Intervention de Axel Poniatowski

Séance en hémicycle du 1er décembre 2016 à 9h30
Ratification du protocole au traité de l'atlantique nord sur l'accession du monténégro — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAxel Poniatowski :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, il nous est soumis aujourd’hui, à l’ordre du jour de notre assemblée, la ratification du protocole au traité de l’OTAN sur l’accession du Monténégro. Si je pense, la plupart du temps, qu’un processus d’adhésion est toujours plus positif qu’un mouvement de gel ou de sortie, comme en a témoigné l’actualité européenne récente avec le Brexit, cette adhésion-là me semble relever davantage de l’erreur politique et de la faute morale.

Une erreur politique d’abord, car, contrairement à la présentation qui en est faite, l’adhésion du Monténégro à l’OTAN ne renforcera pas économiquement ce dernier ni ne protégera ou ne stabilisera davantage les Balkans, et ce, pour plusieurs raisons.

En premier lieu, parce que cette démarche accueille peu d’adhésion populaire de la part des Monténégrins. Bien au contraire, elle ne fait que renforcer et aviver une opposition frontale et parfois violente entre partisans et opposants, au point que 30 % de la population affiche une opposition irréductible à l’adhésion. Cette question a même été un des thèmes de campagne principal des élections municipales de mai 2014, alors qu’à l’évidence, cela n’a rien de municipal. Le souvenir du bombardement meurtrier des Alliés au nord du pays, lors des opérations au Kosovo en 1999, reste encore vif. Par ailleurs, le coût induit par la participation à des opérations lointaines avive les tensions, alors que ces interventions ne sont pas perçues par les Monténégrins comme prioritaires dans un pays dont la situation économique reste fragile. En cas de référendum, selon un rapport du Sénat français, 42 % des électeurs voteraient pour l’intégration tandis que 41 % s’y opposeraient.

Cette adhésion n’est pas facteur de stabilisation dans les Balkans non plus, en raison de la provocation qu’elle constitue vis-à-vis de la Russie. « Provocation », c’est tout simplement le mot qu’a utilisé le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Il n’est d’ailleurs pas à exclure que le soutien inconditionnel des États-Unis à l’adhésion du Monténégro soit directement indexé sur le niveau de crispation que cela provoque en Russie. Cette adhésion ne contribue ni plus ni moins qu’à céder à la pression des États-Unis visant à humilier un peu plus la Russie, dans un contexte international qui, pourtant, indique le manque total d’opportunité de cette démarche.

En troisième lieu, cette adhésion ne stabilisera en rien le Monténégro sur le plan intérieur, notamment en matière économique. Au-delà de l’instabilité politique actuelle et du fléau endémique de la corruption qui gangrène le pays, j’y reviendrai, la provocation que constitue cette adhésion vis-à-vis de la Russie suscitera une vive réaction des acteurs économiques et des investisseurs russes dans le pays, voire, ni plus ni moins qu’un retrait des intérêts russes du Monténégro. Or, je tiens ici à rappeler que la Russie demeure le premier investisseur au Monténégro. Les investissements directs russes représentaient, à titre de référence, 162 millions d’euros en 2012, soit plus du quart de tous les investissements directs étrangers perçus par le pays. Cette tendance s’est confirmée en 2013, avec 140 millions d’euros investis. En revanche, depuis 2015, ces investissements chutent, avec pour conséquence un effondrement des prix de l’immobilier de 15 %. Cette tendance ne fait que s’accentuer, en raison de la raréfaction des acheteurs russes. L’adhésion du Monténégro à l’OTAN ne viendrait qu’aggraver une évolution déjà lourde et inquiétante économiquement pour le pays. De même, les Russes représentent plus du quart des touristes au Monténégro, tourisme facilité par un accord bilatéral de libéralisation des visas signé entre les deux pays. Le refroidissement inéluctable des relations avec la Russie, engendré par cette adhésion, ne sera, à l’évidence, pas sans incidence sur ces secteurs économiques, le seul secteur du tourisme pesant pas moins de 10 % du PIB du Monténégro.

Une opinion publique profondément divisée, une déstabilisation des relations avec la Russie, pourtant premier investisseur économique dans le pays et dans la région : on est bien loin de la promesse de stabilisation du pays et des Balkans, au travers de ce processus d’adhésion, qui constitue donc bien là une erreur politique majeure.

Mais s’il ne s’agissait que de cela ! Au-delà de l’erreur politique, c’est une faute morale que nous sommes en train de commettre. En autorisant le Monténégro à adhérer à l’OTAN, nous fermons les yeux, et donc tolérons des pratiques inconcevables à l’échelle d’un État. Un mal ronge les fondements mêmes de ce pays : je parle évidemment du crime organisé et de la corruption. Les gangs et les cercles criminels sont toujours aussi influents qu’après la fin de la guerre. Il s’agit d’une terre de trafics : on sait désormais que les kalachnikovs ayant servi à l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015 venaient du Monténégro. Mais, presque plus grave, la lutte contre cette criminalité rampante est rendue quasiment impossible par le degré de corruption du système judiciaire et de l’appareil politique. M. Djukanovic lui-même a été maintes fois impliqué dans des affaires de corruption. En 2009, par exemple, il évita de justesse, du fait de son immunité politique, la mise en examen par la justice italienne pour son implication dans un trafic européen de cigarettes. Cette collusion entre l’État et les réseaux criminels révèle une véritable mafia d’État construite autour de la famille de Milo Djukanovic. Ce dernier est également suspecté d’avoir perçu plusieurs dizaines de millions d’euros dans le scandale des télécoms monténégrins, sans oublier le fait qu’il a ouvertement accordé 44 millions d’euros à la première banque du pays, propriété de son frère, seule institution financière à avoir reçu une aide publique pendant la crise financière de 2008. Le journal britannique The Independent estimait, en 2010, que M. Djukanovic était le vingtième dirigeant le plus riche du monde. Mais j’ai probablement l’esprit mal tourné à l’égard d’un pays si riche et qui pourtant, en termes de PIB par habitant, se situe entre le Botswana et l’île de la Dominique. Cherchez l’erreur !

Car cela ne s’arrête pas là. En 2013, c’est un scandale d’achat de voix au moyen de deniers publics qui éclate à l’occasion des élections nationales. De nouvelles accusations similaires ont émergé cette année, lors des élections législatives. Je rappelle simplement que les dernières élections d’octobre 2016 auront permis au parti de M. Djukanovic, le Parti démocratique des socialistes – PDS –, de remporter les élections législatives pour la neuvième fois consécutive depuis 1991 !

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