Intervention de Jacqueline Fraysse

Séance en hémicycle du 19 janvier 2017 à 9h30
Création de l'établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi visant à ratifier l’ordonnance du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l’emploi de l’établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes.

Cette ordonnance, qui découle de la loi relative au dialogue social et à l’emploi adoptée en août 2015, acte, à compter du 1er janvier 2017, la transformation de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, en un établissement public industriel et commercial, un EPIC. Bien que ce changement de statut soulève plusieurs questions, sur lesquelles je reviendrai, les députés du Front de gauche sont favorables à l’adoption de ce texte.

Chacun le sait, l’AFPA est un acteur essentiel de la formation professionnelle depuis plus de soixante-cinq ans et fait face depuis plusieurs années à de graves difficultés financières, dues en grande partie aux évolutions du marché de la formation.

Les difficultés ont commencé avec la décentralisation vers les régions de la commande publique de la formation des chômeurs, engagée en 2004. Les compétences régionales se sont renforcées depuis lors, ce qui a eu pour conséquence de rendre les moyens de l’AFPA insuffisants et aléatoires.

Ces difficultés se sont poursuivies avec l’ouverture du secteur de la formation professionnelle à la concurrence, en 2009, ce qui s’est traduit, pour l’organisme, par une perte de près de 25 % de ses parts de marché depuis cette année-là. Désormais soumise aux procédures d’appels d’offres, l’AFPA s’est progressivement transformée en un organisme concurrentiel, alors même que son mode de fonctionnement était fondé sur une activité de service public – c’est une illustration supplémentaire des conséquences désastreuses de l’application des règles européennes relatives à la concurrence libre et non faussée.

Tous ces bouleversements sont à l’origine de nombreuses réorganisations et réductions de personnels ces dernières années.

Dans ce contexte, l’ordonnance soumise ce matin à ratification permet d’apporter une première réponse en dépassant les solutions de court terme mises en oeuvre depuis 2012 pour sauver l’AFPA, souvent à coups de rallonges budgétaires.

Ce changement de statut apparaît également salutaire car il permet de clarifier en partie le positionnement ambigu de l’AFPA depuis l’ouverture à la concurrence. Elle se trouvait en effet être à la fois un organisme de formation classique sur un marché concurrentiel et un acteur des politiques publiques de l’emploi. L’ordonnance prévoit ainsi la création d’un établissement public, chargé de véritables missions de service public, et de deux filiales, chargées des activités concurrentielles.

Les missions historiques de l’AFPA sont confortées, notamment la formation et la qualification des personnes les plus éloignées de l’emploi, de même que la politique de certification nationale ainsi que l’égal accès des hommes et des femmes à la formation et au service public de l’emploi.

L’ordonnance définit également d’autres missions, qui pourront être réalisées par les filiales de l’établissement public, en matière de formation des demandeurs d’emploi et des salariés.

D’autres points sont positifs. Le fonctionnement du nouvel établissement fait toute sa place aux régions et aux organisations syndicales, qui seront représentées au sein du conseil d’administration. L’ordonnance règle également une problématique en suspens depuis la création de l’AFPA, en 1949 : cette dernière bénéficie d’un parc immobilier que lui a cédé l’État – 115 sites et 1 500 lits – mais ce transfert patrimonial n’avait jamais été acté, ce qui est désormais chose faite.

Nous restons toutefois interrogatifs voire inquiets à plusieurs égards.

Notre première question concerne l’articulation entre les deux activités du nouvel établissement public. Comment distinguer ce qui relèvera de la mission de service public et des activités concurrentielles ? Par exemple, l’ordonnance prévoit que la formation des publics les plus éloignés de l’emploi relèvera de l’établissement public alors que la formation des demandeurs d’emploi incombera aux filiales privées. La frontière entre ces différents cas nous semble floue. Les demandeurs d’emploi de longue durée sont-ils considérés comme des personnes éloignées de l’emploi, donc susceptibles d’être accompagnées par le service public de l’emploi et de la formation, ou seront-ils considérés comme des chômeurs, dont la formation sera assurée selon des logiques privées ? Il existe là un risque que des personnes éloignées du marché du travail soient exclues des prestations offertes par le service public de l’emploi.

Notre deuxième préoccupation concerne la situation sociale et le devenir des personnels de l’AFPA. En effet, le plan d’économies engagé il y a quatre ans reste d’actualité : il se traduira en 2017 et 2018 par 300 départs par an sur un effectif de 8 000 personnes. Les syndicats s’inquiètent pour l’activité et dénoncent régulièrement la souffrance au travail née de la désorganisation généralisée et de l’insuffisance des effectifs. Cette situation ne peut perdurer et il est temps, nous semble-t-il, de donner des garanties de long terme aux salariés de l’AFPA.

Enfin, la question de la pérennité financière du nouvel établissement, très justement soulevée par notre rapporteur, reste posée. La subvention de l’État au titre de l’activité de service public semble sous-dimensionnée au regard des missions confiées et de celles qui pourraient l’être. Le projet de loi de finances pour 2017 prévoit une subvention de 110 millions d’euros, quand une enveloppe de 150 millions semble nécessaire. La question de la pérennité du financement se pose d’autant plus que l’activité de formation des demandeurs d’emplois de l’AFPA ne cesse de décroître, alors même que le plan 500 000 formations est parvenu à son rythme de croisière. De ce point de vue, il est regrettable que l’ordonnance qui nous occupe aujourd’hui reste au milieu du gué. La création d’un établissement public de la formation intégré au service public de l’emploi aurait pu être l’occasion de renforcer les liens avec Pôle emploi et les régions, afin que ce nouvel organisme joue un rôle de premier plan dans la formation des personnes en recherche d’emploi.

Telles sont donc nos préoccupations, mes chers collègues, à cette étape du devenir de l’AFPA. Néanmoins, les députés du Front de gauche voteront ce texte car il a le mérite d’ouvrir une perspective et de dépasser les solutions de court terme qui ont prévalu ces dernières années.

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