Intervention de Françoise Descamps-Crosnier

Séance en hémicycle du 8 décembre 2016 à 15h00
Autorités administratives et publiques indépendantes — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Descamps-Crosnier :

Madame la présidente, madame et monsieur les secrétaires d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, les deux propositions de loi, l’une organique, l’autre ordinaire, que nous examinons aujourd’hui sont dédiées aux autorités administratives indépendantes et aux autorités publiques indépendantes. En première lecture, la majorité a fait le choix d’accompagner ces textes pourtant portés par l’opposition. Elle l’a fait pour un ensemble de raisons que j’ai eu l’occasion d’exposer lors de la discussion générale.

En proposant un cadre d’ensemble pour ces autorités marquées à la fois par l’indépendance et la diversité, les deux propositions de loi conduisent utilement à une clarification de notre droit.

Depuis trente ans, les autorités indépendantes, qu’elles soient publiques ou administratives, apportent indéniablement une valeur ajoutée à nos politiques publiques en permettant, grâce à leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, de marquer les décisions qu’elles prennent du sceau de l’impartialité. Elles permettent donc à la puissance publique d’exercer plus facilement, et sans soupçon de parti pris, son pouvoir de régulation sur des secteurs parfois très sensibles, où les intérêts particuliers peuvent être singulièrement prégnants. Depuis trente ans, elles n’ont cessé de se multiplier, au point que la commission d’enquête sénatoriale sur le bilan et le contrôle de la création, de l’organisation, de l’activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes a pu considérer qu’elles formaient « un État dans l’État ».

Sans partager ce jugement, j’estime qu’il est temps de remettre de la clarté et de la lisibilité juridique. C’est en cela que notre groupe partage l’approche générale qui fonde ces deux propositions de loi. Mais j’ajouterai une autre raison au soutien de notre groupe. Depuis 2012, la majorité et le Gouvernement ont engagé une réforme globale – qui s’effectue par tranches – de l’organisation des pouvoirs publics dans notre pays.

Il en va ainsi de la réforme territoriale, qui trouvera son achèvement avec l’examen, la semaine prochaine, du projet de loi relatif au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain. Je pense également à la modernisation de l’action publique sous ses différents aspects qui ont été ponctués, là encore, de plusieurs chantiers législatifs et réglementaires. Pour mesurer l’importance des transformations engagées ces dernières années, il suffit d’évoquer les mesures prises en matière de simplification, l’ouverture des données publiques, avec la loi pour une République numérique, la suppression ou la fusion de nombreuses instances consultatives dont l’utilité n’était plus démontrée, la réforme des services territoriaux de l’État en lien avec la réforme territoriale, ou bien encore les lois relatives à la transparence de la vie publique.

À bien des égards, nous avons accompagné l’entrée de l’administration dans la modernité. Je pense aussi à la réforme de la fonction publique, portée par la loi du 20 avril 2016, et à d’autres mesures, comme le protocole d’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes de mars 2013 ou bien encore la nouvelle gestion des ressources humaines de l’État, engagée à la fin de l’année dernière et qu’il est essentiel de poursuivre et d’amplifier.

C’est donc bien un chantier d’ensemble qui a été mené depuis 2012 pour réformer et moderniser l’action publique. Ces deux propositions de loi viennent poser une nouvelle pierre à cet édifice de réformes, mené à son terme par le Gouvernement et la majorité. Pour cette raison aussi, nous continuons de souscrire aux objectifs visés par ces deux textes.

En première lecture, nous avions utilement amendé la version issue du Sénat. Cette dernière, inspirée par le rapport de la commission d’enquête, portait une proposition que d’aucuns estimeraient radicale. Je serais sans doute de ceux-là : la diversité des missions confiées aux autorités indépendantes appelle à la prudence et à un examen parfois au cas par cas. Ainsi, la première mouture de la liste des organismes pouvant se réclamer de la qualification d’autorités indépendantes était sans aucun doute trop restrictive. Dès la première lecture, nous avons collectivement imprimé notre souhait de l’élargir à d’autres acteurs, tels que le Médiateur national de l’énergie ou la Commission nationale du débat public.

Nous ne nous sommes pas arrêtés là et avons fait le lien avec les autres priorités visées par notre majorité : l’application des principes de dignité, de probité et d’intégrité aux membres des autorités, l’inclusion des rémunérations et avantages du président et des membres de l’autorité dans les informations présentées chaque année en annexe du projet de loi de finances, la prise en compte de la possibilité de ne pas délibérer dans les règles de déport ou bien encore l’obligation, pour les membres des autorités intervenant dans le domaine économique, d’organiser une gestion détachée de leurs instruments financiers.

La version sans doute plus équilibrée du texte à laquelle nous sommes parvenus, dans un esprit d’échange et de consensus pour lequel je tiens à remercier M. le rapporteur, a été modifiée par le Sénat dans un sens plus conforme à sa version originale, ainsi que l’a rappelé mon collègue René Dosière. Il nous appartient donc d’aboutir à une rédaction des deux propositions de loi qui, en parvenant à recueillir l’assentiment sénatorial, verra les prérequis qui sont les nôtres figurer dans la version définitive des deux textes. Nous avons amorcé, bien qu’imparfaitement, ce travail en commission la semaine dernière.

Plusieurs amendements qui seront présentés au nom du groupe socialiste, écologiste et républicain, ou par certains de nos collègues, visent cet objectif. Je pense particulièrement à l’inclusion du Médiateur national de l’énergie et de la Commission nationale du débat public dans la liste des autorités. Je rappelle que nous avions souhaité ces inclusions en première lecture et que rien, entre-temps, n’est venu invalider l’analyse qui était la nôtre. Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler, ces instances, tant du point de vue des règles qui garantissent leur indépendance qu’au regard de leur statut administratif, répondent aux critères déterminés par le Conseil d’État pour la qualification d’autorité administrative indépendante. Il ne paraît pas souhaitable, eu égard à l’importance des sujets qu’elles ont à connaître, que le législateur paraisse organiser leur affaiblissement. Aussi, j’appelle mes collègues à voter en faveur des amendements qui les rétablissent comme autorités indépendantes.

Je souhaite à ce stade exprimer un regret. Dès la première lecture, j’ai évoqué la question des agents employés par les autorités. Beaucoup trop d’AAI et d’API recourent principalement au contrat pour le recrutement de leurs agents. Alors qu’elles sont des institutions de droit public, ce recours au contrat comme mode principal, voire exclusif, de recrutement n’est absolument pas exemplaire. Il faut le rappeler et les encourager à changer leur pratique.

Dans le même esprit, il a été porté à mon attention des difficultés dans l’exercice des droits syndicaux et sociaux des agents dans certaines API. J’estime que ces situations ne doivent pas perdurer. J’ai défendu en première lecture plusieurs amendements pour y remédier. Il m’a alors été indiqué qu’il serait plus pertinent de le faire dans le cadre de l’examen du projet de loi dit Sapin 2 – ce que j’ai fait. On m’a alors opposé un besoin de coordination avec les propositions de loi dont il est question aujourd’hui. Bien naturellement, j’ai déposé à nouveau des amendements pour résoudre ces situations. Hélas, la règle dite de l’entonnoir ne me permet pas de vous soumettre aujourd’hui ces amendements en séance. Je le regrette et appelle le Gouvernement à investiguer scrupuleusement ces sujets qui ne peuvent que nous interpeller, alors que nous portons par ailleurs, dans chaque sujet de politique publique, une volonté inébranlable d’exemplarité des employeurs publics – ce qui nous honore.

Cette même volonté d’exemplarité, de renforcement de la transparence et de la déontologie doit nous conduire aujourd’hui à refuser plusieurs amendements du Gouvernement. Mais nous donnerons bien sûr notre assentiment aux amendements qui visent à réintégrer certaines autorités. Je salue par ailleurs la sagesse dont a fait preuve le Gouvernement en retirant avant la séance de cet après-midi certains amendements litigieux. Notre groupe, en effet, ne pouvait approuver des amendements, déjà soumis en commission, qui tendaient à soustraire certaines autorités au cadre général proposé par les deux propositions de loi, notamment en matière de prévention des conflits d’intérêts ou de publicité de leurs avis.

Le législateur aura sans aucun doute l’occasion de revenir sur le régime juridique des AAI et des API, car ces autorités jouent un rôle de plus en plus important. La décision publique étant de plus en plus complexe, d’abord à prendre, ensuite à faire accepter, l’indépendance est probablement l’un des outils les mieux à même de construire le consensus dans le débat public. « L’indépendance n’est pas un état de choses. C’est un devoir. », comme l’écrivait Václav Havel. Cet enseignement doit guider nos travaux, alors que nous redéfinissons les modalités d’intervention d’une part essentielle de l’action publique.

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