Intervention de Audrey Linkenheld

Séance en hémicycle du 26 janvier 2017 à 9h30
Ratification de deux ordonnances relatives à la consommation — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAudrey Linkenheld, rapporteure de la commission mixte paritaire :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, nous sommes saisis, ce matin, des conclusions de la commission mixte paritaire – CMP – chargée d’examiner les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant deux ordonnances relatives au code de la consommation. Ces conclusions ont été adoptées à l’unanimité des membres de la commission mixte paritaire, ce qui est suffisamment rare pour être signalé.

Le projet de loi de ratification était à l’origine essentiellement technique, puisqu’il visait à parachever le grand oeuvre de réécriture du code de la consommation, projet entamé il y a de nombreuses années et qui, après quelques vicissitudes, avait abouti à la publication de l’ordonnance du 14 mars 2016. Il s’agissait également de ratifier l’ordonnance de mars 2016 qui appliquait une directive relative aux crédits immobiliers adoptée après la crise des subprimes aux États-Unis.

Je ne m’étendrai pas longuement sur la ratification de ces deux ordonnances, nécessaire pour achever le travail considérable de réécriture et de clarification du code de la consommation, ni sur les modifications apportées par le Sénat, toutes pertinentes et validées sans difficulté par la commission mixte paritaire.

Le texte dont nous sommes saisis a toutefois pris une autre dimension après la décision du Conseil constitutionnel de censurer, dans la loi « Sapin 2 », un certain nombre de dispositions relatives au code de la consommation, et ce pour des motifs de procédure. Le Sénat, en première lecture, a décidé d’utiliser le présent véhicule législatif pour réintroduire ces dispositions, dans la mesure où elles ont un lien direct avec les questions de consommation.

Le Sénat a ainsi réintroduit les articles relatifs à la vente de métaux précieux et au contrôle de la DGCCRF – Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – sur les taxes aéroportuaires qui avaient, à l’époque, été défendues par l’Assemblée nationale. Nous avons donc tout lieu de nous féliciter de l’insertion de ces mesures par la Haute Assemblée.

Reste l’enjeu principal du texte, la disposition relative à l’assurance emprunteur, nouvelle étape d’un long feuilleton qui a occupé toute la législature, puisqu’il avait commencé avec la loi bancaire, s’était poursuivi avec la loi consommation et aurait dû s’achever avec la loi Sapin 2 si le Conseil constitutionnel, pour des raisons de procédure, donc, n’en avait décidé autrement.

L’Assemblée avait décidé d’offrir à tout emprunteur la possibilité de résilier le contrat d’assurance souscrit dans le cadre d’un crédit immobilier, et ce à tout moment, donc pas seulement au cours des douze mois qui suivent la signature du contrat de prêt. Nous estimions que cette disposition devait s’appliquer à l’ensemble des contrats de prêt immobilier, les contrats déjà souscrits comme ceux qui le seront, et nous pensions que le Sénat réintégrerait, en ces termes, cette disposition comme il l’a fait pour les autres ; or il a limité le droit de substitution aux futurs contrats.

Cette décision, déjà bienvenue, montre que le Sénat partage avec nous l’idée qu’une concurrence accrue entre les acteurs de l’assurance est de nature à faire baisser les tarifs pour le consommateur ; mais il n’a pas complètement franchi le pas, comme l’avait fait l’Assemblée en étendant le droit de substitution aux contrats en cours, car une telle extension risquait, selon lui, de « jeter le bébé avec l’eau du bain », autrement dit de fragiliser la disposition applicable aux futurs contrats.

Après en avoir longuement discuté, la commission mixte paritaire a adopté, à l’unanimité, un amendement que j’ai déposé avec mon collègue Martial Bourquin, pour intégrer, comme l’avait fait l’Assemblée, les contrats en cours dans le dispositif, moyennant une entrée en vigueur différée au 1er janvier 2018. Les membres de la commission mixte paritaire ont considéré que le risque constitutionnel était, avec cet amendement, extrêmement limité.

En quoi résidait ce risque ? Tout d’abord, contrairement à ce que l’on pourrait croire, la disposition n’a rien de rétroactif : il ne s’agit pas, en effet, de rendre recevables d’anciennes demandes de substitution, mais d’appliquer le droit de substitution aux contrats en cours, comme cela se fait souvent dans le droit du logement ou de l’urbanisme. S’agissant de l’application d’une loi nouvelle à des contrats en cours, le Conseil constitutionnel, évidemment soucieux de la liberté contractuelle, a énoncé une double exigence. La première est que cette application soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant ; la seconde, qu’elle soit proportionnée à cet objectif.

En l’espèce, nous pensons que le motif d’intérêt général est bien réel, et, de surcroît, double. Il s’agit d’abord, en effet, d’améliorer le fonctionnement d’un marché dont chacun s’accorde à dire qu’il est déficient. Ainsi, le coût des sinistres couverts par l’assurance emprunteur représente aujourd’hui moins de 50 % de la prime payée par les emprunteurs, alors que les commissions perçues par les distributeurs – banquiers et assureurs, donc – représentent, elles, jusqu’à 44 % de cette même prime.

D’autre part, l’assurance emprunteur représente près de 20 % des doléances enregistrées par le médiateur de la Fédération française des sociétés d’assurance, alors même que le nombre de contrats d’assurance souscrits dans le cadre d’un prêt immobilier est évidemment beaucoup moins élevé que le nombre de contrats souscrits, par exemple, pour des crédits automobile.

Améliorer le fonctionnement de ce marché est à nos yeux un motif d’intérêt général. La baisse des tarifs générée par la concurrence, donc le gain de pouvoir d’achat, en est un autre puisque les estimations montrent que les économies pourraient se monter, pour les intéressés – particuliers et parfois professionnels –, à quelques centaines de millions d’euros.

Nous estimons par ailleurs que, si le risque de « démutualisation » – autrement dit de moindre couverture assurantielle – n’existe pas pour les nouveaux contrats, il n’y a pas de raison qu’il existe pour les contrats en cours.

Le motif d’intérêt général est donc bel et bien réel à nos yeux. La nature particulière des contrats de prêt immobilier, qui courent souvent sur quinze ou vingt ans, justifie aussi, selon nous, que la mesure puisse s’appliquer sur toute leur durée et non qu’il faille, pour cela, attendre leur terme, après une longue période d’inertie.

La seconde exigence posée par le Conseil constitutionnel est que la mesure soit proportionnée à l’objectif poursuivi. C’est précisément ce qui justifie la légère modification apportée au dispositif de la loi Sapin 2, je veux parler du report au 1er janvier 2018. Cette échéance permettra aux banques de se préparer, s’il en est besoin, à l’application de la mesure – donc de se préparer au fait que certains de leurs clients pourraient opter pour une autre assurance –, mais aussi, au fond, de mettre sur un pied d’égalité les nouveaux contrats et les contrats existants : les premiers, souscrits en 2017, peuvent déjà, en vertu des dispositions de la loi relative à la consommation, être substitués dans les douze premiers mois ; si bien que le report d’un an du droit de substitution les soumettra au même régime que les contrats souscrits à partir de 2018.

Cette possibilité offerte à tout emprunteur de résilier l’assurance de prêt immobilier – importante puisqu’elle couvre contre les « pépins » de la vie – souscrite, par exemple, dans sa banque, au profit d’une autre, proposée par un organisme différent et moins onéreuse tout en étant aussi protectrice – selon le dispositif voté par la représentation nationale avec la loi Sapin 2 –, est un geste politique fort, qui honore les deux assemblées, majorité et opposition réunies, ce qui est suffisamment rare pour être relevé.

Le fonctionnement du marché, trop déséquilibré au détriment du consommateur, s’en trouvera amélioré, et nous redonnerons aussi aux Français une liberté de choisir et, surtout, du pouvoir d’achat, ce dont ils ont bien besoin. La France peut être fière de parfaire, avec ce texte, un système de crédit immobilier qui, en Europe et dans le monde, a déjà montré sa capacité de résistance aux crises financières tout en ouvrant l’accession à la propriété aux classes moyennes et modestes, pour lesquelles il reste aussi très protecteur. Aussi j’espère pouvoir compter sur vous, mes chers collègues, pour suivre l’avis de la commission mixte paritaire.

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