Intervention de René Dosière

Séance en hémicycle du 24 novembre 2016 à 15h00
Liberté du commerce dans les groupements d'intérêt économique — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRené Dosière :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur et cher Jean-Christophe Lagarde, cette proposition de loi a été déposée à la suite d’affaires, évoquées avec conviction et éloquence par l’auteur du texte, dans lesquelles des groupements d’intérêts économiques ont infligé de lourdes pénalités financières pour non-ouverture certains dimanches ou jours fériés. Ainsi dans le Var, le GIE qui rassemble les commerçants de la galerie marchande Grand-Var, après avoir voté en faveur de l’ouverture de sept dimanches et six jours fériés dans l’année, dont le 14 juillet, a infligé de lourdes pénalités financières à une dizaine de commerces indépendants, notamment une pénalité de 186 624 euros à un restaurateur qui avait refusé d’ouvrir son restaurant le 14 juillet.

Ces sanctions financières ont été heureusement réduites à la suite des réactions qu’elles avaient suscitées et leur montant été ramené à des forfaits plus compatibles avec la bonne marche des entreprises concernées.

Le principe de liberté du commerce et de l’industrie a valeur constitutionnelle, comme l’a reconnu le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 janvier 1982, de sorte que toute convention passée en matière d’exercice d’une activité économique doit respecter la liberté d’entreprendre. La proposition de loi se fonde sur un problème spécifique qui se poserait concernant les contrats déterminant l’organisation des groupements d’intérêt économique dont l’objet est commercial, qui peuvent imposer aux commerces parties au contrat d’exercer leurs activités le dimanche et les jours fériés, sous peine de pénalités financières élevée en cas de fermeture.

L’article unique de cette proposition de loi prévoit donc de compléter l’article L. 251-8 du code de commerce par des dispositions prévoyant que, lorsque l’objet du GIE est commercial, le contrat est tenu de respecter le principe de liberté du commerce et de l’industrie, étant précisé que le contrat ne peut donc prévoir d’obligation pour les société commerciales parties d’ouvrir et d’exercer leurs activités les dimanches et jours fériés. Toute clause contraire serait réputée non écrite.

En réalité, la question relève de l’arbitrage entre la liberté du commerce et de l’industrie d’une part, et la liberté contractuelle d’autre part. En effet, l’adhésion au GIE résulte d’une manifestation de volonté de la part de ses membres. Elle n’est jamais automatique du fait de l’exercice de l’activité commerciale au sein d’un centre commercial et elle ne peut être imposée en application des clauses du bail commercial.

Le Conseil constitutionnel reconnaît la valeur constitutionnelle du principe de liberté contractuelle, estimant, dans sa décision du 13 janvier 2003, que « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant, sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ». Une atteinte législative à la liberté contractuelle doit donc être justifiée par un motif d’intérêt général suffisant, afin de préserver la sécurité juridique.

L’appréciation de l’opportunité de cette proposition de loi relève donc de l’existence ou non d’un motif d’intérêt général suffisant pour justifier une atteinte à la liberté contractuelle. Or, des interrogations subsistent et interdisent d’apporter en l’état une réponse favorable à la solution proposée dans le texte qui nous est présenté aujourd’hui.

Il convient d’une part de rappeler qu’en aucun cas de tels contrats ne peuvent s’affranchir des règles légales relatives à l’encadrement du travail du dimanche telles que votées par cette Assemblée, à savoir le volontariat et l’exigence d’un accord social. Ainsi, la liberté contractuelle rencontrant toujours comme limite l’application de la loi relative au travail du dimanche, les situations qui pourraient être concernées par ces difficultés doivent être précisément ciblées.

D’autre part, certaines affaires évoquées ont naturellement trouvé leur solution dans une sanction proportionnée à l’encontre des entreprises n’ayant pas respecté l’obligation du travail du dimanche. N’est-il pas dès lors légitime de se demander si les cas concrets, une fois précisés et circonscrits, ne relèvent pas de résolutions individuelles, voire jurisprudentielles, sans qu’il soit nécessaire de porter atteinte au principe de liberté contractuelle ?

Un des enjeux sous-jacents de cette proposition de loi est bien l’arbitrage entre deux principes constitutionnels d’égale valeur : la liberté contractuelle et la liberté du commerce. Il serait dommageable que, faute d’appréciation plus globale, la solution envisagée ici entraîne de nouvelles difficultés. Dès lors, compte tenu de l’importance de tels sujets et de la nécessité de trouver des équilibres entre des principes d’égale importance, il ne convient pas de légiférer dans l’empressement et sans disposer de tous les éléments nécessaires.

L’ensemble de ces raisons laisse à penser qu’il serait préférable de prendre davantage de recul pour apprécier l’évolution de telles situations au regard de la nouvelle législation. Le texte qui nous est présenté ne permet pas de garantir une réponse parfaitement adaptée et efficace aux problématiques soulevées. C’est pourquoi le groupe socialiste, écologiste et républicain préconise le renvoi de cette proposition de loi en commission, afin que ces problématiques soient examinées avec le recul nécessaire.

À titre personnel, je souhaite que ce renvoi, s’il est voté, ne soit pas un prétexte pour renvoyer aux calendes grecques cette proposition dont l’intérêt n’échappe à personne, ainsi que l’a souligné la porte-parole de notre groupe dans la discussion générale. C’est pourquoi, monsieur le président de la commission des lois, je souhaite qu’elle puisse être réexaminée au cours d’une prochaine réunion.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion