Intervention de Justin Vaïsse

Réunion du 23 novembre 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Justin Vaïsse, directeur du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie au Ministère des affaires étrangères et du développement international, sur les conséquences des élections américaines :

Mme Dagoma m'a interrogé sur les accords commerciaux. En ce qui concerne le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), je pense qu'il est mort. Même si les négociations se poursuivaient, je ne vois pas très bien comment elles pourraient aboutir, tant c'est orthogonal avec la position du Président. Est-ce une opportunité pour la Chine ? Oui. Précisément, il est bien beau de dire : « America first », mais quel est l'intérêt national américain ? Est-ce de se retirer d'un accord commercial et de laisser ainsi la Chine avancer ? Est-ce de renoncer à protéger la Corée du Sud et le Japon et de les encourager ainsi à se doter de l'arme nucléaire ? Revendiquer en vitupérant l'intérêt national me semble complètement apolitique. Dès lors qu'il existe des contradictions dans son programme, la politique exige qu'il tranche. Quelle ligne va-t-il choisir ? Entériner les avancées russes en Crimée ou ailleurs permettrait peut-être de régler un certain nombre de problèmes, mais quels en seraient les effets sur l'ordre mondial ? On a vu les conséquences du début de retrait du Moyen-Orient décidé par Barack Obama. Je suis toujours sceptique lorsque des politiques annoncent qu'ils défendront l'intérêt national, car cela suppose de faire des choix qui produisent des effets à la fois positifs et négatifs.

S'agissant de l'Afrique, on sait – mais il est, là aussi, très difficile de savoir ce que Trump fera réellement – que l'aide au développement et la collaboration avec les organisations multilatérales en faveur du développement de l'Afrique ne sont pas sa tasse de thé. C'est « la Corrèze avant le Zambèze », en quelque sorte. Il s'agit là de l'un des piliers de sa pensée, de sorte qu'il est fort probable que, sous sa présidence, la réticence des républicains envers l'aide au développement sera renforcée. Je remarque, par ailleurs, que l'ensemble des régimes autoritaires africains – mais c'est vrai également pour le reste du monde – se sont réjouis de l'élection de Trump, alors que les régimes démocratiques ont exprimé, au contraire, leur inquiétude. De fait, on peut légitimement s'inquiéter des signaux qui seront envoyés par les États-Unis aux dirigeants autoritaires qui souhaitent se maintenir au pouvoir.

Je ne sais pas qui sera le prochain ambassadeur des États-Unis en France. Si c'est un membre de son entourage, je doute fort qu'il soit francophone. Mais le fait de ne pas parler la langue du pays dans lequel on est en poste – et c'est le cas de beaucoup d'ambassadeurs – n'empêche pas d'être un bon diplomate.

Je n'ai pas non plus d'informations précises sur la question de l'extraterritorialité. Mais il est certain que l'on peut être inquiet, et le Quai d'Orsay y est très attentif, quant à la question de l'exemption de visa. L'« extreme vetting » promis par Trump est, depuis le 11-septembre, un thème récurrent des discours des républicains, qui estiment que l'exemption de visa peut être un moyen pour des terroristes, des Français musulmans radicalisés par exemple, de s'infiltrer aux États-Unis.

Monsieur Myard, je suis tout à fait d'accord avec vous sur l'importance du rejet dont fait l'objet Mme Clinton, que j'ai souligné dans mon intervention liminaire, et sur la coexistence de plusieurs politiques étrangères américaines. Si je crains que l'administration Trump soit chaotique, c'est précisément parce qu'on peut douter de la capacité du Conseiller à la sécurité nationale et du Chief of staff, habituellement chargés d'unifier ces cinq ou six politiques différentes, à s'imposer, par exemple, face au général Mattis, de sorte que l'on pourrait revivre les premières heures douloureuses de l'administration Reagan. La cacophonie est inévitable ; il s'agit de savoir dans quelle mesure elle sera maîtrisée. D'autant que le Président, qui utilise beaucoup Twitter pour s'adresser directement aux Américains – ce mode de communication a d'ailleurs été largement interdit à Obama par les services de la Maison blanche – n'hésite pas à contredire ses subordonnés, si bien que des membres particulièrement zélés de l'administration pourraient se servir des déclarations du Président pour mettre en oeuvre des politiques bien plus radicales qu'il ne le souhaite peut-être lui-même.

En ce qui concerne l'américanophilie de l'actuel gouvernement, je peux témoigner de ce que j'observe depuis que je travaille au Quai d'Orsay. Je remarque que si Trump décidait de revenir sur la coopération des États-Unis avec la France dans le cadre de nos opérations en Afrique, nous serions fort ennuyés, car aucun autre pays – je pense à la Russie – ne pourrait remplacer l'aide qu'il nous apporte dans la défense de nos propres intérêts en Afrique. Mais, dans d'autres dossiers, je ne constate aucune américanophilie, au contraire. Sur la Syrie, par exemple, les initiatives d'Obama ont suscité beaucoup d'hostilité.

Monsieur Dupré, toutes les analyses montrent que les électeurs les plus pauvres ont voté Clinton, et non Trump. Cela ne se vérifie pas forcément au plan local : peut-être n'était-ce pas le cas du bureau de vote de Floride où vous vous êtes rendus. En réalité, l'Amérique profonde a été divisée mais, là où le chômage est le plus important, on a davantage voté Clinton. Le phénomène Trump ne s'explique pas uniquement par la pauvreté et le chômage.

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