Intervention de Gérard Sebaoun

Réunion du 16 novembre 2016 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Sebaoun :

J'ai longtemps partagé cette conviction de la nécessité de recourir à la coercition, mais, au fil des années, la pratique et les idées défendues par les plus jeunes m'ont fait revenir sur cette idée.

À mon tour, monsieur le rapporteur, je salue votre ténacité et votre fidélité à vos idées. Nous devons cependant avoir à l'esprit cette donnée incontournable que la santé s'appréhende sur le temps long et que de nombreux paramètres y participent : le nombre de médecins – à former ou en installation –, notre démographie bien portante mais aussi vieillissante, l'aménagement du territoire, l'attractivité des pôles urbains, le bouleversement des parcours professionnels au cours de la vie active, celle du médecin mais aussi celle de son conjoint ou de sa conjointe.

On ne peut pas se contenter de compter le nombre de professionnels pour le mettre en adéquation avec le nombre d'habitants. Cela requiert des études prospectives extrêmement compliquées. Par exemple, dans les endroits où le vieillissement de la population est très important, il faudra un nombre considérable de professionnels de santé pour les entourer ; dans d'autres endroits, où le territoire est plus large mais l'accessibilité plus facile et la population plus jeune, il faudra moins de professionnels de santé pour rendre un service à peu près équivalent.

Il faut de neuf à douze ans pour former un médecin, qui exercera le plus souvent en médecine libérale – et non en médecine salariée – après sept ou huit ans de remplacements multiples. La médecine dans notre pays s'est construite en deux pôles : l'un salarié, hospitalier ; l'autre de médecine libérale, que personne ici n'envisage de détruire. Ce qu'il faut considérer, c'est la courbe du numerus clausus qui, de 9 000 étudiants lors de sa création au début des années 1970, a connu une décroissance régulière dès les années 1980 et un creux considérable, à 3 500, dans les années 1990. Aujourd'hui, nous payons la tragique erreur de prospective des décideurs de l'époque.

À cela s'est ajoutée, dans les années 2000, l'incitation financière pour les médecins à prendre une retraite anticipée, le fameux MICA, qui reposait sur l'idée que la diminution de l'offre diminuerait la consommation. Mais l'effet mécanique attendu ne s'est pas produit, et l'on s'est privé de médecins qui ont décroché leur plaque à cinquante-sept ans.

Monsieur le rapporteur, je mettrai, en face de vos propositions, trois constats.

Premier constat : nous ne réformerons pas le cursus long des études médicales et l'installation des futurs médecins sans une concertation approfondie avec les intéressés. Tous ceux que j'ai pu rencontrer me l'ont dit clairement.

Vous parliez des professions qui ont accepté des contraintes conventionnellement. Cette méthode a été tentée avec les médecins en 2007, mais une grève dure des internes a conduit à renoncer à cette notion de convention, trop liée à celle de coercition. C'est le deuxième constat : nous ne construirons pas un système viable et solide sur la pratique des plus jeunes dans des endroits où ils ne veulent pas aller. Les y envoyer par la coercition, pourrait en conduire certains à se détourner de l'art médical.

Troisième constat : dans les pays où elle a été mise en place, la coercition n'a pas très bien marché.

Que reste-t-il : l'incitation ? Vous avez rappelé les dispositifs mis en place par les différents gouvernements. Nous en connaissons les limites, mais je crois que c'est la seule voie. Je ne crois plus à la coercition.

Chacun d'entre nous connaît la réalité de son territoire, mais les chiffres doivent être regardés au niveau infraterritorial. Les chiffres régionaux ou départementaux ne veulent pas toujours dire grand-chose. La région qui va connaître la plus grande décroissance de médecins généralistes entre 2017 et 2025 est l'Île-de-France, perte de – 22 % de médecins actifs, contre 10 % à 15 % pour les autres régions. La région Centre, la vôtre, monsieur le rapporteur, est en deuxième position. Ces chiffres sont issus d'une réalité construite par d'autres. Quant à nous, nous sommes collectivement responsables de ce qui se passera demain.

Malgré toute la considération que j'ai pour vous, monsieur le rapporteur, je ne crois pas que vos propositions soient de nature à résoudre à court terme les problèmes des jeunes médecins. Ces derniers sont des partenaires actifs, ils ont mis des propositions sur la table. Quel Gouvernement sera susceptible de les entendre ? Nous le verrons bien.

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