Intervention de Michel Miné

Réunion du 7 décembre 2016 à 16h15
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Michel Miné, professeur de droit du travail au Conservatoire national des arts et métiers, CNAM, membre du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, CSEP, ancien inspecteur du travail :

Je suis professeur au Conservatoire national des arts et métiers, établissement fondé en 1794. J'ai le plaisir d'avoir comme auditeurs des personnes qui travaillent : salariés, gestionnaires, chefs d'entreprise, etc. Mon dernier ouvrage, sur Le droit des discriminations dans l'emploi et le travail, présente le droit français applicable en matière de discriminations et d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi qu'un état de la jurisprudence sur ces questions.

Vous l'avez dit : l'égalité professionnelle progresse, mais très lentement. Point positif : ces dernières années, la question de l'égalité entre les femmes et les hommes n'agite plus seulement quelques acteurs ou des femmes qui ont pris conscience des inégalités, mais elle est devenue une question sociétale.

Aujourd'hui, nous allons parler des entreprises d'au moins cinquante salariés, c'est-à-dire où existe une représentation du personnel et se déroulent des négociations collectives, mais n'oublions pas que ces entreprises regroupent moins de la moitié du salariat, notamment du salariat féminin.

Concernant les chiffres, je vous communiquerai des rapports de la direction générale du travail (DGT). Au 15 août 2016, 40 % des entreprises étaient couvertes par un accord d'entreprise ou un plan d'action avec de grandes différences suivant la taille des entreprises, selon les données de la DGT : 85 % des entreprises de plus de 1 000 salariés sont couvertes. On peut donc s'étonner que 15 % des entreprises de plus de 1 000 salariés ne soient pas couvertes. Évidemment, les autres chiffres sont moins bons au regard de la taille de l'entreprise.

Certes, le mouvement est positif, puisque de plus en plus d'entreprises sont couvertes ; néanmoins, de nombreux accords montrent un contenu assez faible.

En dépit des bonnes intentions affichées, le contenu des accords publiés, pour nombre d'entre eux, est faible, notamment concernant la suppression des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes – le terme de « suppression » figure bien dans la loi. Il s'agit pour l'essentiel du recopiage de dispositions du code du travail.

Avec la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, tous les accords devraient figurer dans une base de données, ce qui rendra le travail d'analyse plus aisé.

Dans ces accords est souvent mentionné ce chiffre qu'évoquait Mme Recorbet de 4 à 5 % d'écart de salaires entre femmes et hommes. Il est amusant, si l'on peut dire, de constater que ce chiffre figure dans l'accord national interprofessionnel (ANI) signé en 2004. La reprise de ce dernier s'explique par l'absence dans de nombreuses entreprises d'un véritable diagnostic de la situation initiale en matière de rémunération. Très souvent, les négociations s'appuient sur des données partielles, sans un état des lieux complet de la politique salariale, en particulier sur le travail de valeur égale effectué par les femmes et par les hommes. Or, c'est là que viennent se nicher les inégalités et les discriminations – au sens juridique du terme, dénué de toute connotation morale. L'entreprise peut discriminer sans le savoir et sans le vouloir pour de nombreuses raisons que je vais évoquer plus loin.

Des entreprises qui ont signé des accords sur l'égalité professionnelle sont condamnées de manière définitive en raison de discriminations à l'encontre des femmes en matière de rémunération. Je ne serai pas cruel en citant leur nom puisque cette audition est publique mais vous les retrouverez aisément. Ces entreprises ne sont pas plus mauvaises élèves que les autres ; elles sont l'illustration de l'absence de diagnostic préalable à la suppression des écarts de salaire.

Il faut dissiper une confusion : la loi impose une négociation en vue d'atteindre l'égalité professionnelle, elle n'impose pas que l'accord qui en résulte supprime les discriminations. Autrement dit, un accord peut être parfaitement conforme à la loi, tout en maintenant les discriminations à l'encontre des femmes. Ce n'est pas parce qu'un accord a été conclu que la situation dans l'entreprise est licite au regard de l'égalité entre femmes et hommes. C'est un point important qui est source de confusion.

S'agissant de l'expert chargé d'aider à préparer les négociations, qui doit être désigné par le comité d'entreprise en accord avec l'employeur dans les entreprises d'au moins 300 salariés, les échos ne sont pas très bons : les personnes que j'ai interrogées, y compris celles occupant des postes à responsabilité, ont bien souvent découvert cette obligation à l'occasion de notre échange. Nous avons donc besoin de temps en la matière.

Le contenu des synthèses publiées sur les plans d'action des entreprises, qui se trouvent sans difficulté sur internet, est déconcertant. Ces dernières comportent souvent l'engagement de réaliser des études en vue de vérifier la bonne application de l'égalité salariale. Or, cette mesure, qui correspond pourtant à une étape très préliminaire, y est présentée comme l'action à mettre en oeuvre dans les années à venir.

L'intégration du rapport de situation comparée des femmes et des hommes (RSC) dans la base de données économiques et sociales (BDES) risque de se traduire par un énorme tableau Excel, dépourvu des éléments d'analyse prévus par la loi, concernant en particulier les écarts salariaux et de déroulement de carrière suite à la loi de 2014. Or, dans un certain nombre de bases de données que j'ai pu consulter, qui ne sont pas forcément représentatives, cette analyse fait défaut : il s'agissait simplement de chiffres.

Si la loi de 2014 avait marqué un progrès très sensible en matière de négociation et de consultation, malheureusement, un certain nombre des avancées qu'elle contenait ont été rognées par la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi. Je ne donnerai que quelques exemples : la loi ne mentionne plus l'obligation de consultation du comité d'entreprise au cours des négociations, ni la possibilité pour les négociateurs de demander les informations nécessaires pour négocier en connaissance de cause. Il ne faut évidemment jamais confondre la règle et l'usage de la règle : selon le climat social dans l'entreprise, les modifications législatives pourront ne pas avoir d'incidence négative. Mais, dans un certain nombre d'entreprises, la nouvelle loi a fait disparaître la base juridique permettant aux organisations syndicales de se voir communiquer des éléments d'information.

Il en est de même de l'intégration de la négociation sur l'égalité professionnelle entre hommes et femmes dans la négociation sur la qualité de vie au travail (QVT). Cela peut être la meilleure comme la pire des choses. Dans certaines entreprises, l'égalité femmes-hommes est complètement noyée parmi d'autres sujets. Les négociateurs ont du mal à appréhender la complexité de ces questions. Dans d'autres entreprises, cela peut permettre d'aborder la question de l'égalité de manière transversale.

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