Intervention de Gérard Sebaoun

Séance en hémicycle du 24 juillet 2012 à 15h00
Harcèlement sexuel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Sebaoun :

Madame la Présidente, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteur, je commencerai par un constat, qui est partagé : l'annulation de la loi sur le harcèlement sexuel par le Conseil constitutionnel a créé un vide juridique inacceptable pour les victimes.

En pleine campagne présidentielle, les deux candidats en présence ont immédiatement réagi et se sont engagés à le combler sans tarder. La promesse a été tenue par le Gouvernement et, comme vous nous l'avez dit, madame la garde des sceaux, nous avons là un « grand sujet ».

Je ne reviendrai pas sur les différents éléments de la loi, qui ont déjà été développés, et je concentrerai mon intervention sur la question du harcèlement dans le monde du travail.

En l'absence de données fiables, on estime communément que le nombre de faits de harcèlement sexuel méconnus est infiniment supérieur au nombre de faits connus. À ce propos, je soutiens la deuxième recommandation du rapport pour avis de la délégation aux droits des femmes, qui préconise une enquête statistique nationale sur les violences faites aux femmes, notamment, mais pas seulement, dans le monde du travail.

Le harcèlement sexuel est une réalité dans nos entreprises, nos administrations, nos universités et nos hôpitaux, et cette liste n'est pas exhaustive, puisqu'on peut y ajouter le monde sportif, le monde syndical, ou encore le monde politique. Peut-être existe-t-il même dans les murs de notre illustre assemblée.

Tous les milieux peuvent être concernés et je voudrais illustrer mon propos en relatant deux histoires exemplaires qui m'ont été directement rapportées par le service médical d'une grande entreprise. Ces deux histoires impliquent des femmes harcelées par des hommes : c'est, vous en conviendrez, la situation la plus fréquente, même si elle n'est pas exclusive.

La première histoire est celle d'une femme d'une trentaine d'années, assistante en contrat à durée indéterminée de cadres commerciaux masculins, qui eut à subir en silence l'exhibitionnisme répété de l'un d'eux – je vous épargne les détails. Sa santé et sa vie personnelle en furent affectées et, pour ne plus être confrontée à son harceleur, elle quitta son service. Elle m'a confié qu'elle n'avait pas osé en parler, de peur d'être regardée comme consentante, et donc coupable, et m'a demandé de garder le secret sur notre entretien – le secret médical est un impératif absolu. Ces faits, aujourd'hui, tomberaient sous le coup de la nouvelle loi, avec la circonstance aggravante du lien hiérarchique ; mais cette affaire n'a pas connu de suites judiciaires.

La seconde histoire est celle d'une femme plus âgée, d'une cinquantaine d'années, en contrat à durée déterminée et en formation dans un service de gestion. Un collègue masculin en CDI devint son formateur, et aussi son harceleur, avec des mots, des allusions et des questions intrusives sur sa vie privée. Cette femme résista et en informa sa supérieure hiérarchique, qui lui proposa un éloignement géographique dans le même service, tout en lui conseillant le silence, au regard des risques graves encourus par le collègue masculin responsable. Elle aussi m'a confié son histoire sous le sceau du secret, tourmentée à l'idée que le harceleur puisse récidiver auprès d'une nouvelle collègue, puisqu'il est toujours formateur dans le même service.

Ces faits tomberaient, eux aussi, sous le coup de la nouvelle loi, avec la circonstance aggravante de liens de subordination, au moins temporaire, et peut-être celle de vulnérabilité. Il n'y a pas eu, dans ce cas non plus, de suite judiciaire, comme dans 98 % des cas, si l'on se réfère à l'enquête menée en 2007 en Seine-Saint-Denis par la direction départementale du travail et une association de médecins du travail.

On perçoit aisément, à travers ces deux histoires tristement banales, l'effet dévastateur du harcèlement sexuel sur la santé physique et mentale des victimes, et tout simplement sur leur vie. J'emprunte à René Dubos, biologiste français, cette définition de la santé qui, en cet instant, trouve tout son sens : « La santé est un état physique et mental relativement exempt de gêne et de souffrance qui permet à l'individu de fonctionner aussi longtemps que prévu dans le milieu où le hasard ou le choix l'ont placé. » Le hasard, ici, c'est la rencontre avec un harceleur…

Le renforcement du droit d'intervention des délégués du personnel, de l'inspection du travail et de l'action des services de santé est une avancée. On peut craindre cependant que la mise en oeuvre de ces mesures soit inégale en fonction de la taille des entreprises. Aujourd'hui, les employeurs peuvent déjà agir, puisqu'ils sont responsables de la sécurité et de la protection physique et mentale des travailleurs, comme l'a expliqué M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission des relations du travail du MEDEF, lors de son audition au Sénat.

Mes chers collègues, il nous appartient, avec d'autres, de faire sauter le verrou du silence – pour ne pas dire l'omerta – qui fait du harcèlement sexuel un sujet tabou. Celui-ci nous interpelle sur notre acceptation tacite d'une violence banalisée, sur les rapports entre les hommes et les femmes, notamment dans le milieu du travail, sur l'éducation de nos enfants, sur nos stéréotypes, en un mot sur la société dans laquelle nous voulons vivre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et écologiste.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion