Intervention de Paul Giacobbi

Séance en hémicycle du 8 décembre 2016 à 15h00
Favoriser l'assainissement cadastral et la résorption du désordre de la propriété — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Giacobbi :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je vais vous parler de la Corse, même si la proposition de loi qui vous est présentée peut aussi s’appliquer à des situations similaires, ultra-marines ou continentales, plus fréquentes et plus dommageables qu’on pourrait le croire.

S’agissant de la Corse, nous abordons aujourd’hui une très vieille histoire puisqu’elle commence le 21 prairial de l’an IX, c’est-à-dire le 10 juin 1801, date à laquelle un certain André-François Miot, Conseiller d’État, administrateur général des départements de Corse, prend des mesures fiscales qui touchent au régime des successions en Corse. Du fait de la position exceptionnelle sur le plan administratif de cet « administrateur général », les mesures qu’il a prises, par délégation de l’État, ont un caractère législatif.

Sur le plan fiscal, ces mesures se voulaient, au moment où elles ont été prises, transitoires et pragmatiques. Il s’agissait d’adapter la fiscalité nationale des successions à la situation de la Corse, marquée par la prédominance, déjà, des indivisions patrimoniales et des successions orales.

Ces mesures étaient de deux ordres : d’une part, une règle particulière d’évaluation des immeubles sis en Corse pour l’application des droits de mutation à titre gratuit consistant en un forfait correspondant à cent fois le montant de la contribution foncière revenant à l’État, au lieu de la valeur vénale réelle à la date de la transmission ; d’autre part, la suppression de toute sanction en cas de défaut de déclaration de succession.

Mais comme il arrive souvent, la transition dure, voire s’éternise, et le raisonnable dégénère en perversion. De fait, en Corse, fort peu de gens ont transmis leurs biens immobiliers par voie de donation, tandis que l’intérêt s’attachant à l’absence de déclaration a favorisé le maintien de beaucoup de propriétés en indivision.

Aucun gouvernement n’ayant réussi à légiférer pour remettre de l’ordre, et ce jusqu’en 1999, la Cour de cassation a sanctionné toutes les tentatives administratives de pallier la carence législative.

Les lois portant dispositions particulières pour la Corse ont, en 1982 et 1994, expressément maintenu en vigueur ce régime fiscal spécifique.

Il faut que vous compreniez bien, mes chers collègues, que ce n’est pas un avantage qui a été accordé à la Corse. Une gestion patrimoniale où prédomine l’indivision entraîne tout à la fois un mauvais entretien des biens et l’impossibilité pratique d’en disposer. C’est presque une atteinte au droit de propriété ; c’est en réalité un handicap très lourd.

L’avantage serait, nous dit-on, une exonération qui représente sans doute une économie pour les propriétaires de biens immobiliers sis en Corse. Encore faut-il rappeler que le coût est probablement minime, se limitant, en réalité, à une exonération qui ne s’exerce que sur les successions importantes alors même que la plupart des successions sont, à raison de leur modestie, exonérées sur tout le territoire de la République. Je saisis d’ailleurs l’occasion pour réfuter énergiquement l’évaluation faite à plus de 20 millions d’euros. Je serais curieux d’en connaître la base de calcul car elle ne me paraît pas sérieuse. En revanche, le coût pour l’économie insulaire est, sans aucun doute, considérable et sans commune mesure en tout cas avec cet « avantage ».

Précédée par la loi de finances en 1999, c’est la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse qui a fixé un cadre pour le retour au droit commun, et c’est dans ce cadre que nous nous inscrivons encore. La loi de 2002 avait pour ambition de parvenir à un titrage des propriétés en Corse rendant possible un retour au droit commun. L’outil destiné à favoriser le titrage a été créé avec le groupement d’intérêt public GIRTEC.

Les difficultés de mise en oeuvre de la loi de 2002 ont été de deux ordres : le GIRTEC, du fait de la carence de l’État, n’a commencé à être opérationnel qu’en 2008 – personne ne s’y opposait en Corse, bien au contraire – ; sur le plan du droit civil, on n’a pas tiré les conséquences de la loi fiscale et, de ce fait, comme vient de le souligner Camille de Rocca Serra, les titrages du GIRTEC ne reposent pas sur des bases solides – n’importe qui peut les remettre en cause en réalité.

Par deux fois, le Parlement a voté – je m’en souviens car cela n’a pas été facile –, pour tenir compte du temps plus long que prévu de mise en place du GIRTEC et de la lenteur des règlements des situations d’indivision, des dispositions différant les délais instaurés en 2002. Par deux fois, le Conseil constitutionnel a sanctionné ces dispositions dans des décisions qui ne sont pas aussi compréhensibles qu’il y paraît et sur la base de raisonnements tout à fait contestables.

Par ailleurs, chaque fois que les députés de la Corse ont tenté d’adapter le code civil à la situation de l’île – Camille de Rocca Serra peut en témoigner tout autant que moi –, notamment pour faciliter le titrage des propriétés, le Gouvernement s’y est opposé, parfois avec une certaine arrogance, indiquant que l’on ne saurait modifier le code civil seulement « pour la Corse ».

Je signale au passage que le code civil me semble avoir pour origine quelqu’un qui était né à Ajaccio. Chacun devrait s’en souvenir !

De surcroît, chaque fois qu’il était question de la Corse – ce n’est plus le cas, ce qui constitue un immense progrès –, on voyait resurgir le fantasme d’une île jouissant de privilèges exorbitants, avec son cortège de contre-vérités, pour ne pas dire de relents d’a priori communautaires.

Aujourd’hui, après de longues discussions entre le Gouvernement et les députés de la Corse, après que l’Assemblée de Corse a débattu de notre proposition et l’a approuvée par délibération, nous vous proposons un texte équilibré, réaliste et déterminé, lequel mettra fin définitivement à plus de deux siècles de désordres et d’incurie, qui ont porté préjudice à l’économie de notre île.

Je tiens à rendre hommage au Gouvernement, qui a fait preuve d’une réelle volonté de sortir d’une impasse historique. Cher Jean-Michel Baylet, votre attachement à la Corse, bien connu des autres et de moi-même depuis longtemps, s’est concrétisé récemment dans la préparation des ordonnances relatives à la Corse et dans l’acceptation de ce texte par le Gouvernement.

Christian Eckert n’est pas présent parmi nous. S’il a su parfois, dans le domaine fiscal, modérer son enthousiasme, il n’en a que plus de mérite d’avoir très loyalement accepté de rouvrir le dossier avec la volonté déterminée d’aboutir. Sans cette volonté et sans la vôtre, cher Jean-Michel Baylet, nous n’aurions pas la possibilité d’un débat serein et la perspective d’une issue favorable.

Pour des raisons de calendrier, la proposition de loi a dû emprunter le chemin de ce que l’on appelle une « niche parlementaire », bien que je n’aime pas ce mot. Il faut en remercier le groupe Les Républicains qui en a accepté le principe, comme il a accepté que des coauteurs du texte puissent le signer, alors même que François Pupponi et moi-même sommes issus de la majorité de l’Assemblée.

Nous avons dû aller ad augusta per angusta, mais cette voie détournée témoigne au moins de ce que les uns et les autres se placent au-delà de tout esprit partisan.

Le texte sera débattu dans un instant. Malgré l’avis unanime de la commission des lois, je sais qu’il pourrait subsister des réticences de principe qui, curieusement, au nom du principe d’égalité, voudraient rendre son application à la Corse – c’est-à-dire le retour au droit commun – douloureuse, pour ne pas dire insupportable. Le cas échéant, notre groupe résistera, mais a priori je ne vois pas ici d’opposants au texte.

Je sais que tel ou tel pourrait éprouver la tentation de l’amender. Avec beaucoup de diplomatie, le ministre a désigné une position qui aurait pu avoir la faveur du Gouvernement concernant la durée de dix ans. Il l’a présentée avec habileté, mais il a conclu dans un sens favorable, qui me permet de me réjouir de l’absence d’amendement. Dix ans, ce n’est rien pour mettre fin à plus de deux siècles de désordre.

C’est la raison pour laquelle notre groupe défend le texte tel qu’il a été voté par la commission des lois, et considère que tout amendement serait à ce stade une rupture d’équilibre.

Nous avons aujourd’hui la possibilité de régler un problème pendant depuis deux siècles, un problème qui a empoisonné – le mot n’est pas trop fort – le rapport de la Corse avec l’ensemble français, un problème qui a entravé le bon développement de pans entiers de l’économie insulaire et de parties considérables de notre territoire.

J’invite tous les collègues présents à contribuer par leur vote à régler cette question et à passer à l’ordre du jour pour la Corse et pour l’ensemble du territoire national.

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