Intervention de Vincent Ledoux

Séance en hémicycle du 11 janvier 2017 à 15h00
Débat sur la fibromyalgie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVincent Ledoux :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’essayiste Amos Oz affirme : « La souffrance est une île de certitude dans un océan d’incertitude. » Cette proposition, me semble-t-il, situe bien le débat qui nous retient aujourd’hui car elle décrit avec des mots justes ce que ressentent et portent en eux nos compatriotes atteints de fibromyalgie : la certitude des souffrances endurées, avec leurs lots d’invalidités et de handicaps ; l’île, ce sentiment cruel d’être isolé ; l’incertitude, celle de la science, de l’administration, du soignant, des proches et du lendemain dont on ne sait que trop bien de quoi il sera fait, celle liée à la non-reconnaissance d’un mal pourtant douloureusement exprimé dans la chair et qui empêche ceux qui en souffrent de vivre une vie comme tout le monde ; l’absence de reconnaissance, donc de prise en charge.

Or « il suffit d’une rage de dents pour voir à quel point la souffrance est inutile, insupportable, destructrice ». Ce que souffrent les personnes atteintes de fibromyalgie ne s’apparente bien entendu pas à une rage de dents : leur souffrance est bien insupportable et terriblement destructrice. Insupportable et destructrice : ces qualificatifs ont accompagné tous les témoignages recueillis au cours des auditions de la commission d’enquête ou lors de nos rencontres sur le terrain ; car aussitôt qu’il est porté à la connaissance de l’opinion qu’un parlementaire s’intéresse à une question, les témoignages affluent en nombre vers lui.

Ce soir, après trente-six auditions conduites par la commission d’enquête, dont je veux saluer ici le travail, il nous appartient de prendre des mesures susceptibles de satisfaire les attentes des patients mais aussi des professionnels de santé. Pour les premiers, il s’agira d’une reconnaissance au plan médical et, à travers elle, du déclenchement d’un nouveau regard et d’une attention renouvelée de la société, mais aussi d’une prise en charge effective. Pour les seconds, il s’agira de la mise en place d’un cadre légal et institutionnel propice à la recherche scientifique, aux actions d’information et de formation.

Malgré la reconnaissance par l’OMS de la fibromyalgie, depuis 1992, comme une maladie, celle-ci demeure, chez nous, un syndrome. Maladie ou syndrome : le débat sémantique révèle notre difficulté à appréhender ce mal et, partant, à accompagner ceux qui en souffrent. Or si, comme certains le prétendent, « toute conviction est une maladie », l’absence de qualification crée, quant à elle, une indétermination qui empêche d’emporter une conviction totale et absolue.

Cette indétermination a fini par créer, au fur et à mesure de nos auditions, une sorte de malaise chez les parlementaires, confrontés à des personnes souffrant d’un mal qui n’est pas une maladie et qui touche tout de même près 2 millions de Français, 14 millions d’Européens et 2,2 % de la population mondiale. D’ailleurs, tant le terme « syndrome » nous semblait en dessous de la réalité vécue par nos interlocuteurs, nous avons eu tendance à ne plus qualifier le mal du tout, tout en continuant à marquer une certaine prudence au regard de la science. L’exercice, dès lors qu’il est difficile de nommer l’objet ou le sujet propre de l’enquête, devient particulièrement singulier. Si « la maladie est une réponse, une pauvre réponse que l’on invente à une souffrance », le syndrome, lui, n’apporte aucune réponse et laisse le patient à sa souffrance.

La fibromyalgie est une maladie à évolution chronique. Elle doit donc être traitée de manière globale et systémique, d’autant que certains des maux qu’elle provoque – notamment la douleur, la raideur et la fatigue – limitent parfois considérablement les capacités fonctionnelles dans les activités quotidiennes.

Outre le vote d’une proposition de loi, il conviendrait, à mon sens, de solliciter auprès de l’INRS – l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles – une expertise collective afin de faire le point sur les connaissances scientifiques relatives à la fibromyalgie, en y incluant le plus largement possible les données sur la prévalence, le diagnostic, la physiopathologie et la prise en charge.

Ce soir, il nous est possible de prendre en charge de manière adaptée la fibromyalgie en la classant parmi les affections de longue durée exonératoires. Cette classification permettra en outre d’éviter les inégalités de traitement observées sur le territoire national.

Mes chers collègues, « chaque douleur est une mémoire ». Les fibromyalgiques portent la mémoire de leurs souffrances, doublée de la mémoire d’une non-reconnaissance engendrant injustice et sentiment d’abandon. Cette double mémoire constitue en fait une double peine que les patients subissent sur cette terrible « île de certitude » abandonnée au milieu d’un « océand’incertitude ».

C’est ce que vit Virginie, une assistante maternelle dont je veux ici rapporter le témoignage : « La fibromyalgie m’épuise un peu plus chaque jour. La douleur me tient éveillée une grande partie de la nuit et je dois travailler en étant douloureuse et très fatiguée. Il n’y a aucune reconnaissance, ni de nos entourages, qui nous prennent pour des fous et des fainéants, ni de la Sécurité sociale. Depuis septembre, j’ai été contrainte de diviser par deux mon temps de travail et donc mon salaire. Je suis cependant dans l’obligation d’avancer tous mes frais médicaux et de jongler avec mes dépenses de tous les jours. »

Ce soir, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne demandons pas des oranges aux pommiers. Nous devons donner foi aux certitudes et lever les incertitudes. C’est en tout cas ce que je souhaite avant tout, en ce début d’année nouvelle, à toutes celles et à tous ceux qui attendent que justice leur soit enfin rendue.

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