Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du 22 novembre 2016 à 15h00
Égalité et citoyenneté — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général de la commission spéciale, monsieur et mesdames les rapporteurs thématiques, chers collègues, nous entamons l’examen en nouvelle lecture du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté. Porteur de nobles objectifs, ce texte se veut une réponse aux attentes de nos concitoyens en matière de démocratie, de mixité sociale et d’égalité. Malgré une accumulation de mesures en ce sens, dont il est parfois difficile de mesurer la portée, ce projet de loi manque d’ambition et déçoit par la faiblesse des moyens financiers alloués à sa mise en oeuvre. En dépit de certaines améliorations issues du débat parlementaire, notre appréciation sur ce texte demeure en demi-teinte.

En premier lieu, ce projet de loi était l’occasion d’une grande réforme répondant aux aspirations de notre jeunesse. Si la volonté de revaloriser l’engagement citoyen est bien en son coeur, ni la consécration de la réserve civique ni la généralisation du service civique ne peuvent constituer les seules réponses aux préoccupations des jeunes sur leur avenir. Ce qu’ils souhaitent, c’est d’abord accéder plus facilement à un emploi stable, à une formation, au logement, à la culture ou encore aux soins. Sur tous ces enjeux, le texte qui nous est soumis reste largement silencieux.

Pour notre part, nous proposons depuis longtemps la mise en place d’une allocation d’études et d’autonomie permettant à chaque jeune de s’intégrer pleinement dans notre société, qu’il soit en formation ou sans emploi. Cela étant, nous sommes satisfaits des mesures visant à développer l’engagement associatif. La création d’un statut de l’étudiant bénévole et d’un congé d’engagement pour les salariés ainsi que l’extension du droit d’association aux jeunes mineurs vont dans le bon sens. De même, nous nous félicitons du renforcement de la place des jeunes dans les instances politiques territoriales, qu’il s’agisse des conseils économiques, sociaux et environnementaux au niveau régional ou des conseils de jeunes au niveau intercommunal.

Toutefois, les réserves que nous avons formulées en première lecture sur le premier volet du texte demeurent. Notre inquiétude porte principalement sur la généralisation du service civique par l’élargissement des structures d’accueil et la pratique de l’intermédiation. Le dispositif, qui reste insuffisamment encadré à nos yeux, ne doit pas devenir une nouvelle trappe de précarité pour les jeunes, qui souhaitent au contraire qu’on facilite leur insertion durable sur le marché du travail. J’insiste beaucoup sur ce point. Pour ces raisons, nous continuerons de proposer des amendements visant à encadrer ce dispositif afin de limiter les abus potentiels consistant à préférer l’embauche en mission de service civique en lieu et place de vrais emplois.

La priorité donnée au développement du service civique se fait au détriment de la politique d’éducation populaire. Il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner les crédits alloués au service civique dans le projet de budget 2017 : ils représentent à eux seuls 53 % des moyens de la mission « Sport et jeunesse » ! Notre inquiétude porte également sur le transfert aux régions des compétences de coordination des politiques de la jeunesse. À nos yeux, cette évolution porte un coup fatal à la spécificité française consistant à mener une politique de la jeunesse centralisée, garantissant l’égalité républicaine sur nos territoires. Cette appréciation est sans doute assez largement partagée ici.

Le volet du texte relatif au logement porte l’ambition de favoriser la mixité sociale et de lutter contre les phénomènes de ségrégation sociale et territoriale. Nous partageons évidemment ces objectifs. La crise du logement, que rien ne vient démentir, l’impose. Si la situation s’améliore en matière de construction, le contexte reste terriblement tendu. Près de 900 000 personnes sont privées de domicile personnel et leur nombre a doublé de 2001 à 2012. 141 500 personnes sont sans domicile fixe et 3,5 millions mal logées. Celles qui vivent dans des conditions difficiles dues à un manque de confort ou au surpeuplement seraient au nombre de 2,9 millions.

Entre 2006 et 2013, le nombre de personnes contraintes de loger chez des tiers a augmenté de 20 % et celui des personnes vivant dans un logement en situation de surpeuplement de 17 %. Quant à ceux qui sont contraints de se priver de chauffage à cause de son coût, leur nombre a augmenté de 44 %. De 2014 à 2015, le nombre d’expulsions locatives a bondi pour s’établir à 14 363. Cette situation est directement corrélée à la hausse du chômage, de la précarité, des loyers et de la facture énergétique des ménages. Les situations de mal-logement, voire de non-logement, ont de lourdes incidences sur la santé, l’emploi, l’insertion et la réussite scolaire de millions de nos concitoyens et de leurs enfants. Sur ce point, permettez-moi, chers collègues, de saluer – car on ne le fait jamais assez – l’action des associations qui interviennent au quotidien aux côtés des plus démunis pour faire valoir le droit au logement.

Face à cette situation, il est bien sûr nécessaire de poursuivre l’effort de construction de logements locatifs sociaux de qualité mais aussi de réorienter les avantages fiscaux dont bénéficie le logement privé, tels le dispositif Pinel, vers l’aide à la pierre, réduite aujourd’hui à la portion congrue. Nous saluons l’engagement du Gouvernement de mobiliser davantage les territoires sur la vacance de logements comme de locaux commerciaux. En matière législative, un constat s’impose : l’empilement des mesures législatives et réglementaires n’a pas jugulé la crise du logement !

Or ce projet de loi se propose pour l’essentiel de compléter les dispositifs existants, d’ajouter en quelque sorte des feuilles au mille-feuille. La lutte contre les phénomènes de ségrégation territoriale est un objectif que nous faisons nôtre depuis des années. Nous ne pouvons qu’accueillir favorablement les mesures visant à améliorer la répartition des logements comme celles visant à lutter contre les stratégies d’évitement développées par certaines communes afin de ne pas accueillir de ménages à faibles revenus. Nous saluons aussi la mesure visant à réserver 25 % des attributions annuelles situées hors des quartiers défavorisés au quart des demandeurs les plus modestes, même si nous jugeons le critère retenu, les quartiers prioritaires de la politique de la ville, trop restrictif pour couvrir la réalité des situations de pauvreté.

En revanche, nous sommes beaucoup plus réservés au sujet du renforcement du supplément de loyer de solidarité, du durcissement de la perte du droit au maintien dans les lieux et de la possibilité ménagée aux bailleurs sociaux de moduler les loyers selon une logique proche de celle du marché. À nos yeux, ces mesures portent atteinte à des éléments essentiels du modèle HLM français. Nous plaidons au contraire depuis des années en faveur du renforcement de la mixité sociale de l’habitat, du relèvement des plafonds de ressources et, symétriquement, de l’encadrement des loyers dans le parc privé. Plus généralement, il nous semble important que le logement sorte du champ des lois du marché et de la spéculation, contrairement à ce que propose le programme de M. Fillon – je ne sais pas pourquoi je le cite aujourd’hui !

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