenne des droits de l'homme nous rappelle ainsi de temps en temps à quelle hauteur nous avons nous-mêmes placé la protection des libertés.

Mais regardons les choses en face. Le harcèlement sexuel a prospéré à l'ombre d'une acceptabilité collective qui a produit un sentiment de bon droit chez de nombreux auteurs, et chez de nombreuses victimes l'intériorisation de l'idée que ces comportements sexistes sont finalement inévitables, voire, parfois, que leur propre attitude a pu paraître provocatrice et, donc, a pu justifier ces gestes, ces propos, ces injonctions sexuelles.

Les victimes savent que leur silence gêné peut parfois être interprété comme un consentement. Elles savent aussi que leur « non » peut être perçu comme une grossièreté. Mais, par-delà ces éléments subjectifs, elles savent parfaitement que pèse lourdement le risque réel de perdre leur emploi, de ne pas obtenir un logement, de ne pas obtenir un diplôme.

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