Intervention de Michel Piron

Séance en hémicycle du 29 novembre 2016 à 15h00
Sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Piron :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, notre assemblée est invitée à se prononcer une troisième fois sur cette proposition de loi, en nouvelle lecture. Le premier constat que l’on peut faire est que le Sénat est passé d’une position de rejet total du texte, en première lecture, à une position plus constructive en deuxième lecture. Les sénateurs ont en effet proposé une rédaction qui reprend partiellement les prescriptions de la directive du 22 octobre 2014, qui doit être transposée le 6 décembre prochain. Dans cette rédaction, la proposition de loi se limitait à imposer la publication d’informations non financières et relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes.

Sans surprise, les avis très divergents de nos deux assemblées n’ont pas permis de trouver un accord en commission mixte paritaire. Aussi, nous examinons aujourd’hui un texte proche de celui que notre assemblée avait adopté en deuxième lecture, en mars dernier. Il s’agit d’obliger un certain nombre de sociétés à établir, publier et mettre en oeuvre un plan de vigilance. L’article 2, supprimé par le Sénat, puis rétabli par notre commission des lois, lie la responsabilité de l’entreprise au non-respect de l’obligation légale relative au plan de vigilance. L’ambition et les intentions d’un tel texte sont très louables. Les accidents qui ont marqué ces quinze dernières années – le naufrage de l’Erika en 1999 et l’effondrement du Rana Plaza en 2013 étant parmi les plus visibles – ont démontré la nécessité d’améliorer le contrôle, par les grandes entreprises, des comportements de leurs partenaires économiques.

Pour autant, l’idée de responsabiliser les entreprises pour mieux prévenir les atteintes aux droits de l’homme et à l’environnement est loin d’être inédite. Mes chers collègues, reconnaissons-le, la prise de conscience ne date pas d’aujourd’hui. La France a déjà été, par le passé, l’initiatrice de réformes en matière de responsabilité sociale des entreprises. Je pense notamment aux exceptions au principe d’autonomie de la personnalité juridique admises en droit du travail, en droit commercial, en matière de pratiques anticoncurrentielles et en matière de fiscalité. Je pense également à la loi Grenelle II, qui a réussi à imposer l’idée de poursuites contre les sociétés mères en cas de pollution généralisée par l’activité d’une filiale. Je pense, plus récemment, s’agissant de la protection des droits fondamentaux des travailleurs, à la loi dite « Savary » de 2014. En matière de RSE, la France n’est pas restée inactive, loin de là.

Au niveau international, en 2011, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté des principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, que l’OCDE a renforcés à l’intention des multinationales. En outre, la Commission européenne encourage vivement les États à transposer ces instruments dans leur droit interne. La norme ISO 26 000 évoque la notion de sphère d’influence, qui dépasse la relation de contrôle ou de domination qu’une entreprise peut entretenir avec ses filiales et avec sous-traitants.

Bien entendu, en dépit de ces initiatives, nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation existante. Pour autant, la solution que vous proposez est-elle la bonne ? Va-t-on ainsi pouvoir empêcher de nouveaux drames en France et à l’étranger ? Hélas, à nos yeux, non. Je dis bien : « hélas », car, aucun pays ne prévoyant une législation aussi étendue en matière de responsabilité des entreprises, la réforme proposée placerait la France dans une situation inédite en Europe. Penser qu’en légiférant ainsi, nous ouvrirons la voie au monde, n’est-ce pas manquer cruellement de réalisme ? En faisant le choix d’une réponse purement française, nous placerions nos entreprises dans une situation de concurrence insoutenable par rapport aux autres entreprises européennes.

C’est pourquoi nous reprochons également à cette proposition de loi son imprécision et son champ trop vaste. On peut craindre que ce texte ne soulève, en définitive, davantage d’interrogations qu’il n’apporte de réponses. La proposition de loi est d’ailleurs en contradiction avec la directive européenne de 2014 sur le reporting extra-financier et la vigilance raisonnée. Elle prévoit une obligation à la fois trop dure et trop large, éloignée des standards juridiques actuels.

L’autre point faible de cette proposition est de ne viser que des entreprises françaises, ou des entreprises d’au moins 10 000 salariés ayant une filiale en France.

Je rappelle, enfin, que l’esprit de la RSE est fondé sur la prise de responsabilité, l’initiative et la démarche volontaire. La plupart des entreprises françaises se sont ainsi dotées de chartes éthiques ou adhèrent volontairement à des initiatives publiques ou privées en vertu desquelles elles s’engagent à mettre en oeuvre des principes extra-financiers. Ne trahissons pas cet esprit en contraignant les entreprises à mettre en place un plan de vigilance illusoire. Encourageons plutôt les démarches volontaires. Pour l’ensemble de ces raisons, et pour elles seules, la majorité du groupe UDI s’opposera à ce texte.

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