Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du 29 novembre 2016 à 15h00
Sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Imaginez qu’il représente 50 % des recettes meunières de la planète et qu’il emploie des milliers de salariés. Eh bien, sa responsabilité sera la même.

Il s’agit, dans cette proposition de loi, de transposer ce que George Orwell appelait la common decency, la décence commune, aux principes de l’activité internationale.

Une partie de l’ultralibéralisme s’est bâtie sur ce voile juridique qui sépare les maisons mères de leurs filiales. Cela a pu donner des résultats probants, une certaine croissance ; cela peut créer des désordres humains et des désordres écologiques qui ne sont plus acceptables aujourd’hui.

Il s’agit donc de fixer une limite. C’est au législateur qu’il revient de le faire, ici et ailleurs – ici comme ailleurs, puisque la planète est maintenant notre village : nous vivons dans un seul monde, un monde globalisé.

Cette proposition de loi nous permet de tirer diverses leçons. La première est que nous pouvons réunir la gauche. Je voulais le dire, en ce temps particulier : quand la gauche se saisit de sujets systémiques, de réformes de fond qui engagent le long terme, au delà de notre sol national, la gauche est au meilleur d’elle-même. Elle n’oppose pas les uns aux autres, ceux qui accepteraient le réel à ceux qui le nieraient.

Une partie de la gauche pensait qu’il fallait, dans ce texte, être plus radical, plus exigeant. Certains, au contraire, avaient la peur frileuse de décourager des entreprises, qui déménageraient à Londres à une époque, à Bruxelles ou à Amsterdam aujourd’hui. Cette logique fondée sur la peur de la désertion de ceux fuyant le sol national dès qu’une exigence est posée figure parmi les causes du désespoir actuel. Elle signe l’impuissance publique, l’incapacité des assemblées nationales et même d’une assemblée continentale européenne à délibérer et à faire progresser l’humanité.

Avec cette proposition de loi, nous affirmons qu’une autre voie est possible. Il ne s’agit pas de trancher entre la rétractation du monde et son extension sans foi ni loi, mais qu’il y a des voies de régulation, de civilisation, qui permettent d’envisager avec optimisme le monde moderne.

Au-delà de cette gauche rassemblée, qui a co-construit, qui a bâti ce texte dans un débat parfois vif et qui va l’adopter je l’espère à l’unanimité, j’appelle l’opposition à faire le même chemin que la majorité sénatoriale. Celle-ci a progressé, ne contestant plus, par une motion préjudicielle qui l’avait quelque peu exposée au ridicule, la proposition dans ses principes mêmes, mais en cherchant d’autres voies pour atteindre les mêmes finalités.

Nous avons salué ce progrès, mais il aboutit à des résultats incompatibles avec nos propres objectifs. En effet, faire du reporting après avoir agi et ne pas sanctionner, c’est se moquer du monde – et notamment du pauvre monde, de ceux qui sont les victimes de la mondialisation.

J’espère, puisqu’il y a eu un vote à l’unanimité en première lecture, que dans l’opposition, ici, des voix au centre ou chez Les Républicains s’élèveront pour dire qu’une droite humaniste est capable de nous rejoindre dans ce combat qui fait l’union de la gauche. En tout cas, je le souhaite vivement.

Je voudrais ici saluer, puisque nous sommes à la fin d’un long parcours, la société civile qui a inspiré profondément cette loi. Dans cette dernière ligne droite, je voudrais faire un petit détour en signalant que, la semaine dernière, un arrêté a été pris, sur l’initiative d’ATD Quart Monde, concernant une expérimentation en matière de lutte contre le chômage de longue durée. J’étais aux côtés de Laurent Grandguillaume dans la construction de la loi qui a rendu possible cette expérimentation.

Quand nous écoutons la société civile et les militants, ceux qui se sont engagés pour changer le monde, alors nous sommes meilleurs ; nous sommes des députés éclairés ; nous n’acceptons pas toutes les suggestions, nous négocions – et Dieu sait si les négociations sont parfois ardues –, mais nous nous inspirons de ce que nous disent ceux qui consacrent une partie de leur vie, bénévolement, à rendre le monde meilleur.

Je voudrais saluer ceux qui se battent au bout de la rue, comme ATD Quart Monde, et ceux qui se battent au bout du monde, comme le Comité catholique contre la faim et pour le développement, Amnesty International, Sherpa, Peuples solidaires, Les Amis de la Terre, Éthique sur l’étiquette. Je voudrais saluer les syndicats français qui, dans leur immense majorité, ont soutenu avec force ce texte – je n’en citerai aucun pour ne pas faire de privilégiés mais ils étaient tous rassemblés dans ce combat.

Je voudrais également saluer le monde de la recherche, du développement, qui dans les universités, en France et en Belgique, concourt à la recherche juridique sur ce que pourrait être l’entreprise au XXIe siècle.

Je voudrais aussi rendre hommage au Gouvernement. Je voudrais en premier lieu – et je vous invite à y voir un message politique très clair – saluer ici l’engagement personnel du Président de la République et celui du Premier ministre, dans ce combat qui aboutit aujourd’hui.

Je voudrais saluer la permanence de l’engagement de la chancellerie, avec Jean-Jacques Urvoas mais auparavant avec Christiane Taubira.

Et je voudrais dire la nouvelle donne qu’a constitué l’engagement de Michel Sapin dans ce combat : monsieur le ministre, vous nous avez aidés, avec vos équipes, à rendre ce texte plus précis, plus résistant sur le plan constitutionnel, plus fort, en veillant – puisque tel était le pacte politique entre le Parlement et le Gouvernement – à ne pas dénaturer le compromis édifié dans cette nouvelle version.

Nous avons donc un texte plus fort, plus précis, parce que vous y avez mis non seulement de la bonne volonté, mais le meilleur de vous-même. Merci.

Je voudrais saluer ceux qui vont maintenant être à l’oeuvre dans ce combat : les Européens, les entreprises et tous ceux qui agissent dans les pays du Sud et à qui nous faisons signe aujourd’hui.

Je voudrais saluer les Européens. Entre Donald Trump et Vladimir Poutine, ils deviennent les héritiers exclusifs de l’humanisme occidental. Ils ont une immense responsabilité. Ils doivent choisir de bâtir un monde nouveau, avec des droits nouveaux. Ils doivent reprendre cette initiative française.

Je suis sollicité, nous le sommes et les ONG aussi : elles vont faire leur travail. Cette loi devra être soutenue par les chrétiens démocrates, les sociaux-démocrates, les écologistes de toute l’Europe. Parce que c’est une loi d’avenir, elle doit devenir une directive européenne, elle doit en inspirer une dans les meilleurs délais.

Nous souhaitons qu’en Europe comme en France on ne réponde pas par la candeur ou la peur à une mondialisation jugée parfois avec un peu de naïveté « heureuse » : nous devons absolument bâtir de nouveaux droits afin que ni les peuples ni le monde du travail ne désespèrent, ici comme ailleurs.

Je salue le monde de l’entreprise. Moi aussi, monsieur le ministre, il m’arrive souvent de rencontrer de grands capitaines d’industrie ou de commerce français, des responsables de services d’exportation : face-à-face, ils se montrent souvent bien plus ouverts à l’endroit de cette proposition de loi que ne le disent leurs représentants. Ils nourrissent donc en moi un certain espoir.

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