Intervention de Thierry Philipponnat

Réunion du 5 février 2013 à 12h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Thierry Philipponnat, secrétaire général de Finance Watch :

Prôner la séparation entre banque commerciale et banque de marché revient à se poser deux questions : que va-t-on mettre de chaque côté, et quelle sera la structuration juridique ? On peut choisir entre trois modèles différents : la filialisation, pour laquelle opte le projet de loi, la holding ou la séparation en deux entités complètement différentes.

Il n'est pas simple de choisir entre la holding et la division entre maison-mère et filiale. Notre première préoccupation est de mettre quelque chose dans cette filiale – car aujourd'hui, il n'y a rien –, et la deuxième, d'assurer un certain niveau d'étanchéité entre mère et fille. Si ces deux conditions sont remplies, alors la réforme acquiert un sens.

J'en viens à la notion de présence permanente sur les marchés. Il existe plusieurs formes de market making : l'une, très simple, consiste à acheter ou vendre des actions ou des obligations d'État, mais elle ne représente qu'une petite partie de l'activité des salles de marché. Le plus gros volume de cette activité, et de loin, concerne l'activité portant sur les produits dérivés. Or le marché des dérivés, dont les banques françaises sont des acteurs majeurs, représente douze fois le montant du PIB mondial, et les engagements de certaines grandes banques françaises en notionnel sous-jacent, jusqu'à vingt-cinq fois le produit intérieur brut national.

Toutes ces activités, réalisées de gré à gré, consistent à échanger le droit d'acheter tel actif à tel prix pendant tant de temps. Or dès l'instant où une banque vous vend un tel produit, elle devient votre market maker – puisque l'on est dans le gré à gré –, alors même qu'elle n'est pas présente de façon continue sur le marché. C'est pourquoi une telle activité sera exemptée de l'obligation de séparation.

Avec la définition que le projet de loi donne du market making, les positions sur produits dérivés de crédits qui ont entraîné la faillite de la banque AIG à Paris auraient été qualifiées d'utiles : ces gens-là ont vendu pour 3 milliards de dollars de produits dérivés over-the-counter dont ils étaient market makers. Voulons-nous vraiment que le soutien de l'État nourrisse une telle activité ?

L'effet de la transparence sur la compétitivité de nos établissements bancaires est une question légitime. Mais c'est aussi une affaire d'éthique : la France veut-elle promouvoir des banques qui parviennent à être compétitives en trichant ? Certes, elles ne sont pas les seules à le faire, mais les paradis fiscaux servent avant tout à gagner de l'argent par l'arbitrage réglementaire et l'évasion fiscale.

Comme vous pouvez l'imaginer, Finance Watch a fait l'objet de nombreuses critiques, mais je n'avais encore jamais entendu que notre association soutenait le modèle Goldman Sachs. Une telle accusation est tellement surréaliste que je ne sais même pas par quel bout la prendre.

On nous reproche souvent de vouloir abîmer les activités de marché. Le marché financier est utile, je le reconnais, mais seulement quand il est liquide et que ses acteurs sont diversifiés. Or la structure des marchés européens est moins liquide que celle des marchés américains qui – si l'on met de côté le cas emblématique de Goldman Sachs – sont caractérisés par la présence d'une multitude d'acteurs très différents. À l'inverse, les acteurs européens sont oligopolistiques, parce qu'ils sont bâtis sur le modèle de la banque universelle soutenue par l'État. La concentration y est phénoménale, et les rares acteurs font tous la même chose au même moment. Au contraire, un marché très atomisé favorise la liquidité.

Je ne crois pas que nous soutenons le modèle de Goldman Sachs, mais ce qui est sûr, c'est que le modèle de la banque universelle oligopolistique et bénéficiant du soutien public ne contribue pas à la liquidité des marchés.

Par ailleurs, je suis heureux, madame Mazetier, d'apprendre que vous avez la volonté d'améliorer la transparence.

Nous sommes prêts à aider les parlementaires à rédiger des amendements. Si nos compétences techniques peuvent être utiles, c'est avec plaisir que nous les mettrons à votre disposition.

Vous avez employé le terme « abhorrer ». Chez Finance Watch, ce que nous abhorrons, c'est le détournement de l'intérêt général au profit des intérêts privés. Certes, les intérêts privés sont légitimes, et d'ailleurs indispensables pour faire tourner l'économie, mais ils deviennent néfastes quand ils tendent à capturer l'intérêt général. C'est ce qui est arrivé avec les produits dérivés, qui sont le plus important vecteur d'interconnexion des banques entre elles, et donc le principal facteur de fragilisation du système. S'ils continuent à se développer, au point d'atteindre des proportions n'ayant plus rien à voir avec l'économie réelle, c'est tout simplement en raison du soutien implicite qu'ils reçoivent de la part de la puissance publique.

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