Intervention de Jacques Krabal

Séance en hémicycle du 12 janvier 2017 à 9h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Krabal :

….proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale.

Ce texte, voté en première lecture par notre Assemblée à l’occasion d’une journée réservée de notre groupe, le 10 mars 2016, et par le Sénat, le 13 octobre 2016, est le résultat d’un travail en premier lieu transpartisan. J’en remercie notre collègue Georges Fenech, car notre groupe est favorable à l’esprit transpartisan ! Nous approuvons la volonté de travailler pour l’intérêt général, ce que nous avons fait avec le soutien et l’encouragement du garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, et l’appui de l’ensemble de nos collègues.

Nos collègues Alain Tourret et Georges Fenech ont mené de nombreuses auditions et effectué un travail approfondi afin de répondre à la critique adressée par l’ensemble des praticiens à la complexité des règles en matière de prescription pénale.

En effet, comme le rapport d’information sur la réforme de la prescription pénale publié en mai 2015 avait pu le préciser, l’action de la justice en droit pénal se voit grevée par deux formes de prescriptions : celle de l’action publique, antérieure à la condamnation définitive, et celle de la peine, postérieure au prononcé de la sanction par le juge. L’action publique ne peut plus être enclenchée après l’écoulement d’un certain temps depuis le jour de la commission de l’infraction. Pour la peine, une fois expiré un certain délai, la puissance publique se voit empêchée d’exécuter les sanctions définitives prononcées par le juge.

Le point de départ du délai de prescription pour l’action publique est fixé au jour de la commission de l’infraction, et pour la peine, la prescription court à compter de la date de la décision de condamnation définitive.

Or, comme nos collègues l’ont précisé, la prescription participe de la régulation de l’action de la justice pénale, le droit à l’oubli existant et une infraction ne pouvant être poursuivie ad vitam aeternam. En effet, notre système judiciaire ne peut poursuivre les infractions indéfiniment, d’abord faute de moyens, la France étant seulement, selon le rapport Nadal de 2013, le quarantième pays sur les quarante-sept expertisés. Il y a donc là des efforts à entreprendre, parce que la lenteur des lois pour rendre justice, en dehors de ces délais de prescription, est en soi un vrai problème.

Aussi, pour la prescription de l’action publique, les délais sont actuellement d’un an pour les contraventions, trois ans pour les délits et cinq ans pour les crimes, et en matière de prescription de la peine, de trois ans pour les peines contraventionnelles, cinq ans pour les peines délictuelles et dix ans pour les peines criminelles.

Mais tout principe mérite exception, et en matière de prescription pénale les exceptions sont plus que nombreuses : délais allongés ou abrégés en fonction de la nature de l’infraction et de la qualité de la victime, mais aussi computation des délais avec report du point de départ du délai de la prescription, et possibilité d’interruption ou de suspension de la prescription.

Toutefois, et malgré ces multiples allongements jurisprudentiels ou législatifs, les délais actuels de prescription de l’action publique applicables en France apparaissent extrêmement courts comparés à ceux en vigueur dans les pays de l’Union européenne. Ces délais n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation au niveau européen comme certains l’auraient souhaité.

Au-delà de ces aspects, la réforme des délais de prescription de l’action publique et de la peine est particulièrement opportune. Le dispositif de l’article 1er prévoit en ce sens que l’action publique se prescrive par vingt ans pour les crimes, par six ans pour les délits et par un an pour les contraventions.

Des exceptions restent prévues, comme en matière de terrorisme où la prescription est alors de trente ans. En effet, face à la complexité et à la gravité des nouvelles menaces pesant sur notre pays, un allongement du délai de prescription par rapport au délai de droit commun se justifie pleinement.

Le rapporteur a consenti par pragmatisme, à son habitude, à d’autres exceptions. Ainsi a été créé dans le code de procédure pénale un article 9-2 prévoyant le report du point de départ de la prescription de l’action publique pour les infractions occultes ou dissimulées. Dans ce cas, « la prescription court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice, la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique ». Le Sénat a précisé que ce délai de prescription ne pouvait toutefois excéder, à compter du jour où l’infraction a été commise, douze années révolues pour les délits et trente années révolues pour les crimes.

L’article précise ensuite qu’« est occulte l’infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime, ni de l’autorité judiciaire » et qu’« est dissimulée l’infraction dont l’auteur accomplit délibérément toute manoeuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte ».

Ce report existe notamment dans le cadre des infractions économiques et financières, en cas d’abus de confiance ou d’abus de bien social. Ces infractions économiques et financières, par nature clandestines, complexes et difficiles à démontrer, doivent pouvoir être poursuivies dans des délais plus longs en raison des enjeux financiers colossaux qui en résultent.

Si le droit à l’oubli est nécessaire et primordial, y compris pour les victimes, nous pensons cependant, à l’instar du rapporteur, qu’il ne faut pas prévoir un délai dérogatoire allongé en matière d’infractions sexuelles commises sur les mineurs. Nous avons entendu les témoignages de personnalités ou d’anonymes victimes d’une amnésie traumatique, état les privant de la conscience des faits qu’elles ont subis. Nous le comprenons, mais nous restons convaincus qu’un droit à l’oubli doit exister. Le texte de notre collègue Alain Tourret vise à une harmonisation des délais de prescription. En matière d’infractions criminelles ou délictuelles sexuelles commises sur les mineurs, il prévoit une prescription de vingt ans commençant à courir à compter de la majorité des victimes, soit jusqu’à leurs trente-huit ans révolus.

Par ailleurs, si en matière de presse, le principe introduit par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est un délai de prescription de trois mois, le Sénat a prévu un allongement de cette prescription à un an pour les infractions de presse commises sur internet, en raison des contraintes liées à la mise en ligne sur support numérique de ces informations. Je sais que cette disposition pose un problème d’ordre juridique, mais dont l’importance est mineure au regard de l’enjeu fondamental que représente une réforme réussie du régime de la prescription pénale. Nous y reviendrons lorsque cet article sera examiné, mais je vous suggère d’ores et déjà, mes chers collègues, d’adopter conforme cette proposition de loi, quitte à laisser au Conseil constitutionnel le soin de la débarrasser d’éventuelles scories juridiques.

L’article 4 précise quant à lui que l’adoption de la loi ne peut avoir pour effet de prescrire des infractions qui, au moment de son entrée en vigueur, auraient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l’exercice de l’action publique. Cette proposition de loi n’est donc pas rétroactive : elle n’a vocation à s’appliquer qu’aux infractions qui seront découvertes après sa promulgation.

Ce texte vise tout bonnement à faire respecter le principe de légalité des délits et des peines, parce que la prescription doit aussi prendre en compte le jugement et l’application des peines, souvent attendus par les victimes et les accusés et bien souvent dénoncés comme trop lents. Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry, évoquait ce sentiment de fuite de la justice dont certains habitants nous font part dans Conseil tenu par les rats :

« Ne faut-il que délibérer,

La Cour en conseillers foisonne ;

Est-il besoin d’exécuter,

L’on ne rencontre plus personne ».

Si l’épreuve du temps n’est pas toujours favorable à un procès équitable, il est alors nécessaire de changer la loi, puisqu’en vertu du principe de l’indépendance de l’autorité judiciaire, il est impossible d’enjoindre aux magistrats du siège de juger conformément à une prescription, quelle qu’elle soit.

L’ensemble des dispositions adoptées par le Sénat ont été votées conformes par la commission des lois de notre assemblée. Comme l’a précisé Cécile Untermaier, cette réforme a été saluée par les praticiens comme une initiative bienvenue apportant clarté et simplicité face à une jurisprudence foisonnante et à un empilement des dispositions législatives. Il apparaît donc nécessaire d’adopter ce texte au plus vite afin de permettre son entrée en vigueur avant la fin du mois de janvier et de faire enfin en sorte – comme vous l’avez dit tout à l’heure, monsieur le garde des sceaux – que le temps ne soit plus l’ennemi de la justice.

Vous l’aurez compris, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera conforme la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, et rejettera donc, comme nous y a invités avec force Alain Tourret, l’ensemble des amendements qui ont été déposés.

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