Intervention de Huguette Bello

Séance en hémicycle du 24 juillet 2012 à 15h00
Harcèlement sexuel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHuguette Bello :

Madame la présidente, madame la Garde des Sceaux, madame la ministre des droits des femmes, c'est peu dire que la décision rendue par le Conseil constitutionnel, le 4 mai dernier, a été un choc pour les victimes de harcèlement sexuel. Ce fut un tremblement de terre. Entrée immédiatement en vigueur, l'abrogation de l'article 222-33 du code pénal a en effet entraîné la disparition du délit de harcèlement sexuel, l'impossibilité de nouvelles poursuites et l'extinction de toutes les affaires non définitivement jugées. Ce vide juridique inédit a provoqué incompréhension et traumatisme d'autant que la requalification des faits n'a pas été possible dans tous les cas.

C'est la raison pour laquelle nous tenons à saluer la célérité avec laquelle le Gouvernement a réagi, permettant l'examen en urgence du présent texte, ainsi que la réactivité de nos collègues sénateurs qui, dès l'annonce de cette décision, ont fort opportunément créé un groupe de travail et déposé pas moins de sept propositions de loi.

Mais la stupéfaction et l'angoisse qui ont suivi cette abrogation obligent aussi à aller au-delà du volet juridique et à programmer, parallèlement à la démarche législative, des actions qui auront le mérite de montrer la détermination des pouvoirs publics pour lutter contre cette réalité, souvent silencieuse, et qui exige des victimes, lorsqu'elles décident de se lancer dans une procédure judiciaire, un courage et une ténacité hors normes. Parmi ces actions, je pense avant tout à la création de cet observatoire national des violences envers les femmes dont le principe a été plusieurs fois évoqué, notamment lors de l'examen de la loi de 2010. Je pense aussi aux nécessaires mesures de prévention et de sensibilisation, particulièrement auprès de la médecine du travail et des représentants du personnel. Je pense encore aux dispositifs d'accompagnement des victimes, pour lesquels il faut souligner l'implication assidue, mais bien souvent isolée, des associations. C'est la présidente de la plus ancienne association de femmes de la Réunion qui s'exprime à cet instant.

Une nouvelle loi conjuguée à une action publique plus affirmée, ne serait-ce pas là une manière de rétablir la confiance chez les victimes, et de prévenir de nouveaux actes de harcèlement sexuel ? D'autant que, déjà en 2007, cette même infraction avait eu à souffrir d'une erreur, avec des conséquences certes moins dramatiques, puisque les peines, lors de la recodification du code du travail, avaient été supprimées.

Pour l'heure, il nous revient de redéfinir le harcèlement sexuel. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne s'agira pas d'une définition ex nihilo puisque compte devra être tenu de la définition initiale de 1994, modifiée en 1998, mais surtout de la décision du Conseil constitutionnel selon laquelle l'article issu de la modification de 2002 est contraire au principe de légalité des délits et des peines, qui impose de définir les éléments constitutifs de l'infraction en termes clairs et précis. Sans oublier les directives européennes ni négliger les avis des associations et des magistrats qui, rappelons-le, avaient souligné depuis plusieurs années les aléas de la définition en vigueur jusqu'en mai dernier.

Garante de la sécurité juridique, la rédaction de cette nouvelle définition exige aussi une attention sémantique digne de l'orfèvrerie. Elle suppose, d'une part, de concilier la nécessaire précision des éléments constitutifs de l'infraction et l'obligation d'une incrimination suffisamment large pour envisager toutes les situations possibles. D'autre part, il s'agit d'adopter une formulation suffisamment distincte de celle de l'agression sexuelle, en sorte d'éviter les confusions et, surtout, les déqualifications. La définition proposée par le I de l'article 1er remplit ces deux conditions.

S'agissant du II, de la deuxième partie de la définition, qui vise le fait unique et grave, des interrogations subsistent. Elles sont anciennes puisque, dès 1992, lors de la réforme du code pénal, le caractère répétitif ou non des actes susceptibles de constituer le délit de harcèlement sexuel avait été largement débattu, mais laissé en suspens. Le code du travail mentionne la pluralité des actes pour le harcèlement moral. La réitération est également prévue par le code pénal pour le harcèlement entre concubins. Prévoir l'acte isolé uniquement pour le harcèlement sexuel serait donc une innovation. Selon des juristes, ce serait là une source de confusions et de débats qui risquent de fragiliser tout l'édifice. Ces mises en garde sont faites également par des associations de femmes. Il faut aussi noter que, selon un arrêt de la Cour d'appel de Lyon rendu en mars 2011, « le harcèlement sexuel ne suppose pas qu'il y ait pluralité des actes, le législateur n'ayant pas exigé, comme pour le harcèlement moral, des agissements répétés. »

Si la définition à double niveau devait toutefois être maintenue, je vous remercie, mesdames les ministres, d'apporter tout l'éclairage qui permettra de convaincre, au-delà de l'argument de l'échelle des peines du code pénal, que c'est à raison et sans risques qu'on décide d'aller à l'encontre à la fois de la législation en vigueur et de la langue française.

Pour ce qui est des autres innovations contenues dans ce projet de loi, je ne fais que les mentionner, surtout pour dire qu'elles emportent toute notre adhésion, qu'il s'agisse de l'introduction des circonstances aggravantes, de la disposition réprimant les discriminations, ou encore de la nouvelle notion de précarité de la victime comme facteur aggravant.

De même, nous sommes favorables à la modification du Code du travail et à l'inscription du harcèlement sexuel dans la loi de 1983 relative aux droits et obligations des fonctionnaires.

Pour toutes ces raisons, vous pouvez compter sur mon soutien pour le vote et l'application de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC, écologiste et RRDP.)

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