Intervention de Germinal Peiro

Réunion du 20 décembre 2016 à 17h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGerminal Peiro, rapporteur :

Mon collègue et ami Antoine Herth et moi-même avons le plaisir de vous présenter, deux ans après la promulgation de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt du 13 octobre 2014, le rapport d'information sur sa mise en application.

Deux ans après la promulgation d'une loi, on attend du Gouvernement que l'ensemble des décrets nécessaires à son application aient été publiés, dans le respect de l'intention du législateur. Nous nous souvenons tous du parcours de ce projet de loi : déposé en 2013 et initialement composé de 39 articles, il est ressorti de la discussion fort de 96 articles, après qu'aient été adoptés 1 769 amendements en première lecture et 1 340 en deuxième lecture, et cela pour la seule Assemblée nationale. Ces 96 articles nécessitaient 103 mesures réglementaires d'application, dont 72 décrets simples et 31 décrets en Conseil d'État, dont la procédure d'adoption est plus longue. À ce jour, 62 décrets ont été publiés, mettant en oeuvre 70 mesures réglementaires prévues par la loi et 26 mesures réglementaires d'application non explicitement prévues par cette même loi. La plupart de ces décrets ont été publiés dans l'année suivant la promulgation de la loi, certains l'étant le jour même de cette promulgation.

Les textes d'application de la loi ont été publiés à hauteur de près de 75 %, étant précisé qu'à l'exception notable de l'important décret sur le registre des actifs agricoles, l'essentiel des décrets relevant du ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la pêche a été publié. Plusieurs de ceux relevant du ministère des affaires sociales et de la santé manquent à l'appel.

Le rapport est organisé en sept parties, correspondant aux sept titres de la loi. Les trente et une auditions menées de juillet à novembre nous ont permis de cibler notre analyse sur trente-trois thématiques.

En ce qui concerne le titre Ier, relatif à la performance économique et environnementale des filières agricoles et agroalimentaires, sept thématiques sont explorées : les groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE), les groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC), les coopératives, les interprofessions, les relations commerciales, les espaces d'information périodique gratuite pour les interprofessions et les garanties de l'origine et de la qualité.

Ce titre est la traduction législative du fil conducteur de l'esprit de l'ensemble de la loi : la double performance économique et environnementale de la filière agricole et agroalimentaire. Cela passe par le développement des formes collectives d'agriculture, par l'attention à la qualité des productions et aux territoires auxquels elles se rattachent.

La loi prévoit l'adaptation des interprofessions et des rapports entre chacun des maillons de la filière en vue d'améliorer les relations commerciales et la répartition de la valeur ajoutée.

Nous vous renvoyons au rapport pour le détail des décrets publiés mais, pour ce titre, quatre décrets manquent. Le cabinet du ministre a donné le détail de l'avancement de ces mesures réglementaires. Pour trois d'entre elles, le processus est bien avancé. Pour la quatrième, concernant les campagnes d'information périodique gratuite à la radio et télévision publiques pour les interprofessions des produits frais, le Gouvernement a déclaré qu'il y était opposé, et n'a pas prévu de publier ce décret.

Nombre de mesures s'appliquent efficacement, en particulier lorsque les décrets ont été publiés rapidement.

Les GIEE sont un succès : on en compte 311, engageant plus de 4 000 agriculteurs sur une surface agricole utile de plus de 300 000 hectares. Le cadre de leur création est relativement souple et les thématiques retenues très larges. Un effort peut néanmoins être poursuivi sur la communication qui les accompagne et la fréquence des appels à projets régionaux.

Le cadre juridique des GAEC a été sécurisé et ils bénéficient désormais du principe de transparence économique, qui permet à leurs membres de conserver les droits auxquels ils auraient pu prétendre s'ils étaient restés exploitants individuels. On en dénombre 45 000, contre 36 000 lors du dépôt du projet de loi. Il s'agit d'une formule très pertinente qui permet de répondre aux contraintes liées au nombre important de petites exploitations, même s'il est indéniable que la hausse du nombre de GAEC est aussi le résultat de la transformation d'entreprises agricoles à responsabilité limitée (EARL), dont la formule juridique est devenue moins intéressante.

Les coopératives agricoles ont fait l'objet d'un grand nombre de critiques relatives au manque de transparence de leur fonctionnement et, de ce fait, à l'éloignement des associés coopérateurs des organes dirigeants de leur coopérative. Même si les conditions de rémunération des associés suscitent encore des critiques, la transparence s'est accrue. Le conseil d'administration et le directoire transmettent davantage d'informations et l'application des principes coopératifs – valeurs initiales des coopératives – est mieux contrôlée par le Haut Conseil de la coopération agricole et par la nomination d'un médiateur de la coopération agricole, encore peu sollicité toutefois.

Les interprofessions se sont mises en conformité avec le droit européen. Elles ont efficacement amélioré la représentativité de leurs structures, en particulier le pluralisme syndical. Même si quelques recours sont en cours, émanant souvent de la Coordination rurale et de la Confédération paysanne, l'extension obligatoire à l'ensemble d'un secteur des accords professionnels passés au sein de l'interprofession améliore l'ensemble d'une filière.

Plusieurs mesures se sont révélées constituer des progrès encore insuffisants : il en est ainsi des relations commerciales entre des producteurs atomisés face à la concentration de la grande distribution et la force de négociation des industriels de l'agroalimentaire. La contractualisation et les regroupements de producteurs se mettent en place, mais difficilement. Le médiateur des relations commerciales considère que les contrats ne remédient pas aux déséquilibres, en particulier lorsqu'ils sont très longs. Nombre de professionnels appellent de leurs voeux une plus grande souplesse dans la contractualisation. Le problème vient en fait aussi de la faible organisation des producteurs : souhaitée par tous, elle peine cependant à décoller dans certains secteurs. Le processus d'encouragement au regroupement doit se poursuivre et, d'ailleurs, la loi Sapin II, promulguée le 9 décembre dernier, devrait améliorer les relations contractuelles.

En ce qui concerne le titre II, relatif à la protection des espaces naturels, agricoles et forestiers et au renouvellement des générations, l'intention du législateur était non seulement de protéger les espaces agricoles, mais aussi d'étendre la protection aux espaces naturels et forestiers, tout autant menacés par l'artificialisation des terres. Le foncier agricole est mieux géré et protégé par la création d'une nouvelle obligation de compensation des réductions de surfaces agricoles et des externalités économiques qui leur sont liées. Le décret sur cet article n'a été pris que le 31 août de cette année. Il est vraiment trop tôt pour en évaluer les effets, mais on peut d'ores et déjà relever que le nombre de projets concernés sera réduit, puisque trois critères cumulatifs sont requis : les projets doivent être soumis à l'étude d'impact environnementale, ils doivent être situés dans une zone strictement définie et le projet, sous réserve d'une décision du préfet, doit représenter une surface supérieure à cinq hectares. En outre, la portée de l'évaluation est incertaine, en particulier sur la teneur des mesures compensatoires à prendre et leur contrôle.

L'Observatoire des espaces naturels, agricoles et forestiers (OENAF, anciennement ONCEA) renforce les mesures permettant de limiter la consommation des espaces non urbains face à la pression urbanistique. Au niveau local, les commissions départementales des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF, anciennement CDCEA) sont compétentes sur une plus grande partie du territoire et associent de très nombreux acteurs des territoires, notamment les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) et l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), qui ne se privent pas de participer à ces commissions. Manque néanmoins l'important décret relatif aux notions de réduction substantielle des surfaces affectées à des productions bénéficiant d'une appellation d'origine protégée (AOP) et d'atteinte substantielle aux conditions de leur production.

Le renouvellement des générations d'agriculteurs est au coeur de la loi : la transmission et l'installation sont favorisées. Ces objectifs guident l'action renforcée des pouvoirs des SAFER et le contrôle des structures. Le droit de préemption des SAFER est étendu et le nouveau schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) devient l'alpha et l'oméga des orientations agricoles régionales, en particulier pour la détermination des seuils au-delà desquels une autorisation d'exploiter est requise. Le décret sur les SDREA a été tardivement publié, notamment du fait de la réforme territoriale concomitante. Cependant, seuls deux schémas manquent à l'appel à ce jour.

Il est à noter que les mesures prévues dans la loi d'avenir ont rapidement révélé des faiblesses par la facilité de leur contournement, comme on l'a vu avec des investissements chinois dans l'Indre. La loi Sapin II en tirait les conséquences en prévoyant d'empêcher les montages sociétaires purement spéculatifs – un coup d'épée dans l'eau, puisque le Conseil constitutionnel a censuré ces articles considérés comme des cavaliers législatifs. Cependant, tout n'est pas perdu, puisque le rapporteur Dominique Potier présentera prochainement une proposition de loi reprenant ces dispositifs.

Par ailleurs, les aides à l'installation et à la transmission sont appuyées par des contrats de génération et un parcours d'installation dynamisé, le tout avec l'appui des chambres d'agriculture. La principale source de préoccupation des personnes auditionnées concerne le registre des actifs agricoles qui est au point mort, faute de décret. Il doit permettre de mieux cibler les aides aux agriculteurs en les réservant aux agriculteurs actifs, mais la consultation des professionnels menée par le ministère révèle des divergences d'attentes, et surtout une grande méfiance sur les conséquences économiques et sociales du registre.

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