Intervention de Laurent Richard

Réunion du 11 janvier 2017 à 19h00
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Laurent Richard :

Merci, monsieur le président, pour votre sollicitation dans le cadre de cette mission d'information, vraiment importante.

Je suis surpris qu'un député de la République puisse, comme l'a fait M. Mancel, s'opposer à l'audition d'un journaliste français, travaillant pour le service public français, qui n'a fait que son devoir d'enquête et son travail de journaliste dans un pays qui emprisonne les journalistes et les opposants. Heureusement, nous ne sommes pas en Azerbaïdjan, nous sommes bien en France, dans le cadre d'une mission d'information parlementaire, je vais donc pouvoir m'exprimer. Peut-être M. Mancel a-t-il quitté la salle parce qu'il savait qu'il serait gêné par les discussions que nous aurions, par les informations que je vous donnerais. Je n'en regrette pas moins qu'il soit parti, puisqu'il est membre du groupe d'amitié France-Azerbaïdjan et qu'il oeuvre activement au sein de l'Association des amis de l'Azerbaïdjan, dont nous allons parler et qui a retenu mon attention lors de mon enquête.

Journaliste, je suis salarié de l'agence Premières Lignes Télévision, qui produit essentiellement des documentaires d'investigation, pour la plupart des chaînes françaises mais surtout pour le service public. Avec Jean-Pierre Canet et Élise Lucet, j'ai créé le magazine Cash investigation, dont j'ai été le premier rédacteur en chef. Diffusé sur France 2, celui-ci a obtenu de nombreux prix et sa qualité ne fait aucun doute. Il jouit d'une excellente réputation au sein de la presse professionnelle française, européenne et même mondiale, puisque l'agence et le magazine participent, au sein du consortium international ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists), aux différentes enquêtes en cours, notamment à la grande mobilisation des médias du monde entier autour des Panama papers.

Pour cette émission d'une durée de 120 minutes, intitulée « Mon président est en voyage d'affaires », mon enquête est partie de l'interrogation suivante : comment, quand on est Président de la République, signe-t-on des contrats dans des pays aussi sensibles que l'Azerbaïdjan ou le Kazakhstan, et comment fait-on avancer la cause des droits de l'Homme ? J'étais parti d'une archive : lors de la campagne présidentielle de 2012, François Hollande avait dit que présider la République ce n'était pas inviter des dictateurs en grand appareil à l'Élysée et promis que son élection serait une mauvaise nouvelle pour les dictatures. Le prenant au mot, j'ai voulu le suivre dans un voyage en Azerbaïdjan et au Kazakhstan pour savoir comment lui, ses équipes de l'Élysée mais aussi les parlementaires français se comportaient en Azerbaïdjan et, surtout, évoquaient la question des droits de l'Homme, sachant qu'ils représentent évidemment les valeurs de la République française. Tel était le point de départ de ma démarche.

Ce voyage a eu lieu au mois de mai 2014. Quand j'ai suivi le déplacement de François Hollande, j'étais accrédité par les services de l'Élysée et, évidemment, par les services azéris. Je disposais d'un visa obtenu via l'Élysée. Quand François Hollande a quitté l'Azerbaïdjan pour poursuivre sa visite dans le Caucase, j'ai décidé de rester sur place – en accord avec les autorités azerbaïdjanaises, puisque je disposais d'un visa –, pour approfondir mon tournage, faire différentes rencontres, enquêter sur l'aspect des droits de l'Homme, sur la possibilité, ou plutôt l'impossibilité, pour les journalistes de travailler sur place et sur la façon dont le régime d'Ilham Aliev accapare les richesses du pays.

J'ai donc fait mon travail avec mon cameraman, mais, au retour, à l'aéroport, nous avons été arrêtés illégalement par les services azerbaïdjanais, qui ont fouillé nos affaires à la recherche des disques durs et des cartes mémoires sur lesquelles nos tournages pourraient avoir été enregistrés. Nous avions évidemment réussi à protéger le plus important, mais, comme lesdits services ont trouvé des cartes mémoires qui contenaient quelques images, nous avons protesté et refusé de quitter le territoire si ce matériel ne nous était pas rendu. Nous avons alors été embarqués de force dans l'avion que nous devions prendre. Nous avons donc été victimes d'une atteinte grave à la liberté de la presse, parfaitement contraire à tous les usages et à de nombreuses conventions. Il n'y a aucune liberté de la presse en Azerbaïdjan, comme ont déjà pu vous le dire le responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale de Reporters sans frontières (RSF) et une responsable d'Amnesty International ; les journalistes ne peuvent pas y faire leur travail, les journalistes azerbaïdjanais sont même systématiquement arrêtés, emprisonnés, harcelés, menacés. J'ai donc essayé, à ma manière, de continuer le travail qu'ils sont empêchés de poursuivre.

Nous avons continué notre enquête au Kazakhstan, où j'ai pu suivre un autre déplacement de François Hollande. J'y ai enquêté sur le « Kazakhgate », une affaire de contrats d'armements entre des sociétés françaises et le Kazakhstan. C'est le deuxième volet de l'émission, qui n'avait donc pas pour seul objet l'Azerbaïdjan.

Quid de nos méthodes de travail ? Munis de toutes les accréditations, nous n'avons rien fait en cachette, mais cela n'a pas empêché notre arrestation, critiquée par les services de l'ambassade de France en Azerbaïdjan. C'est à eux que nous devons notre libération assez rapide – quelques jours après la visite du Président de la République, cette arrestation d'une équipe de France 2 était effectivement choquante. Ensuite, nous avons passé pas mal de temps à enquêter, à rencontrer d'autres personnes et à monter ce reportage diffusé sur France 2.

Ce qui était intéressant, c'était la question des contrats face aux droits de l'Homme – comment le Président de la République se positionne-t-il ? – mais aussi la manière dont certains parlementaires, membres du Parlement français ou du Parlement européen, s'expriment en Azerbaïdjan ou à propos de l'Azerbaïdjan. J'ai ainsi enquêté sur Rachida Dati, élue européenne en même temps que maire d'arrondissement, mais aussi sur Jean-François Mancel et d'autres membres de l'Association des amis de l'Azerbaïdjan, comme Thierry Mariani, qui se rendent très régulièrement dans ce pays et dont les propos sur une prétendue démocratie ou de prétendus progrès sur la voie de la démocratie, sur un prétendu pluralisme – autant de fables que l'on raconte à des enfants – m'ont toujours étonné. De même, j'ai toujours été étonné que ces élus de la nation française, qui portent les valeurs françaises – la liberté, l'égalité et la fraternité, mais aussi la démocratie, la liberté d'expression, le pluralisme politique, l'accès de l'opposition aux médias –, fassent de tels déplacements, souvent à l'invitation de l'État d'Azerbaïdjan, dans des groupes d'amitié pas vraiment officiels mais un peu « parallèles ». J'ai ainsi eu la surprise de constater, lors du déplacement du Président de la République, que certains parlementaires français étaient invités, non par l'Élysée dans le cadre du voyage officiel, mais par l'État d'Azerbaïdjan lui-même, et ce n'est pas porté à la connaissance du public.

Notre enquête a porté sur la stratégie de l'Azerbaïdjan à l'égard de la France mais aussi de nombreux autres pays membres de l'Union européenne ou même des États-Unis. En effet, de nombreux parlementaires américains se sont rendus en Azerbaïdjan à l'invitation de sociétés azéries ou de l'État d'Azerbaïdjan pour faire de la communication, de l'influence, pour raconter des choses qui ne sont jamais vérifiées ni confirmées par des organisations non-gouvernementales (ONG) réputées comme Amnesty International, Human Rights Watch ou Reporters sans frontières. Au cours de cette enquête, j'ai par exemple demandé au maire de Cognac, M. Gourinchas, membre de l'Association des amis de l'Azerbaïdjan, dont les activités sont soutenues financièrement par la Fondation Heydar Aliev, évidemment azérie, pourquoi il avait prétendu que tel scrutin n'était entaché d'aucune irrégularité, alors que la mission du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'Homme (BIDDH) de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en avait constaté. J'ai posé ce genre de questions à plusieurs parlementaires proches de l'Azerbaïdjan, et leurs réponses étaient toujours étonnantes. M. Mancel donne toujours les mêmes arguments : l'Azerbaïdjan est un pays jeune, à qui il faut donner du temps et dont une partie du territoire est occupée, il faut laisser faire et ne rien dire. Qu'est-ce qui poussait ces parlementaires à agir de la sorte et à tenir des propos rarement confirmés par des observateurs professionnels, comme l'OSCE, ou par des ONG très réputées comme Reporters sans frontières et Human Rights Watch ? Nous avons essayé de mener l'enquête. Notre travail a fait pas mal de bruit, notamment parce que Rachida Dati, après avoir initialement refusé de répondre à nos questions, a répondu de manière très agressive à Élise Lucet au cours d'une entrevue dans un couloir.

Il est suffisamment rare qu'un État porte plainte contre un journaliste qui a employé le mot de « dictature » pour que ce soit souligné. Le terme est pourtant utilisé par de nombreux médias, de nombreuses ONG pour qualifier un régime qui n'admet nul pluralisme, nulle liberté de la presse, qui emprisonne systématiquement ses opposants – de nombreuses affaires permettent de le constater, y compris quand on est membre du Parlement européen. Je suis donc poursuivi pour avoir utilisé le mot « dictature », et nous en sommes au tout début de la procédure judiciaire. Derrière cette plainte, il n'y a rien d'autre qu'une volonté de déstabilisation et de harcèlement.

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