Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 7 décembre 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

À mon tour, je tiens à faire part de mon admiration à M. Saint-Amans pour sa connaissance du sujet, et pour l'enthousiasme qu'il manifeste. Cela prouve que l'on peut être passionné par les affaires fiscales – ce qui n'est pas mon cas, surtout au moment de déclarer mes impôts !

Trois questions me préoccupent, deux concernent les États-Unis, une l'Europe.

Les États-Unis ont bâti leur système par une série d'accords bilatéraux. Ils ont bilatéralisé le jeu, et en usant du rapport de force, ils ont forcé les États qui ne le voulaient pas – notamment la Suisse – à entrer dans des systèmes de déclaration automatique, souvent déséquilibrés puisqu'ils ne prévoient pas de réciprocité. J'avais soulevé ce point ici même lorsque nous avions ratifié l'accord FATCA, convention fiscale qui n'est rien d'autre que la transposition d'une loi américaine, à la virgule près, dans le droit fiscal français. C'est sans précédent à ma connaissance. Il nous a été dit qu'une convention internationale suivrait l'adoption de ce texte, nous y sommes, mais les États-Unis n'en font pas partie.

Dans cette affaire, j'ai donc l'impression d'avoir été trompé deux fois. D'une part, dans une convention bilatérale, on nous refuse la réciprocité en prétendant que c'est pour la bonne cause – dans l'intérêt de la transparence et de la lutte contre la fraude fiscale. Nous avons donc signé un accord complètement déséquilibré. Mais lorsqu'une convention multilatérale impose l'échange d'informations, les Américains n'en sont pas partie. Tout ce qui nous a été dit à l'époque ne tient donc pas, et cela pose un gros problème.

Ma deuxième question porte sur le coeur de l'économie américaine aujourd'hui. Il ne s'agit plus de Boeing ou de General Electric, mais des GAFA – Google, Amazon, Facebook, Apple. L'industrie des hautes technologies gouverne le monde, et sur les vingt premières entreprises de ce secteur, quatorze sont américaines, six sont chinoises. Beaucoup d'entre elles ont des chiffres d'affaires supérieurs au PNB de certains pays européens, et vont décider de l'avenir des hommes. Tout cela se fait souvent sans contrôle des États, car ces entreprises sont plus fortes que nous.

Vous avez d'une certaine manière rappelé la règle « pas de taxation sans représentation ». C'est le fondement même des États. La seule façon d'obtenir un contrôle public de ces énormes entreprises est de rendre le reporting public, car la seule sanction possible, si Google triche ou pratique l'optimisation fiscale, est de le faire savoir à ses clients puisque les États n'ont pas de contrôle sur Google. Or, c'est justement ce qui est exclu de votre dispositif.

Il y a donc deux problèmes du côté des États-Unis : d'abord ils ne jouent pas le jeu au niveau multilatéral, ensuite la seule sanction possible contre les énormes entreprises qui sont en train de gouverner le monde aujourd'hui est la sanction du public, or cette dernière n'est pas possible, car l'information ne lui est pas donnée.

Enfin, ma troisième question concerne l'Europe, mais elle ne porte pas sur votre métier, plutôt sur le nôtre. Il faut mettre fin à la concurrence fiscale suicidaire entre États européens. Il n'est pas possible d'avoir une monnaie commune et des politiques sociales et fiscales différentes faisant le jeu de multinationales qui choisissent le moins-disant fiscal. On ne peut pas continuer comme ça. Ce type de questions devrait figurer parmi les enjeux de la campagne électorale pour les élections présidentielles. On ne peut pas continuer à voir les multinationales américaines telles que Google décider de payer l'impôt en Irlande alors qu'elles gagnent énormément d'argent en France, en Allemagne ou dans les grands pays.

Comme Mme Guigou, je vous tire mon chapeau et je reconnais qu'un certain nombre de progrès importants sont faits pour contrôler la mondialisation en matière fiscale. C'est bien, mais l'acteur principal ne joue pas le jeu – les Chinois et les Russes non plus – et l'Europe n'est toujours pas en ordre de marche pour gérer ces problèmes. Les conventions fiscales sont bien belles, mais elles ne règlent pas notre problème.

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