Intervention de Thierry Philipponnat

Réunion du 5 février 2013 à 12h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Thierry Philipponnat, secrétaire général de Finance Watch :

Je rappelle que l'application de ce rapport aurait un impact vingt-cinq à trente fois plus important que celle du projet de loi. Liikanen prévoit clairement une séparation de ces activités. Au passage, dans la loi française, on parle de « prestations de service d'investissement ». Or de telles prestations conduisent toujours à coter un instrument financier.

Vous affirmez que Liikanen et Vickers ne disent pas du tout la même chose. Mais ils se rejoignent sur deux points que nous jugeons essentiels : la tenue de marché doit être séparée, et en cas de résolution, tous les apporteurs de capitaux doivent assumer les pertes. Sur ces deux points, les deux rapports sont tellement proches que l'on peut considérer qu'ils disent la même chose. En revanche, le projet français est très différent, et en particulier, il n'instaure pas une séparation de la tenue de marché. Dans l'état actuel du texte, il n'est donc pas vrai qu'il s'inspire du rapport Liikanen.

La cohérence avec la démarche européenne est fondamentale, mais j'ai entendu plusieurs fois la France exprimer son ambition de jouer un rôle précurseur. Pour cela, il faut avoir la volonté, l'envie, le courage d'être les premiers. Il est contradictoire de vouloir jouer les précurseurs et d'affirmer ensuite que l'on ne peut pas agir seuls. Certes, il ne serait pas illégitime d'attendre de savoir ce que fera l'Europe avant de se lancer dans une régulation. Mais on peut aussi affirmer des principes et aller de l'avant, à condition de prendre en considération ce qui se prépare au niveau européen. La Commission européenne a indiqué son intention de faire une proposition législative sur la base du rapport Liikanen au troisième trimestre de cette année. Il faut s'attendre à de nombreux débats et opérations de lobbying sur le sujet, mais en ce qui concerne la séparation des activités bancaires, on peut d'ores et déjà voir se dessiner une tendance, inspirée par le groupe Liikanen. Quant à la résolution bancaire, la directive est déjà sur la table et nous en connaissons le contenu. Il est donc possible pour la France de se montrer un précurseur tout en allant dans le sens de la future réglementation européenne – quitte à mettre en oeuvre les nouvelles mesures quand cette réglementation sera effectivement adoptée.

Vous affirmez que les Britanniques n'appliqueront jamais ce qu'ils prétendent vouloir adopter. C'est un argument que j'entends souvent, et il est vrai que 2019 est une date très éloignée. Il n'en demeure pas moins que le contenu du projet britannique sur les deux questions de la séparation et de la résolution est infiniment plus substantiel que celui du projet français.

Ce qui frappe, dans le projet de loi, c'est le décalage entre l'exposé des motifs et le contenu des articles : on affirme vouloir réformer l'organisation bancaire, mais on ne le fait qu'à moitié. Inversement, les Britanniques prétendent aller jusqu'au bout, tout en prévoyant une entrée en vigueur tellement éloignée qu'il est à craindre qu'elle n'ait jamais lieu. Je ne sais pas ce qui en résultera. Je ne prétends pas, de toute façon, que le problème soit simple et puisse trouver une solution d'un coup de baguette magique. Pour tenir compte de cette complexité, il est d'ailleurs envisageable de prévoir une période d'adaptation relativement longue. Mais une chose me semble sûre : il est peu probable que le gouvernement britannique s'apprête à adopter des mesures susceptibles de saboter son industrie bancaire. Au vu de son projet, on peut donc conclure que ni la séparation stricte des activités, ni l'adoption d'un nouveau régime de résolution n'auraient cet effet.

En ce qui concerne les créanciers seniors, j'ai demandé à des spécialistes de l'émission de dette obligataire si les banques françaises pourraient, aujourd'hui, émettre de la dette faisant l'objet d'une résolution. On m'a répondu qu'il n'y aurait pas de problème. Certes, le surcoût serait de quelques dizaines de points de base : je ne cherche pas à le nier. Mais c'est l'éternel débat sur l'équilibre entre l'intérêt général et les intérêts privés : est-ce que certains intérêts privés méritent vraiment que le contribuable continue à être exposé ?

S'agissant de la Grèce, je suis d'accord avec vous pour affirmer que dans l'urgence, il est essentiel de prendre les bonnes décisions de sorte que les capitaux puissent continuer à arriver. Mais sur le long terme, il est temps de sortir de ce système absurde dans lequel, faute de voir satisfaites toutes ses exigences, le marché finit par nous étrangler. Le rôle de la loi n'est-il pas justement de poser les conditions d'une moindre dépendance de la puissance publique aux demandes des marchés ?

À ma connaissance, aucun pays ne prévoit les mesures de transparence que nous préconisons au sujet des paradis fiscaux. Sur ce point, vous avez raison. Et toutes les banques sont présentes dans ces pays, les banques étrangères n'étant à cet égard ni plus, ni moins vertueuses que les françaises. Mais si nous refusons d'agir tant que personne ne fera un pas, nous n'irons jamais plus loin. En tant qu'organisation non gouvernementale, nous sommes contraints de rappeler que l'arbitrage réglementaire et l'évasion fiscale ne sont pas souhaitables, et que la transparence est facteur de vertu.

Les arguments techniques opposés par le président et Mme Rabault sur le poids respectif de la finance en France et aux États-Unis sont parfaitement fondés. Il est vrai que les produits dérivés ne sont pas comptabilisés de la même façon en Europe et aux États-Unis. Pour les plus gros book, l'écart peut aller du simple au double. Mais là n'était pas mon propos.

Ce que je veux dire, c'est qu'en raison du poids considérable des banques dans l'économie française, le contribuable français devra payer si un problème survient. Les banques américaines présentes sur le marché des dérivés ne sont que quatre ou cinq – JP Morgan, City Group, Morgan Stanley, Bank of America et Goldman Sachs – sur les milliers d'établissements que compte le pays. La structure bancaire des États-Unis est très atomisée, alors qu'elle est très concentrée en France, ce qui explique la disproportion observée chez nous, même si, en tenant compte des différences de normes comptables, le rapport ne serait probablement plus de un à cinq, mais plutôt de un à deux ou de un à trois.

Vous avez évoqué, monsieur le président, la part importante de la tenue de marché concernant les entreprises bancaires. On pourrait trouver des milliers d'exemples de transactions qui, bien que réalisées avec des clients, n'ont pas selon nous vocation à être nourries par des dépôts. Ainsi, le « carry trade » vendu à un hedge fund de façon à arbitrer entre des devises est une activité utile au sens du projet de loi. Pour notre part, nous ne souhaitons pas l'interdire, car nous sommes favorables à la liberté économique, mais nous pensons que les dépôts ne devraient pas alimenter l'arbitrage de devises auprès des hedge funds.

On m'a demandé mon avis sur la tenue de marché. Je souscris totalement à l'analyse livrée ici même, il y a une semaine, par M. Oudéa : dans la réalité, il est très difficile de distinguer l'action du teneur de marché visant à bénéficier des décalages de cours et ce qui relève du service au client. Dans l'absolu, la tenue de marché consiste à coter un prix acheteur et un prix vendeur, la différence de cours permettant de faire un bénéfice. Dans la réalité, on achète une valeur mobilière, on la tient pendant une certaine durée, et l'évolution de cours pendant cette période entraîne un gain ou une perte.

Aux États-Unis, la Volcker Rule tente justement de distinguer la pure rémunération de service au client et les effets des décalages de cours, mais les Américains ont fini par se perdre dans ce débat, et le projet initial, qui faisait trente pages, en comprend désormais 250. En effet, dans la réalité, il est normal qu'un teneur de marché bénéficie ou pâtisse des décalages de cours. Tenter d'opérer une distinction ne mène donc nulle part. Les deux activités sont selon nous de la même nature, et c'est pourquoi nous pensons qu'elles doivent toutes les deux faire l'objet d'une séparation.

Mme Rabault m'a demandé mon avis sur les causes de la crise de 2008, sans doute pour me faire dire que le trading n'était pas en cause…

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